© koen blanckaert

 » Au Mexique, des paparazzis campaient devant chez moi « 

Bouclette va découvrir le Stade Roi Baudouin la semaine prochaine, en visite avec son Mexique, avant de disputer sa quatrième Coupe du Monde. Pour la première fois, il décrit dans le détail tout son bonheur d’être le gardien du Standard. Si Hermosillo et Carbajal lisent ceci… ouille.

Si t’as pas la patate, file voir Memo. Ce Guillermo Ochoa est un tonneau de bonne humeur, il enchaîne les sourires et les éclats de rire. Un clin d’oeil, une tape sur l’épaule, un mot marrant, c’est son arsenal. Le gardien mexicain du Standard est devenu une star dès ses débuts pros dans son pays, ça vous étonne ? Quand il s’installe dans un salon de l’Académie pour une grosse heure de confidence, on déguste. Forcément.

Et puis, si vous ne connaissez pas bien son parcours avant de se poser chez nous, faites un tour sur Youtube et commandez ses plus beaux arrêts à la Coupe du Monde au Brésil. Là-bas, il a dégoûté – notamment – Thiago Silva, Neymar et Arjen Robben par des parades improbables, sorties de nulle part.

L’entretien part sur le thème de sa popularité XXL au Mexique et sur son bonheur de pouvoir vivre, ici, un quotidien méchamment plus tranquille.

Je sais que tu es un monument, un demi-dieu dans ton pays. Ça n’a pas été difficile de débarquer en Belgique en étant un joueur étranger comme un autre ?

GUILLERMO OCHOA : Ah, mais là, pas du tout… Ma vie a complètement changé quand je me suis retrouvé à Ajaccio, pour ma première expérience en Europe. Là-bas, j’ai directement apprécié le calme, ma vie dans l’ombre, au milieu de gens qui ne m’importunaient pas. Je suis arrivé en Corse sans parler un mot dans la langue, c’était zéro français mais on a directement tout fait pour m’intégrer, sans m’embêter. Au Mexique, c’était devenu très lourd. Je ne pouvais plus sortir de chez moi. Aller au magasin, faire une balade en ville, aller au resto, ce n’était plus faisable. On me demandait des photos, des autographes. Et puis, il y avait les paparazzis. Ils campaient parfois devant chez moi. Je me sentais épié en permanence, je vivais en liberté surveillée. Je n’avais plus de vie privée. Au début, ça fait plaisir d’être connu et reconnu, mais tu t’en lasses vite parce que ça prend des proportions énormes dans un pays pareil. La presse à scandales cherchait des histoires, elle en inventait s’il n’y avait rien de croustillant. Si je sortais, tous les Mexicains savaient très vite où j’étais allé, ce que j’avais mangé, ce que j’avais bu, à quelle heure j’étais rentré. Vraiment, c’était usant.

 » Remplacer Alfonso Rios à l’América, c’était pas gagné d’avance  »

Comment tu expliques ta popularité et tout l’intérêt que tu déclenches au Mexique ? Tous les footballeurs mexicains ne sont quand même pas traqués comme toi ? Ça vient du poste particulier que tu occupes ? De ton style ? De ton look ? De ta personnalité ?

OCHOA : Voilà, tu as bien résumé, c’est un peu tout ça. Tu peux y ajouter mes cheveux bouclés et mes tenues sur le terrain. J’aime quand ça flashe, je choisis souvent des couleurs vives. J’aime bien ! Et puis, évidemment, il y a mon parcours de gardien. A dix ans, je suis arrivé à l’América Mexico. A dix-huit ans, j’y suis devenu titulaire, avec Leo Beenhakker. Tu dois savoir que l’América, c’est le grand club mexicain. Une légende, une institution. Quand Beenhakker m’a lancé, les Mexicains ne m’ont pas raté : -C’est qui ce petit gamin qui va jouer dans le but ? Ce n’était pas simple parce que je devais remplacer un monument, Alfonso Rios. Un pilier du championnat et de l’équipe nationale. Il était blessé, Beenhakker n’avait pas le choix, il devait me mettre dans l’équipe. On a gagné notre premier match, puis j’ai été bon en Copa Libertadores, on a presque tout gagné en phase de groupes. Rios est revenu pour les huitièmes de finale, il a rejoué, on a été éliminés et il a pris sa retraite. Moi, j’ai enchaîné avec les Jeux Olympiques d’Athènes. Pour une première saison pro, c’était intense.

La suivante a été chaude aussi. Beenhakker avait été remplacé par un autre tout grand nom : Oscar Ruggeri. Près d’une centaine de matches avec l’équipe d’Argentine, champion du monde chez nous en 1986. Il a amené un gardien argentin et il a fait l’alternance pendant les premiers matches. Les journalistes étaient furieux, ils trouvaient que j’étais meilleur, ils ne comprenaient pas que je passe un match sur deux sur le banc. Pour eux, c’était du gâchis. Ruggeri a vite été viré, un coach mexicain a été installé et on a gagné le championnat. Ça aussi, ça a contribué à ma popularité. Puis, je me suis retrouvé en équipe nationale et j’étais dans le noyau à la Coupe du Monde 2006 en Allemagne. Quand tu es à l’América, que tu joues et que tu gagnes, tu es continuellement dans l’actualité, c’est inévitable. Parce que la passion du peuple pour ce club est vraiment énorme, démesurée. Je mettais souvent une heure pour sortir du centre d’entraînement. Les jours où il y avait un point presse, les journalistes entraient et nous posaient leurs questions de façon officielle. Mais s’il n’y avait pas d’activité pour les médias, ils nous attendaient dehors et essayaient à tout prix de nous faire parler.

