» Au Standard, ils ont préféré acheter deux pantoufles « 

Dans la série de rencontres qu’il signe épisodiquement pour nous, le Gille rend hommage à un coach qui l’a sauvé lors de leur période commune à Anderlecht. Et vice-versa.

Après George Kessler, Urbain Braems a repris le poste d’entraîneur d’Anderlecht en 1973. Au grand soulagement des anciens du club, au demeurant. Car le nouveau venu, volontiers paternaliste, était un tout autre type que l’Allemand, qui menait tout son monde à la dure. Ce qui n’a pas empêché le plus illustre habitant de Zottegem de nous conduire au titre et à la victoire en Coupe de Belgique.

Urbain était un entraîneur quelque peu sous-estimé. Car partout où il a travaillé, il a connu le succès. De surcroît, il n’a jamais été limogé, ce qui est exceptionnel dans le football belge. L’homme était un fin psychologue. Et un faiseur de miracles. Il a notamment mué le petit Beveren en grande équipe.

Le club du Freethiel a été champion de Belgique en 1978-1979, certes pas sous la direction d’Urbain Braems, qui avait rejoint Lokeren, entre-temps. Mais d’aucuns ont jugé que le mérite du titre revenait au travail effectué par Urbain avant son départ.

Braems était licencié en éducation physique de formation. Il a d’ailleurs longtemps combiné l’enseignement et le football. Même à Anderlecht. Il s’arrangeait alors pour dispenser toutes ses heures de cours le lundi avant de mettre le cap sur Neerpede. Conscient que le métier de coach était aléatoire, il considérait que l’enseignement lui offrait une certitude.

C’est pour cette raison qu’il tenait à conserver un demi-horaire à l’école. Et même quand ses obligations d’entraîneur l’ont mené à l’étranger, en Grèce et en Turquie, il a demandé à pouvoir bénéficier d’un congé sans solde.

Braems a entamé sa carrière d’entraîneur très jeune, contraint et forcé. Une vilaine blessure, encourue à 29 ans, en avait décidé ainsi. Auparavant, il s’était fait remarquer comme attaquant dans le club de sa ville, le SV Zottegem, avant de rallier successivement le Racing Malines, le Club Bruges et le Daring, avec lequel il avait atteint son sommet en marquant le but de la victoire 1-0 contre Feyenoord, en Coupe des Villes de Foires.

Un genou en compote

Au retour, le Daring avait été défait 2-1. Urbain Braems s’était gravement blessé au genou, ce qui avait mis prématurément un terme à sa carrière. Il ne lui restait plus qu’à devenir entraîneur. Et derrière chaque homme fort, il y a une femme forte, dit-on. C’est le cas des Braems.

Quand Urbain entraînait Anderlecht, j’avais l’impression que Madame Braems était très au courant de ce qui se passait. Dans le vestiaire, on disait en riant qu’il suffisait d’être en bons termes avec Madame Braems pour être sûr de jouer.

Nous avons pris rendez-vous dans leur maison de Strypen, une entité de Zottegem. A mon arrivée, Urbain venait d’avoir eu un coup de fil de mon ami Benny Nielsen, un ancien coéquipier. J’ai bien vu qu’Urbain avait du mal à ne pas rire.

Quand tu entraînais Anderlecht, j’ai eu un accrochage avec lui, pendant que nous nous promenions autour du lac de Genval, lors d’une mise au vert. Tu le savais ?

Urbain Braems : Evidemment. Tu as baissé son pantalon pendant qu’il parlait à des inconnus. Je n’étais pas là mais Martin Lippens est venu me le raconter. Benny a pris ça comme un drame : il voulait rentrer chez lui. Il avait déjà téléphoné à sa femme pour qu’elle vienne le chercher. Heureusement, Martin et moi l’avons calmé. Martin était l’adjoint idéal, un type fantastique.

Tu ne m’en as jamais parlé.

Ça n’était quand même pas si grave !

Tu as entamé ta carrière de joueur puis d’entraîneur à Zottegem.

