« Au fond, je reste quelqu’un de simple »

Le médian belge casse la baraque avec Everton. 10 buts (soit le 7e meilleur buteur du championnat) et une présence physique impressionnante en font un joueur incontournable et courtisé.

Il nous a donné rendez-vous un 31 janvier, dernier jour du mercato. C’est donc avec un certain stress qu’on l’attend dans le centre de Manchester. Sur la chaîne de Sky qui fait le point minute par minute sur les mouvements du jour, son nom est cité du côté de Chelsea. Pourtant, à 14 h, le téléphone sonne.  » Bonjour, c’est Marouane. Ça vous va si on se retrouve dans une heure ? « . Pas de Chelsea donc pour Fellaini. Une heure plus tard, c’est dans un hôtel de la banlieue de Manchester, non loin de l’aéroport et de son domicile, qu’on le retrouve. Car, depuis un an, Fellaini a quitté son appartement du centre de Liverpool pour la banlieue chic de Manchester, à 60 km de là, à Bowdon, connue comme la région anglaise la plus chère en dehors de Londres.

Depuis le début de la saison, Fellaini, c’est l’assurance-victoire d’Everton. 10 buts en championnat (dont un doublé salvateur face à Aston Villa, dimanche dernier), soit son meilleur total depuis son arrivée sur les bords de la Mersey. Cinq assists également. Bref, de quoi attirer l’attention des grandes écuries anglaises.

Toute la Belgique a attendu que tu signes ton contrat à Chelsea…

(Il rigole) Je suis bien où je suis. Rien n’est fait. On verra en fin de saison. Pour l’instant, aucun club n’a vraiment tout fait pour m’avoir.

Mais tu es intéressé ?

C’est normal, non ? Je n’ai jamais joué la Ligue des Champions !

Est-ce que la connexion belge de Chelsea influence ton choix ?

Non, rien à voir. Ce qui interviendra dans mon choix, ce sera le discours de l’entraîneur et la confiance qu’il me témoigne. Alors, je foncerai. Mais pour l’instant, mon objectif est d’accrocher la quatrième place qualificative pour la Ligue des Champions avec Everton (NDLR : les Toffees sont 5e). En fonction de ça, on verra pour la suite.

Tu as annoncé que tu resterais à Everton en cas de qualification pour la Ligue des Champions…

Je pourrais, oui. Je suis bien là, je connais tout le monde, je m’entends bien avec mes coéquipiers. Je suis chez moi. D’un autre côté, j’ai aussi envie de franchir un palier. Le destin décidera.

Es-tu toujours à Everton uniquement parce que tu n’as pas reçu d’offres concrètes ?

Ce n’est pas l’unique élément. Everton a payé 20 millions et il ne veut pas me brader. Si un grand club me veut, il va devoir mettre le prix.

 » Le match contre United m’a boosté  »

Le fait est là : tu es particulièrement hot cette saison.

J’ai bien débuté. On dit que la rencontre face à United me sert de match-référence ? Peut-être. J’ai fait un bon match (il sourit).

Un bon match ? Solide défensivement, présent dans tous les duels et décisif offensivement. Le match parfait, oui !

Je n’étais pas tout seul, hein ! Mais c’est vrai que ce match m’a boosté.

A cela s’ajoutent des autres grosses prestations face à Arsenal, à City, Aston Villa et un trophée de joueur du mois de novembre (4 buts et 3 assists)…

On m’a dit que j’avais été le premier Belge à être choisi comme joueur du mois. En même temps, je l’ai reçu uniquement sur mes statistiques du mois. Rien de plus.

Comment expliques-tu ta forme éclatante ?

Sans doute parce que j’évolue dans un rôle plus offensif, presque parfois comme deuxième attaquant, comme lors de ma première saison anglaise lors de laquelle j’avais inscrit huit buts. L’année passée, je jouais davantage comme médian défensif. Comme je suis plus présent dans le box, j’ai plus d’occasions.