 » J’ai un problème : je n’ai pas de passeport européen  »

Tu vas faire ta quatrième Coupe du Monde en Russie. La deuxième comme titulaire, et tu te mets déjà en tête de refaire le coup que tu as fait en 2014 ? Là-bas aussi, tu as crevé l’écran. Et devant le monde entier.

OCHOA : Oui, j’étais sur le banc en Allemagne et en Afrique du Sud. Et puis là, au Brésil, oui, ça a bien marché pour moi. Avec un peu de chance, on tape les Hollandais en huitièmes de finale, et alors, on ne sait pas comment ça peut se terminer. Les qualités pour aller encore plus loin, on les avait, c’est sûr. A la 87e minute, on mène encore 1-0. Et on perd finalement 2-1 en prenant leur deuxième but sur penalty dans les arrêts de jeu. A quoi ça tient, parfois, un match ! Si on n’oublie pas de marquer un deuxième goal, on va en quarts.

Ce n’est pas plutôt le match de poule contre le Brésil que tu retiens en priorité ?

OCHOA : Oui, bien sûr. Un tout bon 0-0, pour moi.

Tu as dit après ça que c’était le meilleur match de ta vie.

OCHOA : Oui, peut-être. En tout cas un des meilleurs matches de ma carrière. Un des plus grands moments. Parce que j’ai sorti plusieurs ballons chauds, parce qu’on a fait un gros résultat, mais il n’y avait pas que ça. Il y avait l’ambiance, le décorum, le prestige. Pendant les hymnes, on n’a pas entendu celui du Brésil, on n’a pas entendu la musique, c’était le stade qui faisait l’hymne. Magique. Et quand tu vois ce qu’il y avait en face, Neymar et ses potes.

Tous tes choix de carrière ne font pas l’unanimité au Mexique ! Là-bas, on se demande ce que tu fabriques aujourd’hui dans le petit championnat de Belgique.

OCHOA : Déjà, il faut voir les choix que j’avais. Et ça, les gens ne sont pas nécessairement au courant. Comme gardien mexicain, tu n’as pas d’office les meilleures armes pour trouver un bon club dans un grand championnat en Europe. Je prends l’exemple de l’Espagne. Je viens d’y passer trois ans, à Malaga et à Grenade, mais ce n’était pas gagné au départ. Parce que les clubs ne peuvent prendre que trois joueurs extracommunautaires. J’ai un problème : je n’ai pas de passeport européen. J’ai beau chercher un grand-père, un oncle ou un cousin en Europe, je n’en ai pas, donc je reste purement extracommunautaire. Quand un directeur sportif ou un entraîneur ne peut prendre que trois gars qui viennent d’un autre continent, il choisit en priorité un attaquant, puis d’autres joueurs offensifs. Après ça, s’il reste une place, pourquoi pas un gardien ? J’avais quelques options cet été, mais quand on m’a parlé du Standard, ça m’a tenté directement. Il y a quand même une grosse histoire ici. Et puis, depuis mon arrivée, tous les matches du championnat de Belgique sont diffusés au Mexique. Et les gens commencent à se rendre compte que le niveau est plutôt pas mal. Mais tu as raison, beaucoup de Mexicains ne comprennent toujours pas mon choix. Et ils ne se privent pas pour le critiquer. Je suis né dans un pays où tout le monde a un avis sur tout et sur tout le monde… Tous les Mexicains aiment bien donner leur opinion, leur analyse. Mais pour moi, parler sans savoir, ce n’est jamais bon !

 » Les critiques de Carlos Hermosillo sur mon choix de carrière, j’ai du mal à y croire  »

Dans les Mexicains qui ne comprennent pas ton choix et qui l’ont fait savoir, il y a l’ancien international Carlos Hermosillo. Il a dit :  » Le Standard, c’est un pas en arrière dans sa carrière. Je ne comprends pas pourquoi il va dans une équipe qui ne va rien lui apporter de positif.  » C’est très dur.

OCHOA : Je suis au courant. Quand j’ai entendu ça, j’ai eu du mal à y croire. Est-ce qu’il connaît bien le championnat de Belgique ? Il est venu au Standard, on ne peut pas dire qu’il ait beaucoup joué et qu’il ait marqué l’histoire du club… Il a essayé ici mais il est vite rentré au Mexique.

Un journaliste a dit que, pour toi, rester en Europe était plus important que le niveau du championnat dans lequel tu joues.