En D3. La plupart des joueurs étaient plus âgés que moi. J’y suis resté cinq saisons et chaque année, nous avons amélioré notre classement. La première saison, nous avons péniblement assuré notre maintien mais nous avons terminé la dernière deuxièmes derrière Tournai.

Les cigarettes de Cruijff

D’où l’intérêt du Cercle Bruges.

Qui venait d’être rétrogradé en D3 pour corruption. Il voulait absolument m’engager. Il avait établi un plan quinquennal. Il voulait réintégrer l’élite en cinq ans. Faisant confiance à Hautekiet, l’homme fort du Cercle, j’ai accepté. Nous avons eu un brin de chance la première année : au terme d’un bon championnat, il ne nous manquait qu’un point pour monter lors du match à domicile contre l’Eendracht Alost. En cas de défaite, c’était Alost qui montait. Nous avons perdu 0-1. Une ambiance d’enterrement ! On m’a dit qu’il y avait eu une erreur dans la feuille de match et que le Cercle allait déposer plainte. Quelques semaines plus tard, le président Robert Braet m’a téléphoné : nous montions en D2 ! Je n’en croyais pas mes oreilles. Le délégué d’Alost avait bel et bien commis une erreur en remplissant la feuille. Nous avons été champions au terme de notre troisième saison en D2. Mission accomplie. Pierre Hanon a eu une large part dans notre succès. Je l’ai fait transférer d’Anderlecht, où il était sur une voie de garage. Ce fut sans doute un de mes meilleurs coups.

Beaucoup de gens ont été surpris que tu quittes le Cercle.

J’ai toujours été ambitieux. Je voulais renforcer mon équipe chaque année. J’avais le sentiment d’avoir besoin d’un deuxième avant en soutien de Benny Nielsen. J’avais lu dans un magazine néerlandais que Dick Van Dijk, qui jouait avec Johan Cruijff à l’Ajax, allait partir. J’ai trouvé son téléphone et son adresse et nous avons pris rendez-vous. Van Dijck vivait dans un quartier luxueux. A peine étais-je entré que le téléphone sonnait : – Oui Johan, oui Johan…. Il connaissait le Cercle et l’entretien a été positif. Il m’a invité à l’accompagner à l’entraînement. Nous sommes partis dans sa voiture car une plaque belge allait attirer l’attention. Deux minutes plus tard, nous nous arrêtions devant une villa. Johan Cruijff en est sorti. J’étais assis à côté du chauffeur et il m’a demandé de lui passer les cigarettes : – Elles sont dans la boîte à gants. Je lui ai tendu un paquet et il a ri : – Non, ce sont des kleenex. Le paquet à côté ! Après l’entraînement, nous avons pris un verre dans un bistrot tenu par la famille de Piet Keizer. En prenant congé, j’avais l’impression que Dick Van Dijk était prêt à venir au Cercle. J’ai rendu mon rapport à Hautekiet, qui l’a transmis à la direction. Verdict : trop cher ! Nous avions terminé cinquièmes en championnat mais j’ai décidé de partir. La direction manquait d’ambition, elle ne m’avait pas suivi et je ne pouvais plus progresser.

Flemming Lund oui, Alan Simonsen non

Tu as entraîné l’Antwerp avant de signer pour Anderlecht.

