AU FOND DU TROU

Alors que l’équipe n’a pas encore retrouvé toute sa stabilité en championnat, la direction du club minier n’a pas hésité à enfoncer encore un peu plus les joueurs, histoire qu’ils partent à la découverte des racines limbourgeoises.

Louis Vandeweyer (72) est prêt à accueillir les joueurs du RC Genk.  » Je veux bien les faire descendre dans la mine mais je ne sais pas si je vais les ramener tous à la surface « , grimace cet ancien mineur, aujourd’hui guide néerlandophone au charbonnage de Blegny, fermé en 1980. C’est le seul site minier belge dans lequel on peut encore descendre à 30 et 60 mètres sous terre. A Beringen, il existe un musée de la mine et à Winterslag, un simulateur.  » Quand on ferme la mine et qu’on arrête les pompes, les couloirs se remplissent d’eau « , explique Louis.  » Si on pompe toute l’eau, la pression augmente et tout explose. A Blegny, c’est différent car le site se situe à 90 mètres au-dessus du niveau de la mer. Il n’y a donc pas d’infiltration d’eau.  »

Il va au football à Genk depuis qu’il est petit. Ces derniers mois, il s’y amuse moins.  » Cela fait un bout de temps que je dis à mon neveu, qui est médecin du club, qu’il est temps qu’il les amène à la mine, histoire qu’ils voient ce que c’est de travailler dur.  » Il est abonné à Genk depuis la fusion. Avant cela, il était supporter de Waterschei, où il a joué de 1950 à 1956. En 1959, à l’âge de 16 ans, il descend pour la première fois à la mine.  » Je ne voulais plus aller à l’école alors, mon père m’a fait entrer au charbonnage. J’ai commencé à Winterslag, à 660 mètres de profondeur. Après onze ans, j’ai travaillé deux ans chez Ford Genk puis je suis allé à Waterschei, à 1.100 mètres de profondeur.  »

Lorsque le charbonnage ferme ses portes, en 1987, il est prépensionné. À 43 ans. En 1966, déjà, la mine de Zwartberg ferme, ce qui provoque des bagarres. Elles font deux morts. Zwartberg est le charbonnage le plus rentable de Belgique mais Cockerill le ferme parce que ça lui coûte moins cher d’importer du charbon. Fin 1986, Thyl Gheyselinck, manager de crise, annonce la fermeture des mines du Limbourg en plusieurs étapes. Vingt mille personnes perdent leur emploi.

Prise de conscience

Un peu mal à l’aise, les joueurs de Genk se suivent en rang, précédés d’Alex McLeish et accompagnés du directeur général, Patrick Janssens, du directeur sportif, Gunter Jacob, et du directeur organisationnel, Erik Gerits. L’entraîneur écossais est à la base de cette activité de team building. Thomas Buffel avait proposé de jouer aux cartes ou de faire du paintball mais ce fils de docker de Glasgow n’a jamais oublié ses origines. Les joueurs de Genk savent-ils seulement ce que représentent les tours de Waterschei et Winterslag devant lesquelles ils passent chaque jour ?  » Le terrain de Genk est situé sur un sol sacré « , dit Louis Vandeweyer.  » Les terrils qui entourent le stade le montrent. Nous avons travaillé sous ce gazon. Les couloirs sont toujours là, profondément enfouis. Les joueurs comprennent-ils ce qui s’est joué sous leurs pieds ?  »

Ce n’est que la deuxième fois que Louis Vandeweyer fait découvrir le site aux joueurs de Genk. La première fois, l’initiative était venue de Sef Vergoossen. Ce Limbourgeois hollandais estimait très utile de confronter les joueurs aux réalités de leurs supporters. A Roda, il avait déjà emmené ses hommes à la mine de Kerkrade.  » Il y a 25 ans, dans le Limbourg, quand on disait à un joueur que s’il ne courait pas, on l’enverrait à la mine, il savait ce que cela signifiait. Maintenant, ils demandent ce que c’est la mine. Je trouvais important que des joueurs qui ne sont pas de la région comprennent comment leurs supporters gagnaient leur vie. Ce genre de visite leur faisait de l’effet. Il fallait voir leur tête quand on les entassait dans l’ascenseur et qu’on les projetait au sous-sol, dans l’obscurité. Plus tard, nous avons visité Ford Genk, où Wilfried Delbroek travaillait à la chaîne. Cela les avait impressionnés aussi.  »