OCHOA : Je confirme. Je n’ai pas envie de retourner maintenant dans mon pays, puisque le niveau est beaucoup plus élevé en Europe. Mon but maintenant, c’est de jouer la Coupe d’Europe avec le Standard. Ce n’est pas impossible, quand même ? Notre début de championnat a été compliqué, car après le 4 sur 6 face à Malines et Genk, on a effectivement connu un passage à vide. Mais il y avait des bonnes explications à cela : il fallait que le nouveau staff trouve ses repères, il fallait que les nouveaux joueurs s’adaptent. Le mois d’août n’a pas été facile du tout. Entre les gars qui disaient qu’ils voulaient partir et ceux qui ne savaient pas s’ils allaient pouvoir rester, c’était parfois compliqué. Dès que le mercato s’est fermé, tout est directement devenu beaucoup plus clair, tout le monde est devenu bien plus tranquille. Quand tu sais que tu es ici au moins jusqu’en janvier, tu ne regardes plus que devant toi.

Encore une pique mexicaine… Elle vient aussi d’une légende du foot de ton pays, Antonio Carbajal. Il a lâché :  » Ochoa n’est pas à l’aise sur les tirs lointains et il a trop de mal dans les sorties, je me demande s’il n’a pas des problèmes de vue et de concentration.  »

OCHOA : Oui, ça aussi, je l’ai entendu. Mais bon, je n’ai pas envie de commenter. Carbajal est très vieux, il va sur ses 90 ans, j’ai trop de respect pour les vieux, il est trop vieux, et tu sais comment ils sont parfois, les vieux…

Quand tu as signé à Ajaccio, on a raconté au Mexique que ton transfert était lié à une chaîne de télé mexicaine qui avait les droits de la Ligue 1, qui t’utilisait un peu comme vitrine et qui participait à ton salaire.

OCHOA : C’est franchement n’importe quoi, cette histoire ! Il faut se rappeler le contexte. C’était particulier. J’étais en fin de contrat à l’América et je voulais découvrir l’Europe. J’étais en contact depuis un bon moment avec le Paris Saint-Germain, je pensais que ça allait se faire. Puis il y a eu ce fameux contrôle antidopage positif pendant la Gold Cup. J’ai été contrôlé avec quatre autres joueurs de la sélection, on était tous positifs au Clenbutérol.

 » Paris ne voulait pas engager un joueur qui s’était peut-être dopé  »

Pourquoi tu avais pris ça ? Pour prendre de la masse musculaire ? …

OCHOA : Mais non, évidemment. L’enquête a prouvé qu’on avait consommé de la viande contaminée. Mais il a fallu un petit temps pour qu’on ait les résultats, et à ce moment-là, on a tous été innocentés. En attendant, Paris n’était plus intéressé. Ils ne voulaient pas engager un joueur qui s’était peut-être dopé. Le mercato avançait, il me fallait un club. Les dirigeants d’Ajaccio m’ont contacté avant que je sois blanchi, ils m’ont dit qu’ils me voulaient et qu’ils me faisaient confiance. J’ai signé chez eux avant la fin de l’enquête sur l’affaire du Clenbutérol. Ils étaient prêts à payer eux-mêmes des avocats pour me défendre si on ne démontrait pas que j’étais innocent.

Cet été, ton mariage a été encore plus médiatisé que ta signature au Standard. Tu as tout fait en quelques heures !

OCHOA : Ah, mon été a été chaud ! Le Standard s’est manifesté quand j’étais en Russie pour la Coupe des Confédérations. Après le tournoi, je suis rentré en Espagne, je n’avais qu’une semaine pour préparer mon mariage à Ibiza. La direction aurait voulu que je vienne signer à Liège mais je n’avais vraiment pas le temps, il y avait tellement de choses à organiser : l’église, le restaurant, les vols et les hôtels pour les invités qui devaient venir du Mexique, … Finalement, la signature s’est faite en Espagne, la veille du mariage.

Pourquoi tu t’es marié en Espagne ? Ta femme est mexicaine, quand même…

OCHOA : Ça fait quelques années qu’on est en Europe, ma fille est née à Ajaccio et mon fils à Malaga, on a passé trois ans en Espagne, et puis on voulait faire un truc pas trop grand… Si je m’étais marié au Mexique, ça aurait été autre chose. Tu devines l’intérêt médiatique qu’il y aurait eu là-bas ? A Ibiza, il y avait juste quelques paparazzis.

La belle-fille du président du Mexique était là, et aussi le fils de Carlos Slim, l’ex-homme le plus riche du monde ! Tu as rencontrés ces gens-là via le foot ?

OCHOA : Pas nécessairement. Le fils de Carlos Slim, il est marié avec la meilleure amie de ma femme. On se côtoie depuis longtemps.

par Pierre Danvoye – photos Belgaimage – Koen Blanckaert

 » Les critiques d’Antonio Carbajal ? Je ne réponds pas, les très vieux ça dit parfois n’importe quoi.  » Guillermo Ochoa

 » La belle-fille de Carlos Slim, c’est la meilleure amie de ma femme.  » – Guillermo Ochoa

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