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Au bonheur des dames

Un an et demi après que Marc Couke eut placé le foot féminin dans la tourmente, les dames d’Anderlecht ont sans doute vécu le plus beau moment de la campagne européenne de l’histoire du club. Si elles parviennent à éliminer le BIIK Kazygurt au terme du match retour au Kazakhstan, c’est un vrai ténor de la Champions League qui les attend.

Tony Britten, le compositeur du célèbre hymne de la Champions League, n’en aurait pas cru ses oreilles s’il avait été présent mercredi passé au Lotto Park. Les quelques centaines de spectateurs qui garnissaient les travées ont entendu, lors de l’entrée des deux équipes sur le terrain, un étrange refrain pop qui ne restera pas très longtemps dans la tête des amateurs de football.

Jusqu’il y a quelques mois, les clubs pouvaient diffuser la chanson de leur choix lors de la présentation des équipes – n’importe laquelle, sauf l’hymne des hommes -. Celui qui s’y risquait, écopait d’une amende. L’an passé, avant le coup d’envoi du quart de finale entre LSK Kvinner et Barcelone, c’est O Fortuna de Carl Orff qui avait retenti.

Depuis cette saison, la Women’s Champions League dispose de son propre hymne : la puissante machine marketing de l’UEFA a composé un refrain destiné à être diffusé dans tous les stades d’Europe.  » L’hymne des dames reste beaucoup moins en tête que celui des hommes « , reconnaît le match delegate tchèque d’Anderlecht – BIIK Kazygurt.  » Mais l’UEFA a estimé qu’elles devaient avoir un hymne qui leur est propre…  »

Un stade presque vide

Au Lotto Park, qui a encore accueilli quelques ténors du football européen comme le Bayern Munich ou le PSG en 2017, les supporters doivent désormais s’habituer à la version féminine de la Ligue des Champions. En l’absence de la Mauves Army, le public clairsemé qui garnissait la tribune 3 a dû se contenter d’une voix juvénile qui encourageait le RSCA Ladies en entonnant We are Anderlecht et Qui ne saute pas n’est pas bruxellois avec un mégaphone.

Une tentative louable de mettre un peu d’ambiance dans un stade presque vide. Le football féminin ne fait pas (encore) recette à Anderlecht qui a partagé l’enjeu (1-1) dans cette manche aller. Depuis la réforme du tournoi en 2009, aucun club belge n’était encore parvenu à atteindre les 16es de finale de la Champions League. Rien que pour ça, les joueuses auraient mérité plus d’attention.

 » La Ligue des Champions apporte un cachet supplémentaire à la saison « , affirme la capitaine d’Anderlecht Laura De Neve.  » En Belgique, le championnat de D1 ne compte que six équipes, ce qui ne le rend pas particulièrement attrayant, et l’Europe peut permettre de retenir des joueuses au pays ou d’attirer des étrangères. Mais on ne peut pas se comparer à des clubs comme Lyon. On devrait, dans un premier temps, prendre exemple sur des clubs du subtop européen comme la Juventus.  »

Kazygurt vise haut

Encore davantage que chez les hommes, la Women’s Champions est l’apanage d’un seul club : l’Olympique Lyonnais. Le club français a remporté six des dix dernières éditions et a été finaliste à deux autres reprises. Les initiés estiment que l’OL devra faire face à une concurrence accrue cette saison, notamment de la part du FC Barcelone.

Au cours des prochaines années, le BIIK Kazygurt, qui participe régulièrement au grand bal des champions depuis 2012, a aussi l’ambition de battre en brèche l’hégémonie française. Son président a même fait de la Champions League un objectif prioritaire. Un centre d’entraînement a été bâti, qui comprend dix terrains, une salle omnisport, une piscine et un hôtel de 240 chambres.

La manne financière est utilisée pour attirer des joueuses américaines, canadiennes, zambiennes et nigérianes à Chimkent, la troisième ville du Kazakhstan en termes d’habitants.  » Cette saison, nous ne pouvons pas encore viser une finale. Pour gagner, il faut certes avoir de l’argent et de bonnes joueuses, mais aussi de bonnes structures « , affirme Kaloyan Petkov, l’entraîneur du BIIK Kazygurt.

Lorsqu’on voit d’où on vient, c’est presque un miracle que nous soyons parvenus à remporter un deuxième titre d’affilée.  » Patrick Wachel

 » Le championnat du Kazakhstan, ou ce qu’on considère comme tel, nous joue aussi des tours. Nous avons déjà remporté le titre huit fois consécutivement et ce n’est pas près de changer. J’essaie de motiver mon équipe artificiellement en organisant des matches amicaux contre des hommes…  »

Invitées au Fan day

À Anderlecht, on ne parle pas de succès final en Ligue des Champions. Les joueuses sont déjà très heureuses de figurer parmi les meilleures équipes d’Europe. La section féminine du club revient de loin. Il y a cinq ans, il était impensable que des filles puissant fouler la pelouse du Parc Astrid. L’accès à Neerpede leur était également interdit. Elles ont été priées de trouver refuge à la RSCA Football Academy, et sur les réseaux sociaux, on trouvait peu d’informations sur leurs évolutions.