A Schalke, de telles visites ont lieu régulièrement. Nico Van Kerckhoven a vécu cela pendant six ans. Il a d’ailleurs conservé précieusement la lampe de mineur reçue pour l’occasion. A la mine de Botrop, les joueurs descendaient bien plus bas qu’à Blegny et devaient prendre une douche. Van Kerckhoven n’est pas près d’oublier cette expérience.  » Chapeau aux gens qui faisaient ce boulot. Leur mode de vie et leur salaire étaient bien différents du nôtre. On a beau lui parler de la mine, ce n’est que quand il y descend qu’un joueur se rend compte qu’il n’a pas à se plaindre. Le club faisait cela pour nous apprendre à respecter les fans, à comprendre comment ils gagnaient leur vie.  »

Payés à la prestation

Quand l’ascenseur de la mine se referme, tout tremble. Comprimés comme des sardines, joueurs, dirigeants et journalistes s’enfoncent de 30 mètres dans l’obscurité. La seule lumière est celle de la caméra de la télévision. A Waterschei, les mineurs descendaient encore 580 mètres plus bas avant de trouver la première couche de charbon. À la fin, ils devaient descendre à 1.000 mètres. La température montait de 4 degrés par cent mètres. Il faisait 40 degrés. Je me souviens d’une excursion scolaire à la mine de Waterschei, en 1980. Nous marchions en file indienne dans les couloirs et lorsqu’on s’arrêtait, c’était la panique. Par la suite, j’ai dû me laver pendant des jours. Louis Vandeweyer rigole. Un jour, sa femme est venue le rechercher à la fin de sa journée de travail.  » Quand ma fille m’a vu arriver, j’étais tellement sale et méconnaissable qu’elle s’est mise à pleurer. C’était notre réalité. Un jour, après une défaite, j’ai entendu dire que les joueurs étaient peut-être fatigués. Je n’en croyais pas mes oreilles. Quand je faisais le matin, je me levais à 4 h 30 et je rentrais seulement à 16 heures.  »

À l’époque, les ouvriers voulaient descendre le plus vite possible car ils étaient payés à la prestation. Thomas Buffel et Laszlo Köteles ( » Je ne savais pas qu’autant de Hongrois avaient travaillé ici « ) n’en reviennent pas d’apprendre que chaque mineur était responsable de son matériel alors que les joueurs reçoivent gratuitement leurs chaussures et échangent volontiers leur maillot. Tous les quinze jours, un responsable venait mesurer la quantité de charbon extraite. C’est en fonction de cela que les salaires étaient calculés.

Ils étaient donc différents pour chacun et cela provoquait des accidents.  » Au début, on respectait les consignes de sécurité mais on les oubliait très vite. Tout ce qu’on voulait, c’était gagner plus.  »

Au moment où le guide évoque la mentalité qui régnait au sous-sol, l’entraîneur de Genk tend l’oreille.  » Nous étions tous solidaires et chacun faisait son boulot, du dernier des manoeuvres au plus haut responsable. Nous avions besoin les uns des autres. Je connaissais le nom et la date de naissance de chacun de mes hommes.  » Il y avait aussi des moments très durs.  » Un jour, un Italien m’a dit que c’était son dernier jour de travail. Le lendemain, il devait rentrer dans son pays. Je lui ai souhaité bonne chance mais le soir, on m’a téléphoné : il n’avait pas survécu à sa dernière descente.  »