Que te demande David Moyes ?

Revenir prêter main forte défensivement, bloquer les médians défensifs adverses et essayer d’aller le plus possible dans le rectangle.

Comment expliques-tu qu’Everton, habitué à gâcher ses premiers tours, ait réussi son début de championnat ?

C’est vrai que ça change ! D’habitude, on est en vacances jusque début novembre puis on se réveille (Il rigole). Je crois qu’on a été aidé par le fait de commencer, à domicile, contre Manchester United. Lors du premier match, au niveau physique, tout le monde part sur le même pied d’égalité. Après sur la longueur, ce sont les équipes qui disposent des gros noyaux qui émergent. Mais pas au début. C’est la raison pour laquelle on regorgeait de confiance pour affronter United. On a réalisé une grosse rencontre et on s’est dit qu’on pouvait rivaliser avec les grandes équipes. Puis, on a enchaîné deux, puis trois victoires. La machine était lancée, la confiance au zénith et les automatismes bien présents puisqu’il s’agissait quasiment de la même équipe que la saison passée (NDLR : seul Kevin Mirallas était nouveau dans le onze de base). Aujourd’hui, tout le monde espère se qualifier pour la Ligue des Champions. Ce qui peut nous freiner, ce sont les blessures puisqu’on ne dispose pas d’un gros noyau.

 » A mon arrivée, j’étais un gamin de 20 ans  »

Everton pratique un beau football et pourtant, l’équipe est toujours qualifiée d’équipe de guerriers…

On joue vraiment bien cette saison. Quand on a des difficultés, on envoie de plus longues balles mais dans l’ensemble, on possède de bons manieurs de ballon comme Leighton Baines, Steven Pienaar, Leon Osman ou même Kevin. On ne peut quand même pas nous comparer à Stoke !

Est-ce si important pour toi de marquer ?

Non. Marquer, c’est un bonus. Je sais que je ne suis pas un pur buteur. Cela ne me fait plaisir que dans la mesure où je peux être décisif pour mon équipe.

En cinq saisons en Premier League, tu es devenu une référence à ton poste. Certains comparent même ton importance sur le jeu à Yaya Touré…

Quand je suis arrivé, j’avais 20 ans, j’étais un gamin ! J’ai fait mon trou, tout doucement. J’ai été freiné par deux graves blessures mais je suis chaque fois revenu plus fort. J’ai vécu plein de choses en cinq ans. J’ai plus de 150 matches en Premier League. J’ai fait mon petit chemin…

C’est plus qu’un petit chemin. Peut-on parler d’accomplissement ?

Pas tout à fait. Il n’y aura accomplissement que lorsque j’évoluerai dans un grand club. C’est la seule chose qui me manque pour me dire que j’ai bien travaillé !

Tu penses que le nombre élevé de cartons pris peut nuire à ton image ?

Tout le monde prend des cartons en Angleterre. J’en ai pris combien cette saison ? Six, sept, huit (NDLR : sept) ? Quel médian ne fait pas de fautes ?

Mais tu es un des médians qui commet le plus de fautes…

C’est vrai ? (Il réfléchit). C’est bizarre. Je joue plus offensivement ; je devrais commettre moins de fautes, non ? Mais, je ne vais pas me laisser faire contre des défenseurs qui veulent m’arracher un pied ou la tête.

C’est ce qui t’a fait réagir de la sorte contre Ryan Shawcross ?

Si l’arbitre, qui voit la faute, fait correctement son boulot, je n’aurais pas été suspendu. Je me suis fait rouler sur cette phase. D’un autre côté, je ne dois pas réagir de la sorte car l’arbitre ne peut se permettre de siffler penalty à chaque faute. Et puis, on jouait contre Stoke. Avant le match, on sait déjà à quoi s’attendre : un combat physique. Le coach nous avait prévenu – ça va tirer. Et pendant toute la rencontre, on te tient le maillot, on commet des petites fautes. A la fin, j’ai vu rouge. Je n’aurais pas dû. C’est ma faute.

