Au pays, la cata

L’équipe nationale est favorite de la Copa, mais le foot argentin est gâché par le hooliganisme, la corruption, le manque d’infrastructures et le fait que la majorité des jeunes sont vendus à des clubs européens.

Tous les quatre ans depuis maintenant 1986, c’est-à-dire depuis la dernière victoire en Coupe du Monde, la sélection argentine est victime d’un grief collectif lorsqu’elle se fait éliminer. A chaque fois, les fans s’attendent à ce que l’équipe remporte le trophée. Déjà lorsque l’Argentine prit la tête du classement FIFA pour la première fois en mars, personne ne le prit sérieusement. Certes, l’équipe a battu la France 1-0 à l’extérieur lors de son plus récent match, en février, mais ce n’était qu’une rencontre amicale et la première depuis octobre.

Les espoirs de résultats sont à nouveau élevés depuis la nomination en septembre – pour la seconde fois – d’ Alfio Basile à la tête de la sélection nationale. Lors de son premier passage, de 1991 à 1994, l’Argentine avait gagné deux fois la Copa America et était restée invaincue durant 31 matches. L’équipe échoua lors de la Coupe du monde 1994, bien qu’elle avait atteint le second tour après la suspension de Diego Maradona pour prise de drogue.

Cette fois, Basile a décidé de former une équipe B de joueurs nationaux qu’il a coaché chaque lundi et mardi, l’équipe A étant formée de joueurs retenus dans leurs clubs européens. Quelques joueurs de cette équipe B font partie du noyau pour la Copa America. Mais, ironiquement, nombre d’entre eux ont déjà signé pour des cercles du Vieux Continent…

Cet exode sans fin de joueurs est un des problèmes qui contribuent à faire baisser le niveau du championnat argentin. Un autre facteur qui entraîne sa chute est que depuis 1991, la saison est divisée en deux championnats – celui d’ouverture et de clôture. Cela amène à créer deux saisons durant lesquelles les clubs n’hésitent pas à vendre des joueurs, ce qui rend presque impossible le travail dans la continuité.

Vente ou retour

A part les joueurs transférés à l’étranger – activité qui est d’ailleurs devenue très lucrative depuis la dévaluation du peso en 2001 – de plus en plus de joueurs sont loués ou retournent dans leur club d’origine après chaque tournoi. Beaucoup de contrats d’autres joueurs sont la propriété d’investisseurs, d’agents et même de patrons de clubs. Ceux-ci n’hésitent pas à les transférer pour faire du profit.

Les autorités fiscales ont requis des clubs qu’ils leur envoient les détails de la propriété des contrats des joueurs et les comptes des transferts, mais peu s’y sont conformés.

Le déclin du foot argentin a été mis en exergue lors des récents tournois continentaux. Par exemple, les clubs argentins avaient eu l’habitude de dominer la Copa Libertadores mais les formations brésiliennes ont maintenant pris l’ascendant. Les clubs argentins luttent donc pour survivre. C’est en partie la faute aux règles bizarres de qualification de la fédération argentine. Par exemple, Estudiantes de La Plata a gagné le championnat d’ouverture en décembre mais au lieu de participer à la Copa Libertadores cette année, il joueront celle de 2008 avec une équipe qui aura changé et qui ne fera plus partie des meilleurs représentants.

Ce n’est pas le seul défaut de la fédération argentine. Il suffit de jeter un £il sur la méthode de relégation des clubs. Le système, instauré en 1983, impose que le club qui a la plus mauvaise moyenne de points sur les trois dernières saisons descende. Cette méthode aurait pu avoir certains mérites mais elle a été introduite pour de mauvaises raisons. Cette année, River Plate aurait été relégué sous l’ancien système. Le système actuel empêche les grosse cylindrées de descendre après une seule mauvaise saison. Mais c’est difficile pour les promus qui n’ont pas eu trois saisons pour améliorer leur moyenne et ils doivent donc terminer dans le milieu de tableau pour éviter de redescendre directement. Cette saison, avec encore dix rencontres à jouer, les trois promus faisaient partie des quatre derniers clubs dans la table des moyennes – sachant que deux clubs descendent directement et les deux autres participent à des play-offs.

