AU PAYS DU NUCLÉAIRE

D’épaisses fumées blanches tâchent le ciel. Le long de la Meuse, la centrale de Tihange s’impose avec énergie. Tel un voisin qu’il salue par politesse, le RFC Huy, matricule 76, l’observe d’en bas. Sans volonté de fusion à l’horizon. Aussi nucléaire soit-elle…

ll n’y aura pas match ce soir. L’ACFF en a décidé autrement. Les chutes de neige tombées la veille sur la région liégeoise remettent l’ensemble des rencontres de D2 et de D3 à plus tard. Pourtant, si l’hiver a posé son manteau sur la plupart des campagnes environnantes, Huy n’est pas particulièrement blanche. Le terrain de son Royal Football Club non plus. Il devait accueillir le Daring Club de Cointe à 20 h, ce samedi 14 janvier.

 » Vous venez voir un gros match « , s’esclaffe Jean-Luc Martin, ancien président toujours actif à l’Omnisports, fief des Hutois. Dans la pénombre, des lumières rouges clignotent au loin. La modeste enceinte des Tricolores est située à quelques pas de la centrale de Tihange. Sa P3 et ses équipes de jeunes évoluent même au pied des réacteurs.

Mais rien ne semble pouvoir perturber le souper de Nouvel An du matricule 76. Au menu, les boulets et les profiteroles attisent plus de convoitises que de quelconques débats sur le nucléaire. L’heure est à la fête, le reste n’est que décor.

STOP TIHANGE

Les inquiétudes les plus fournies se trouvent peut-être à 90 kilomètres de là. À Aix-la-Chapelle, le 12 novembre, 21.000 personnes se tassent dans le Neuer Tivoli. Fait rare pour l’antre de l’Alemannia Aachen, qui ne reçoit plus que des rencontres du quatrième échelon teuton. Le prix des billets, vendus exceptionnellement pour 5 euros, motive les habituels réfractaires. Surtout, ces derniers portent des T-shirts avec la mention  » STOP TIHANGE  » en lettres capitales.

Même chose pour les vareuses de l’équipe locale et de la réserve du FC Cologne. Christian Steinborn, responsable sportif du club, s’explique au micro de la RTBF :  » C’est un message social. J’espère que nous allons être entendus. C’est l’endroit le plus grand pour se rencontrer à Aix-la-Chapelle. Nous voulons prouver que les gens peuvent aussi montrer leur sentiment, leur ressenti et leurs préoccupations.  »

Stop Tihange est une agence transfrontalière vouée à l’arrêt définitif de la centrale hutoise. Elle comprend notamment des ressortissants belges, néerlandais, luxembourgeois et allemands. En bref, les voisins les plus soucieux au sujet des trois énormes réacteurs du site. En 2015, l’Agence Fédérale de Contrôle Nucléaire autorise la relance du numéro 2, en dépit des interrogations concernant des microfissures ayant conduit à sa fermeture un an plus tôt. Des membres de Greenpeace réussissent même à s’y introduire en 2006. L’objectif ? Démontrer le vieillissement de l’endroit et les failles de son système de sécurité.

 » ÇA M’EN TOUCHE UNE SANS FAIRE BOUGER L’AUTRE  »

Des faits néanmoins insuffisants pour bouleverser la vie paisible du RFC Huy. Les yeux rieurs, le cheveu blanc impeccablement peigné vers l’arrière, le président Christian Mathot écrase sa cigarette en direction contraire de la centrale.  » On n’y pense pas du tout. Pour nous, c’est de la plaisanterie « , lance celui qui y a travaillé quelque temps.  » Comme disait Jacques Chirac, ça m’en touche une sans faire bouger l’autre. La seule chose, c’est que Tihange représente 50 % de la vie économique de Huy.  »

La question du budget et du soutien de son vis-à-vis nucléaire reste la seule qui puisse être posée.  » J’ai toujours été très frustré. On n’a jamais reçu un euro de leur part. Alors qu’ils sont à 100 mètres à peine « , regrette Martin, qui a laissé le  » bébé  » à Mathot peu avant l’épilogue du précédent exercice.  » Et c’est déjà arrivé qu’on leur prête nos vestiaires. On aurait même pu appeler le site Electrabel ! Peu importe…  » Pour l’instant, le club survit grâce à plusieurs mécènes fidèles, mais ne compte pas de  » gros  » sponsors dans ses rangs.

La colocation avec Tihange se passe malgré tout en douceur et sans histoire. Ou presque.  » J’ai déjà vu des gamins coller un peu partout des stickers ‘Écolos, non merci‘ « , s’amuse encore Jean-Luc Martin.  » Aujourd’hui, quand je dis aux gens que j’habite à Tihange, ils me regardent comme s’ils avaient vu un extraterrestre ! Mais si ça pète, on est tous dedans…  » Une philosophie d’une autre planète en effet, même si le directoire des Tricolores a bien les pieds sur Terre. Le RFC Huy, affilié en 1908, reste un monument immuable comparé à la petite quarantaine d’années de sa colocataire de centrale.

MEILLEUR CLUB FORMATEUR DE LA PROVINCE

Avec un passé qui l’a vu vivoter entre les troisième et quatrième niveaux nationaux, l’entité engluée entre Namur et Liège jouit de fondations plutôt solides. Une armoire à trophées plutôt garnie également, avec six titres de champion (trois en D3, trois en Promotion), bien que le dernier remonte à 1988. Au moment d’évoquer sa place sur son nouveau banc de touche, le T1 Patrick Courtois ne tergiverse pas :  » Si le club devait avoir le même standing que sa ville, on serait un ou deux étages plus haut « .

Ce prof de math peut néanmoins se satisfaire des prestations de ses hommes qui, après deux saisons en P1, se retrouvent au pied du podium à la trêve.  » C’est au-delà de nos espérances. L’objectif initial, c’était de passer une saison tranquille.  » Sans trop de pression donc, histoire d’assurer ce qu’il sait faire de mieux : la formation. Et pour en parler, le plus indiqué s’appelle Florian Rorive. Un vice-président âgé de… 20 ans :  » Notre but est de faire jouer des jeunes issus de chez nous en équipe première, ce que tout le monde ne fait pas.  »

Le RFCH compte désormais plus de 400 jeunes qui se répartissent en 25 équipes d’âge, le tout géré par une cinquantaine de bénévoles. Une belle prouesse et un travail d’orfèvre récompensé par le prix du  » meilleur club formateur de la Province de Liège « . Pas peu fiers, les Tricolores se targuent également d’un sacre national en juniors provinciaux, glané au Parc Astrid en 2005. Comme quoi, ça peut avoir du bon de pousser à l’ombre de réacteurs nucléaires.

PAR NICOLAS TAIANA – PHOTO GROUNDHOPPING.BE

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