J’avais déjà eu des contacts avec Anderlecht mais je ne pouvais pas encore signer. Je t’explique. Tu sais, Gille, j’aurais pu écrire un livre depuis longtemps mais j’aurais alors dû taire la moitié de ce que je sais. Quand on a appris que je quittais le Cercle, Eddy Wauters, le président de l’Antwerp, m’a contacté. Nous nous étions connus à l’université de Louvain. L’équipe m’intéressait, comme le fait de travailler avec Wauters, un homme très intelligent et ambitieux ! Il savait que j’avais attiré Benny Nielsen au Cercle et il m’a demandé si je ne connaissais pas de Danois qui serait utile à l’Antwerp. Il me fallait un ailier droit. Via mes relations au Danemark, je connaissais un certain Flemming Lund, libre et donc bon marché. Je l’ai visionné et j’ai été convaincu d’emblée. Il était rapide, il avait une bonne touche de balle. Après le match, Lund, qui était au courant de ma présence, est venu me trouver. Il était enthousiaste à l’idée de jouer pour l’Antwerp. Je lui ai promis de tout mettre en oeuvre pour obtenir son transfert. Quelque chose le tracassait : il avait un ami qui aimerait aussi jouer à l’étranger et qui n’était pas cher, compte tenu de son talent. Je lui ai promis d’en parler au président. Il s’agissait d’Alan Simonsen, qui allait faire la pluie et le beau temps à Barcelone plus tard. J’ai peut-être commis une erreur car je n’ai pas fait de mon mieux pour l’enrôler. Si j’avais insisté un peu plus auprès d’Eddy Wauters, il l’aurait transféré aussi. J’ai connu une bonne saison à l’Antwerp et si Anderlecht ne s’était pas présenté, j’y serais resté. La saison suivante, j’ai été champion avec le Sporting mais l’Antwerp a terminé deuxième. Wauters était furieux que j’aie choisi les Mauves et il a tout fait pour me garder. Il a même tenté d’influencer ma femme et il a failli réussir car au bout d’un moment, elle trouvait que je devais rester à l’Antwerp ! Du jour au lendemain, je n’étais plus l’ami d’Eddy mais son ennemi.

Tu m’as sauvé à Anderlecht, quand Constant Vanden Stock s’est lassé de mes frasques.

Ça s’est passé chez moi. Tu lui avais dit quelque chose qui l’avait énervé. Il m’a dit qu’il était impossible de continuer avec ce Van Binst et qu’il allait te vendre. J’ai répondu :  » Président, je le trouve bon. Il faudrait peut-être lui accorder une augmentation pour le motiver. Il est tombé d’accord. Tu as alors commis une erreur. Tu étais au foyer des joueurs quand je suis arrivé sur le parking et tu as dit, paraît-il :  » Voilà mon meilleur copain. J’ai été augmenté grâce à lui.  » Du coup, d’autres joueurs ont demandé une augmentation. Mais tu m’as aussi sauvé. Nous avions un problème en attaque, à cause des mauvaises prestations d’Enrique Villalba. Je t’ai placé en avant et tu as inscrit deux buts, contre le Beerschot, alors que je vivais des temps difficiles.

Des journalistes lassés

Le transfert de Villalba a fait jaser. On a même prétendu que le Sporting avait transféré le mauvais joueur !

Foutaises ! Polyte van den Bosch et moi sommes allés le voir en Argentine, où son équipe disputait la finale de la Copa Libertadores, l’équivalent de la Ligue des Champions européenne. Villalba était le meilleur buteur de son équipe et il a de fait commencé le match en pointe. Peu après, le libéro s’est blessé et Villalba l’a remplacé ! Polyte a paniqué : nous étions venus voir un avant qui jouait au libéro. Il jouait bien mais nous pouvions difficilement juger ses qualités d’attaquant. A notre retour, nous avons exposé la situation à Constant Vanden Stock. Il nous a répondu d’y retourner. Je l’ai fait, avec le secrétaire Armand Schelfhaut. Nous avons assisté à un match à domicile de l’équipe de Villalba. Elle s’est imposée 3-1. Villalba a inscrit un but, il a été bon mais sans plus. Nous avons longtemps discuté avant de décider de le prendre, avant tout par nécessité car il nous fallait un avant de toute urgence et il n’était pas cher. Je reconnais que nous sommes peut-être allés trop vite mais ce garçon n’a pas reçu le moindre soutien du groupe, au contraire. Il n’avait pas l’ombre d’une chance !

Attila Ladinszky était-il un meilleur avant ?

Oui, un buteur mais un type spécial. Il avait un problème d’alcool. Il a ainsi provoqué un accident à Bruxelles, en état d’ébriété. C’est un miracle s’il a survécu ! Quand nous avons été champions à Beveren, lors du dernier match de la saison 1973-74, je ne l’ai même pas aligné alors qu’il était le meilleur buteur du championnat. Il y avait trop de rumeurs. Nous l’avons vendu. Si Ladinszky s’était tenu, il n’aurait jamais été question de Villalba.