 » J’ai mal vécu ma suspension. J’étais dégoûté  »

Tu en as voulu à Shawcross ?

Non, non. Il a essayé de m’arrêter. Il a fait son boulot.

Après ton coup de tête, tu t’es fait démolir par les critiques…

(Il coupe) Et ses mains, elles étaient où ? Toujours sur moi ! Mais sur lui, on ne dit rien. Ce n’est pas grave. C’est un Anglais. Pas touche !

Les critiques t-ont-elles touché ?

Je ne les ai pas vraiment entendues. Le soir, il y avait notre Christmas Party. On était dans un autre délire.

Au moins, cela t’aura permis de rentrer en Belgique pour Noël…

Même pas. Moyes m’a fait travailler individuellement. Il n’était pas content de ma réaction parce que j’avais pénalisé l’équipe. J’étais à peine rentré dans le vestiaire qu’il me reprochait mon geste. Heureusement, sur mes trois matches de suspension, Everton en a gagné deux. Moi, je vivais mal cette mise à l’écart. J’étais un peu dégoûté. Pendant dix jours, j’ai coupé. Je ne lisais plus la presse, je ne regardais pas de foot, je me suis mis dans ma bulle.

Tu comprends la réaction d’Eden Hazard, en demi-finale de Coupe de la Ligue, à Swansea ?

Mais qu’a-t-il fait de mal ? Tout le monde croit qu’il a frappé le ramasseur de balles. Mais il essaye simplement de prendre le ballon. Il a shooté sur le ballon. Pour moi, c’est le gamin qui joue la comédie !

On a l’impression que tu es quand même un peu dans le collimateur des arbitres…

La première saison, j’ai pris 12 cartons jaunes. En fin de saison, un comité d’arbitres s’est déplacé à Everton pour m’expliquer pourquoi j’avais reçu autant de cartons. Conclusion : ils ont avoué que sur ces 12 cartons, certains étaient exagérés. Je me pose alors la question de savoir pourquoi on me les donne, ces cartons ? Sans doute parce que je suis quelqu’un qui ne passe pas inaperçu : je suis grand, j’ai une chevelure qu’on reconnaît.

 » Ma position préférée reste celle de demi défensif  »

Comment définirais-tu le style Fellaini ?

Je sais arracher des ballons, ça, j’en suis sûr. Je sais marquer un but. Je suis bon de la tête. Ma relance, sans avoir la meilleure relance du monde, est correcte. Je sais combiner. Comme médian offensif, je sais mettre les défenseurs en difficulté. Je ne vais pas jusqu’à dire que je fais le ménage dans le rectangle, mais je vois que les défenseurs me surveillent particulièrement. Ils me craignent.

N’as-tu pas l’impression que ton impact physique masque la justesse de ton jeu ?

C’est vrai que parfois on ne souligne pas assez que je sais jouer au football. J’ai beaucoup progressé sur le plan technique et dans la conservation du ballon. Cependant, chaque médaille a son revers. Quand tu joues trop haut, tu perds de l’agressivité dans les duels pour arracher un ballon. Je commence donc à avoir des doutes sur mon poste premier. Or, ma position préférée reste celle de médian défensif !

Comment se déroule ta vie quotidienne en Angleterre ?

Entraînement, sieste, et petite soirée à la maison. En dehors des entraînements et des matches, j’essaye de récupérer le plus possible. Je n’ai pas une vie olé-olé. Je ne fais rien d’extraordinaire. Je vais en ville une fois par mois, pas plus, pour un petit resto de temps en temps. J’ai appris à vivre cloîtré en Angleterre. Lorsque j’évoluais au Standard, je vivais dehors. En Belgique, il y avait les amis, la famille, je bougeais beaucoup plus. Ici, je suis dans une bulle.

Est-ce que ta vie hors football te satisfait ?

