Au-dessus de la ceinture

L’ancien coach fédéral analyse les forces en présence avant le choc de samedi.

Il fut joueur (de 1972 à 1981) et entraîneur (de 1989 à 1991) de Bruges, où il habite toujours. Il fut aussi entraîneur d’Anderlecht (de 1987 à 1988), à un stade sans doute trop précoce de sa carrière. Ces derniers mois, il était sans club et a eu tout le loisir d’observer ces deux formations à distance, que ce soit en championnat ou en Coupe d’Europe. Georges Leekens a accepté d’analyser les forces en présence, avant le choc de samedi prochain.

Pourquoi Bruges domine-t-il aussi outrageusement la compétition?

Georges Leekens: L’équipe est demeurée pratiquement identique à celle de la saison dernière. Elle a encore été renforcée par les acquisitions de Spilar, Serebrennikov, Stoica et Saeternes. Actuellement, ces renforts sont blessés, mais le système est bien en place. Lors de certains matches, Bruges a bénéficié d’un peu de réussite également. La domination du Club permet de constater à quel point il existe une différence entre le championnat de Belgique et la compétition européenne. Au niveau des buts marqués, notre compétition est l’une des plus prolifiques avec une moyenne de plus de trois buts marqués. Mais, pour les clubs belges engagés sur la scène européenne, trouver le chemin des filets pose un réel problème. A Moscou, Bruges me semble avoir manqué d’ambition. C’est dommage car il y avait un beau coup à jouer. Galatasaray et le Lokomotiv auraient dû, sans hésitation, terminer derrière les Flandriens. On verra maintenant jusqu’où les Brugeois peuvent aller en Coupe de l’UEFA. Jamais de changement tactique? Mon oeil!

Parlons du système tactique: un 4-3-3 à Bruges et un 4-4-2 à Anderlecht?

C’est la théorie. Au départ, Trond Sollied avait déclaré qu’il ne changerait jamais de système. On vient d’avoir la preuve qu’en football, il ne fallait jamais dire jamais. Trond Sollied a eu l’intelligence de changer. Il s’est adapté à l’arrivée d’Alin Stoica. A la Ligue des Champions aussi. Il n’a pas joué de la même manière contre Beveren en championnat qu’à Barcelone, en Ligue des Champions. Un système de jeu doit servir à mettre les qualités des joueurs en évidence. Pas leurs défauts. Cette saison, outre son 4-3-3 traditionnel, Bruges a déjà évolué en 4-4-2, en 3-5-2 et en 3-4-3.

A Anderlecht aussi, Hugo Broos a souvent changé. Dans son cas, cela signifie qu’il n’a pas encore trouvé la bonne combinaison, car lorsque l’équipe tourne, il n’est pas partisan d’une tournante. Certains joueurs n’ont pas répondu à ce qu’il attendait d’eux. Prenons l’exemple de l’arrière droit, pour ne citer que celui-là. Devant, il n’a pas encore trouvé l’attaquant idéal non plus. Il a essayé tantôt Seol, tantôt Zane, tantôt Jestrovic. Il a aussi changé son système pour remettre certains joueurs en confiance, alors que le doute s’installait. Au lieu de jouer avec un attaquant, il a aligné un attaquant de pointe et un autre en retrait. Gilles De Bilde évoluait parfois davantage comme demi offensif que comme attaquant. Mais je connais Hugo Broos: lorsque l’équipe aura trouvé le rythme, il reviendra à son système habituel.

Comment Trond Sollied devrait-il se comporter sur le long terme?

S’il reste à Bruges, il devra veiller à conserver son groupe, mais aussi à lui apporter du sang frais, comme il l’a fait cette saison avec les transferts, afin de provoquer une certaine émulation et éviter que les joueurs en place ne se complaisent dans une certaine sécurité. Il devra aussi intervenir au moindre problème, comme il l’a fait en renvoyant Andrés Mendoza dans le noyau B pendant trois matches. La discipline doit régner.

On avait craint que l’arrivée d’Alin Stoica puisse perturber un groupe bien en place depuis des années. Cela ne semble pas être le cas.

Son arrivée a apporté de la qualité technique et de la créativité. Jusque-là, Bruges, c’était surtout solide… Le joueur roumain a su gagner le respect de ses partenaires. Il s’est mis au diapason du groupe, où l’on a toujours été habitué à se dépenser. A Bruges, le groupe a toujours été plus important que les individualités. S’il faut en désigner, j’estime que le véritable patron de Bruges est Timmy Simons. Il ne fait jamais de déclaration fracassante, mais démontre son utilité sur le terrain. C’est un grand professionnel qui me rappelle, sous certains aspects, la force tranquille qu’incarnait Franky Van der Elst. Je regrette que, lors de certains matches, il soit amené à évoluer en défense, car son rayonnement m’apparaît plus grand dans l’entrejeu. Gaëtan Englebert a aussi beaucoup progressé. Il a mûri, a pris plus d’assurance, est devenu adulte si je puis m’exprimer ainsi. Il affiche désormais sa personnalité sur le terrain, ce qui n’était pas encore le cas voici une ou deux saisons. Ce sont deux joueurs-clefs, dans un secteur-clef. Je ne pense pas que Bruges serait aussi performant sans eux.