Tu as été champion avec Anderlecht la première saison, en 1974, puis tu as gagné la Coupe de Belgique. Pourquoi n’es-tu pas resté ?

Mon contrat prenait fin. Il m’était de plus en plus difficile de combiner l’enseignement avec l’entraînement d’une équipe comme Anderlecht. Ensuite, certains journalistes bruxellois étaient las de moi. Constant Vanden Stock ne me l’a jamais dit mais je peux imaginer qu’il n’était pas ravi que son entraîneur ait un travail accessoire. Même s’il avait abordé le thème, je n’aurais jamais renoncé à l’enseignement. Ce n’était pas négociable. En fait, c’est Arie Haan qui a le plus influencé le président. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être préférait-il qu’un compatriote soit engagé.

Le petit Anderlecht

Puis, tu es passé du grand Anderlecht au petit Anderlecht.

A mon arrivée, Beveren avait une direction qui s’y connaissait en football. C’est important. On m’écoutait et je pouvais former l’équipe à mon sens. Après trois ans à Beveren, lors de mon premier passage, nous avons gagné la Coupe de Belgique contre Charleroi en 1978. Avant le début de mon second mandat, la direction m’a demandé quel joueur je voulais à tout prix. J’ai répondu sans hésiter Paul Theunis, de Winterslag. Un joueur fantastique, qui pouvait organiser l’équipe. J’ai été suivi et nous avons à nouveau remporté la Coupe, cette fois contre le Club Bruges en 1983.

Puis enfin l’étranger, en Grèce, au Panionios.

J’y suis arrivé via un manager. Ça a bien commencé ! Le terrain avait été semé mais l’herbe ne poussait pas. Le terrain n’était pas praticable. La fédération grecque a dû adapter notre calendrier. Nous avons commencé par deux déplacements, au PAOK Salonique, le champion en titre, et à Doxa Drama. Ensuite, nous avons eu un match difficile à domicile contre l’Olympiacos. Les plus grands optimistes espéraient un point mais nous en avons gagné cinq. Après ces débuts en fanfare, plus rien ne pouvait m’arriver là-bas. J’y ai passé trois années tranquilles, couronnées par une quatrième place au terme de la deuxième saison. Un entraîneur qui reste en poste trois ans dans un club grec, ça doit être un record absolu ! D’ailleurs, je n’ai jamais été viré dans ma carrière. Ni en Belgique, ni en Grèce, ni en Turquie.

On va y arriver. Mais après la Grèce, il y eut d’abord un retour en Belgique. A Sclessin.

Ma femme était furax ! Elle ne comprenait pas pourquoi nous devions revenir en Belgique. Le Standard traversait une période agitée. D’emblée, Roger Henrotay m’a saboté. Il faisait partie de la direction et il y exerçait de l’influence ! Il n’a pas hésité à me critiquer en public dans la salle de réception, à la mi-temps d’un match. Je n’étais manifestement pas son choix ! Pourquoi ? Je n’en sais rien. Il a joué sous mes ordres à Lokeren. Je l’ai souvent écarté, c’est peut-être à cause de ça. Je pouvais attirer Franky Vander Elst et Michel Dewolf à Sclessin pour un prix raisonnable. Il m’a répondu qu’ils étaient trop vieux. A la place, ils ont acheté deux pantoufles. Cette année-là, nous avons quand même disputé – et perdu 2-0 – la finale de la Coupe contre Anderlecht. J’avais un contrat d’un an mais j’ai demandé à en être délié avant le terme. J’étais heureux de m’en aller !

PAR GILBERT VAN BINST – PHOTOS: BELGAIMAGE/ KETELS

 » Je pourrais écrire un livre sur ma carrière. Mais je devrais alors taire la moitié de ce que je sais.  »

 » J’ai toujours combiné le foot et l’enseignement. Renoncer à ma place de prof d’éducation physique, c’était non négociable.  »

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