Tout le monde croit que la vie d’un footballeur est facile et plaisante mais on est souvent à la maison, on ne peut rien faire, il faut toujours penser à récupérer. Evidemment, chaque footballeur fait ses propre choix. Certains adorent sortir, aller au restaurant mais moi, j’essaye d’être professionnel. A certains moments, j’aimerais sortir davantage. A force de rester pendant des mois à la maison, tu as parfois envie d’exploser. Mais tu ne peux pas.

C’est pour fuir les groupies que tu as quitté Liverpool pour la banlieue de Manchester ?

J’ai lu ça ! Je n’ai jamais dit ça ! J’ai quitté le centre-ville de Liverpool pour être tranquille. A chaque fois que je sortais de chez moi, on me reconnaissait. Ici, moins. Cela n’a rien à voir avec les femmes.

 » Ça me fait plaisir qu’on s’identifie à moi  »

Comment fais-tu pour préserver ton anonymat quand tu sors ?

Parfois je fais attention mais je reste un être humain. Je suis jeune et quand je suis en congé et que j’ai envie de m’amuser, je m’amuse. Je m’en fous de ce que les gens pourraient dire.

A quoi ressemblent tes congés ?

Famille, baignade, bronzage. Il me faut du soleil et vivre autre chose. Car, après, pendant dix mois, c’est boulot, boulot, boulot. Pendant toute l’année, ça parle football, alors, pendant un mois, je coupe. Cependant, j’ai de la chance d’aimer ce que je fais. L’entraînement, c’est un jeu. Je vais au travail pour… jouer !

Est-ce que tu arrives à partager tes moments d’adrénaline avec tes proches ?

Je n’arrive pas à toujours leur faire comprendre ce que je vis. Même moi, parfois je ne me l’explique pas. On ne peut retransmettre l’excitation d’une victoire à Chelsea ou à United. L’année passée, en quart de finale de la Cup, on partage, chez nous, contre Sunderland. On doit donc se taper un replay, là-bas. Evidemment, on ne part pas favori. Alors, quand on gagne 0-2, c’est une excitation intense. D’autant plus que ce match nous permettait de rencontrer Liverpool en demi. Le football, c’est bourré de moments comme celui-là.

Est-ce que la passion du foot anglais te surprend encore ?

Oui. Ce sont des malades du football. C’est beau mais parfois ça me dépasse. Comme lorsque quelqu’un m’arrête dans la rue pour me montrer ses tatouages d’Everton dans le dos. En soirée, on a parfois affaire à des supporters adverses. Une fois, un fan de Liverpool a passé son temps à me tirer les cheveux. Une fois, deux fois, cinq fois, ça commence à être lourd. A ce moment-là, pour éviter les problèmes, il vaut mieux rentrer chez soi.

Qu’est-ce que cela te fait de voir une rangée de supporters avec tes perruques ?

Plaisir. Cela signifie qu’on s’identifie à toi.

Qu’est-ce qui t’attirait dans la vie de footballeur pro ?

Le jeu. Uniquement. Je suis un gagneur. J’ai travaillé pour devenir un des meilleurs de ma discipline.

L’argent fut-il un moteur ?

Franchement, non. Quand tu débutes, tu ne penses pas à l’argent sinon tu as un problème. Tu penses à jouer, t’entraîner, gagner. Et puis à 18-20 ans, tu commences à penser à ton avenir et à ce que le foot t’apporte.

Et la célébrité ?

Je n’ai jamais pensé à cela. Aujourd’hui, cela me fait plaisir d’être reconnu dans la rue. On me respecte. Mais, au fond, je reste quelqu’un de simple.

PAR STÉPHANE VANDE VELDE À MANCHESTER – PHOTOS: IMAGEGLOBE/ KETELS

 » Je n’en veux pas à Shawcross. Il a voulu m’arrêter. Il a fait son boulot.  »

 » Je ne vais pas me laisser faire face à des défenseurs qui veulent m’arracher un pied ou la tête.  »

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