L’exemple Borkelmans

Les générations de joueurs précédentes n’avaient aucune peine à faire le lien entre le club et la mine. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Pourtant, pratiquement tous les fans viennent du Limbourg. Leurs parents ou grands-parents ont travaillé soit au charbonnage, soit chez Ford Genk. C’est le cas du directeur commercial, Stephan Poelmans, qui est aussi de la visite.  » Mon père a travaillé à la mine de Beringen. Il y a quelques semaines, avec quelques camarades, il a commémoré les 25 ans de la fermeture du charbonnage.  » Le père de Pierre Denier a travaillé à Eisden, tout comme Vital Borkelmans, un des rares professionnels à être descendu au sous-sol. Avant la Coupe du monde, il avait demandé à Vandeweyer s’il était possible de faire visiter la mine de Blegny aux Diables Rouges mais cela n’avait pu se faire.

Denier se rappelle qu’à Winterslag, plusieurs équipiers travaillaient à la mine.  » Mais tant Bahamontes que Michael Kenis bossaient en surface.  » Il regarde autour de lui.  » Mon père disait toujours que quand on ne voyait plus de souris, il fallait remonter car c’était dangereux.  » Ici, il n’y en a pas mais rien ne se passe.

 » Une des choses les plus impressionnantes que j’ai vues dans ma vie !  »

En 1987, la mine de Waterschei ferme ses portes. Comme, en Belgique, personne ne veut porter la responsabilité politique de ce fardeau, on nomme un manager de crise hollandais, Thyl Gheyselinck, qui amène quelques idées de reconversion pour utiliser l’argent ainsi économisé.

Selon lui, il faut consoler la population avec des projets dont elle peut être fière. Autrement dit : c’est avec l’argent économisé sur le dos des travailleurs qu’on fonde le RC Genk. Rien que pour cela, le lien entre le club (voici peu encore considéré comme une entreprise moderne), et le passé ne peut être rompu. En 2012, lorsque la chanson du club est écrite, on exige qu’elle fasse référence aux charbonnages.

Alors que ses joueurs rendent leur casque et leur veste, McLeish remercie chaleureusement le guide.  » You gave me some excellent ideas « , dit-il, l’air sincère.  » Je ne pouvais imaginer meilleur teambuilding. C’est une des choses les plus impressionnantes que j’aie vues dans ma vie. J’espère que les joueurs comprendront qu’ils font un des plus beaux métiers au monde.  »

Pour les jeunes

Erik Gerits, qui est aussi échevin du tourisme, affirme qu’au club, on fera une évaluation de la visite.  » Il est toujours intéressant de connaître la région dans laquelle on travaille ou on habite mais ce n’est pas à moi de dire s’il faut faire une telle visite chaque année ou tous les deux ans. Il faut voir si l’entraîneur y est ouvert, comme McLeish l’était.  » Gerits n’est pas issu d’une famille de mineurs (ses parents exploitaient un hôtel à Genk) et n’était jamais descendu au fond du trou.  » Les joueurs doivent savoir qui sont leurs supporters. Il y a encore de nombreux anciens mineurs dans nos tribunes. Tous nos fans plus âgés ont travaillé soit à la mine, soit chez Ford Genk.  »

Vandeweyer ne pensait pas que la visite aurait un tel impact sur les joueurs. Le lendemain, quand il se rend à l’entraînement de Genk, McLeish est toujours impressionné. Il demande même d’organiser une nouvelle visite pour sa famille. Le guide espère que le club systématisera cette initiative. Mieux encore : il aimerait que cela se fasse dès les équipes d’âge.  » Avant, il n’était pas nécessaire d’expliquer tout cela aux jeunes, ils connaissaient tous quelqu’un qui travaillait ou avait travaillé à la mine. Aujourd’hui, ils voient les tours mais n’ont pas la moindre idée de ce qui se passait au sous-sol « .

PAR GEERT FOUTRÉ – PHOTOS: KOEN BAUTERS

C’est avec l’argent économisé grâce à la fermeture des mines que le RC Genk a été financé.

Impressionné, McLeish a demandé d’organiser une visite pour sa famille.

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