Anderlecht manque-t-il de personnalités?

A Anderlecht, lorsque des problèmes surgissent, les joueurs ont plutôt tendance à se cacher. Et à rejeter la responsabilité d’un échec sur autrui. A Bruges, le groupe se soude dans la difficulté. C’est la grande différence.Trop de joueurs, ce n’est pas bon

Le Sporting a-t-il loupé ses transferts?

En principe, un joueur étranger devrait apporter un plus. S’il évolue au même niveau que les autres, il n’est d’aucune utilité. Mais un club belge a-t-il encore les moyens d’acquérir des joueurs du top? Il est parfois préférable de faire un effort pour garder ce que l’on a sous la main. Anderlecht me donne parfois l’impression d’avoir 30 joueurs du même niveau. Lorsque le 28e élément commence dans le onze de base, ce n’est jamais bon signe. Dans une équipe, il doit y avoir une certaine hiérarchie. Personnellement, en tant qu’entraîneur, j’ai toujours détesté avoir trop de joueurs. Je préfère avoir deux bons joueurs que quatre moyens. Si Pär Zetterberg revient en janvier, il devra être capable de porter l’équipe. Des joueurs qui portent l’équipe, c’est ce qui manque pour l’instant à Anderlecht. Pour les nouveaux, ce n’est pas facile de remplir ce rôle. Cela devrait plutôt être la mission des anciens: un Glen De Boeck derrière, un Yves Vanderhaeghe ou un Walter Baseggio dans l’entrejeu. C’est à eux de tirer les ficelles et d’aider les nouveaux à s’intégrer progressivement. Car on ne peut pas attendre de Martin Kolar qu’il soit d’emblée un leader. Même s’il a beaucoup de talent, ce n’est pas encore Robby Rensenbrink. Il a brillé en début de saison mais paraît éprouver le besoin de souffler actuellement.

Hugo Broos procède-t-il de la bonne manière?

Ce n’est pas facile de débarquer dans un club, en juillet qui plus est. Trond Sollied en est à sa troisième saison à Bruges et il connaît son groupe sur le bout des doigts. Hugo Broos est arrivé à un moment où le groupe était déjà constitué par son prédécesseur Aimé Anthuenis, qui avait d’ailleurs dispensé les premiers entraînements. Il a encore pu réaliser le transfert de Michal Zewlakow. C’est peu. Hugo Broos aurait dû débuter à Anderlecht deux ou trois mois plus tôt pour pouvoir réellement imposer sa griffe. Un groupe, cela se forme: par l’assimilation d’un système de jeu, par la connaissance de ses partenaires, par la confiance. Actuellement, Hugo Broos doit encore trouver le juste équilibre. Il a fréquemment changé son équipe-type et même son système de jeu. Ce n’est pas dans ses habitudes. Pour l’instant, il table d’abord sur les résultats pour, ensuite, essayer d’élever le niveau de jeu. Il a intérêt à rester calme, comme il le fait actuellement. A ne pas réagir aux critiques, mais à continuer à travailler selon ses idées. Il n’est pas émotif, c’est un atout lorsqu’on officie à Anderlecht.

Anderlecht aurait-il intérêt à acheter durant le mercato d’hiver?

Il faut d’abord rendre confiance aux joueurs. Trop souvent, jusqu’à présent, ils ont évolué au même rythme que l’adversaire. C’est à eux à dicter le rythme d’une rencontre, pas à l’équipe qu’ils reçoivent. Ils doivent aussi retrouver une certaine solidarité. Pas seulement dans les journaux, mais sur le terrain. Mais le club devrait peut-être aussi procéder à un nettoyage. A Roda JC, il y a un an, le groupe était vidé. Cela figurait d’ailleurs dans le rapport de Sef Vergoossen, qu’il a rédigé en quittant Kerkrade. Jan van Dijk, qui lui avait succédé, a été confronté à l’héritage du passé. Un peu comme Hugo Broos à Anderlecht actuellement. Le club s’est alors séparé de certains joueurs qui n’avaient plus le feu sacré, de certains membres de l’entourage du club. Cela peut contribuer à rendre l’ambiance meilleure. Et cela peut expliquer pourquoi, avec les mêmes joueurs, on gagne tout une année et on perd tout l’année suivante.Les jambes, le coeur et la tête

Le talent est-il toujours supérieur à Anderlecht?