Le football argentin est divisé depuis qu’il est devenu professionnel en 1931. River Plate et Boca Juniors se sont partagé la moitié des titres – 32 et 22 respectivement. Independiente, le Racing Club et San Lorenzo se situent juste en dessous du top.

Triche et violence

Le favoritisme de la fédération argentine pour ce quintette est vicieux. Les joueurs des plus petites formations sont plus enclins à être exclus et à faire l’objet de plus longues suspensions. Un arbitre, désirant garder l’anonymat, n’hésite d’ailleurs pas à déclarer :  » On nous a avertis de ne pas faire d’erreurs contre les clubs du top mais aussi contre Arsenal ( ndlr : le club du président de longue date de la fédération argentine Julio Grondona) et Lanus ( ndlr : le club de Jorge Romo, qui est à la tête du comité des arbitres) « . Les sanctions des troubles causés par les supporters semblent aussi plus lourdes pour les petites formations…

Les stades, eux, sont vieux et à des années lumières des standards européens. Aucun ne pourrait être pris en considération pour une phase finale de Coupe du monde. En plus, tous comptent encore des places où l’on doit se tenir debout.

Les tickets pour les gros matches au stade de Boca Juniors sont presque introuvables. La Bombonera compte 55.000 places mais le club a 50.000 abonnés, qui peuvent évidemment y entrer gratuitement. Il n’y a pas non plus d’argent pour ériger de nouveaux stades. Cependant, Independiente est en train d’en construire un mais plus petit que l’ancien – ce qui n’est jamais une bonne opération pour un grand club.

Presque chaque club du top est dans le rouge à cause d’une mauvaise gestion ou de la corruption ou même des deux ! La situation financière de River Plate est critique. Le club a beau avoir vendu nombre de joueurs, il a encore une cinquantaine d’éléments sous contrat dont certains n’ont encore jamais évolué dans l’équipe première. Certains clubs sont en banqueroute mais aucun tribunal ne semble vouloir les déclarer en faillite.

Mais le hooliganisme est peut-être le plus gros problème affectant le football argentin. Il est en effet en proie à des violences régulières et 180 personnes y ont déjà trouvé la mort depuis 1931. Il existe des gangs de hooligans dans chaque club. Ces derniers les soutiennent en donnant aux membres des tickets gratuits – qui sont d’ailleurs souvent revendus -, de l’argent, et en les aidant pour le transport lors des déplacements. Ce soutien financier découle sans doute de la crainte de représailles. Mais les clubs emploient aussi les membres des gangs intimidants pour menacer les joueurs et coaches indésirables. Ceux-ci partent alors sans demander de compensation.

Les clubs payent aussi des avocats afin qu’ils défendent les intérêts de leur hooligans accusés d’infractions criminelles. Cela a pour conséquence que peu sont déclarés coupables. Cette année, Rafael Di Zeo, l’infâme leader du gang de Boca Juniors, a finalement été jeté en prison pour une infraction liée aux armes commise en 1999. Mais pendant des années, il a su se débrouiller pour rester libre, grâce notamment à ses avocats qui l’ont évité l’emprisonnement en exploitant les lacunes du système judiciaire.

Des autorités indulgentes

La police et les tribunaux sont accusés d’être trop indulgents avec les hooligans. Et les comités de sécurité ne parviennent pas à imposer les mesures destinées à bannir les voyous. Javier Castrilli, un arbitre de formation, est à la tête d’un comité gouvernemental qui a soi-disant pour mission de lutter contre le hooliganisme. Il ordonne la fermeture de certains stades, interdit à des supporters de faire un déplacement et modifie l’heure du coup d’envoi des rencontres pour éviter les clashes entre les bandes rivales. Il a aussi imposé à la fédération d’enlever des points aux clubs dont les hooligans provoquent des troubles lors des rencontres à domicile. Toutes ces mesures causent du désordre dans le championnat et contrarient les vrais fans. Mais en réalité, ils ne font rien pour mettre un terme au hooliganisme.

par eric weill (esm) – photos reuters/reporters-reuters

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