Intrinsèquement, et individuellement parlant, j’estime que Bruges et Anderlecht sont à peu près du même niveau. Mais les automatismes sont mieux rôdés dans la Venise du Nord. Vis-à-vis des autres clubs, la différence s’est amenuisée. Il y a toujours plus de talent au Sporting qu’ailleurs, mais autrefois c’était le double. Aujourd’hui, c’est moins criant. Les Bruxellois devraient compenser cette perte de talent par une meilleure organisation, une plus grande concentration, un réalisme accru devant le but adverse. Ce n’est pas encore le cas. Le véritable talent d’Anderlecht, c’est Aruna Dindane, mais il n’a pas encore la maturité et l’intelligence de jeu pour se fondre dans le jeu collectif. Anderlecht a toujours su jouer au ballon, mais doit aujourd’hui apprendre à jouer sans ballon. En créant de l’espace pour un partenaire, en se rendant disponible pour le porteur du ballon, en fournissant l’effort pour récupérer le cuir lorsqu’il est perdu. Le talent n’est pas la seule composante d’un joueur de football. Le talent, ce sont les jambes. Mais il y a aussi, dans la partie supérieure du corps, le coeur. Qui incarne la combativité. Et, encore plus haut, la tête. D’où provient l’intelligence de jeu? C’est sans doute au-dessus de la ceinture que se situent les problèmes du Sporting.

La pression s’accentue à Anderlecht.

La pression est toujours beaucoup plus intense qu’à Anderlecht qu’ailleurs. Au moindre raté, la critique fuse. Il faut pouvoir la supporter. L’ambiance brugeoise est plus sereine. Actuellement, le Club poursuit son petit bonhomme de chemin le plus tranquillement possible. Comme cela a toujours été le cas. Anderlecht, c’est spécial. Les joueurs et entraîneurs qui travaillent au Parc Astrid ont signé leur contrat en connaissance de cause. Ils doivent composer avec cet élément. Mais, quand on joue à Anderlecht, on gagne en principe mieux sa vie qu’à Westerlo. Il faut donc pouvoir s’en montrer digne.

Chaque année, Bruges démarre au quart de tour mais cale lors de la deuxième partie du championnat.

Je ne pense pas que ce sera encore le cas cette saison. Le noyau est plus élargi, et les blessés devraient revenir après la trêve de Noël, ce qui renforcera encore le groupe en qualité.

A l’heure actuelle, doit-on déjà considérer que le championnat est joué?

Ce ne sera pas facile pour Anderlecht de revenir, c’est une certitude. Mais la décision finale, forcément, n’est pas encore tombée. Ce serait triste si un club de l’envergure du Sporting jetait déjà le gant avant la trêve de Noël. Pour l’intérêt du championnat, il y aurait intérêt à se que les Bruxellois s’imposent au stade Jan Breydel.

Comment devraient-ils se comporter pour cela?

En principe, lorsqu’il est dos au mur, le Sporting a toujours su réagir. Je me souviens d’un but de Bertrand Crasson qui avait donné la victoire aux Bruxellois, voici deux ans. Mais il faudra voir si Anderlecht abordera réellement le match avec l’objectif de gagner, ou s’il évoluera d’une manière frileuse, en observant le déroulement des événements pour éventuellement réagir. Si le Sporting laisse Bruges entrer dans le match et développer son jeu, avec l’appui des supporters locaux, il n’aura aucune chance. Personnellement, j’estime que le match se jouera dans l’entrejeu. Il y a la paire Simons-Englebert d’un côté, et la paire Vanderhaeghe-Baseggio de l’autre. Mais la bataille de l’entrejeu peut aussi se gagner sur les flancs. Lorsque Olivier De Cock et Peter Van der Heyden montent dans leur couloir, ils créent le surnombre au milieu du terrain. A la place d’Hugo Broos, j’essayerais donc d’empêcher les deux arrières latéraux brugeois de monter. Et peut-être, aussi, de profiter de la lenteur de l’axe central défensif brugeois en utilisant la vitesse d’Aruna Dindane. Mais je ne suis pas à la place d’Hugo Broos.

Daniel Devos

« Anderlecht devrait peut-être procéder à un nettoyage »

« Si Broos change souvent de tactique c’est qu’il n’a pas encore trouvé la bonne »

« Le véritable talent d’Anderlecht, c’est Dindane »

« Le véritable patron de Bruges, c’est Simons »

« Cette fois, Bruges ne calera pas dans la deuxième partie de championnat »

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