Le contraste avec la réalité d’aujourd’hui est saisissant. D’ici peu, le RSCA Ladies prendra possession d’un nouveau vestiaire à Neerpede et les joueuses peuvent faire quotidiennement appel à Kristof Sas, responsable du département médical, et à Glenn Vercauteren, kiné en chef.

 » Certaines personnes ignoraient tout simplement qu’Anderlecht possédait une équipe féminine « , affirme le coach et manager sportif Patrick Wachel.  » Je ne citerai pas de nom, mais au sein du club, lorsque j’ai commencé mon travail il y a quatre ans, tout le monde n’était pas convaincu du potentiel qu’offrait le football féminin. Un an après mon entrée en fonction, j’ai discuté avec la direction.

Roger Vanden Stock était favorable à l’idée de développer l’équipe A, mais tout le monde n’était pas prêt à le suivre. J’ai fait clairement comprendre que cela ne m’intéressait pas de commencer si je ne pouvais pas m’appuyer sur un projet concret. Et regardez où nous en sommes aujourd’hui. Autrefois, on se contentait de mentionner le nom des joueuses sur le site internet, et c’était tout. Aujourd’hui, elles ont été invitées, lors du fan day, à participer à une séance de dédicaces aux côtés de Michel Vlap et consorts. J’ai désormais le sentiment qu’on fait partie intégrante du club. »

Shannon McCarthy (à gauche) du BIIK Kazygurt, ici au duel avec l'Anderlechtoise Tine de Caigny :
Shannon McCarthy (à gauche) du BIIK Kazygurt, ici au duel avec l’Anderlechtoise Tine de Caigny :  » On fait partie d’une génération spéciale. Dans dix ans, on pourra dire : j’y étais! « © BELGAIMAGE

Ni joueuses ni staff le 9 mai

Le changement de cap n’a été initié qu’après l’épisode Marc Coucke, qui projetait d’enterrer la section féminine du club. Pourtant, Anderlecht venait de fêter un premier titre de champion de Belgique depuis 20 ans. 16 mois plus tard, les traces du conflit verbal ne sont pas encore totalement effacées. À Neerpede, le sujet reste sensible.

Selon certaines personnes qui fréquentent encore le club, le responsable de la section féminine, Robert Steeman, aurait organisé une réunion à laquelle ni le staff technique ni Coucke n’aurait été invité. Le président du Sporting a cependant assisté à la réunion. Coucke aurait alors été pris à partie par au moins une joueuse, et dans la foulée de cet incident, Steeman aurait reçu son C4.

Coucke a ensuite fait jouer ses relations personnelles chez Proximus et Hello Bank pour réunir le budget nécessaire au fonctionnement de l’équipe dames. Wachel :  » Au lendemain de cette réunion tumultueuse, j’ai reçu un coup de téléphone de Coucke. Patrick, les rumeurs qui circulent sont sans fondement. Je souhaite que la section féminine continue à exister. Cela t’intéresse-t-il d’ajouter à ta fonction de coach celle de manager de la section féminine ?

Nous étions le 9 mai. Je n’avais ni joueuses, ni staff. Chez les dames, habituellement, chacun se désaffilie à la fin mars et on négocie ensuite un nouveau contrat. Lorsqu’on voit d’où on vient, c’est presque un miracle que nous soyons parvenus à remporter un deuxième titre d’affilée. »

Chou blanc pendant 20 ans

À Anderlecht, jusqu’en 2018, on avait fait chou blanc pendant 20 ans. L’histoire d’ Ella Van Kerkhoven résume à elle seule tout le chemin accompli par les Bruxelloises durant un court laps de temps. Lorsque Wachel a entamé la préparation de la saison 2016-2017, il a dû constater, à son grand désappointement, qu’il ne disposait d’aucune attaquante.

Il connaissait encore Van Kerkhoven de l’époque où il avait envisagé de la faire venir au Standard, et lors d’un stage en Suisse, l’idée lui est venue de reconvertir cette défenseuse en attaquante. À cause de la concurrence avec deux internationales, elle avait très peu joué la saison précédente et une éventuelle reconversion était susceptible d’accroître son temps de jeu.

 » Ella n’a pas été convaincue tout de suite « , se souvient Wachel.  » Je lui ai simplement dit : essayons, ça ne coûte rien. Son entourage m’a critiqué, tout comme le sélectionneur national Ives Serneels. Durant sa première saison, elle a inscrit 14 buts et a délivré 12 assists. On a terminé avec le même nombre de points que le Standard, mais on a perdu le titre en raison d’une différence de buts défavorable.

La saison suivante, Ella a inscrit 29 buts, et l’an passé, 25. Faites le compte : ça fait 68 buts en trois saisons. Au bout du compte, elle est devenue une valeur sûre chez les Red Flames. Comme attaquante de pointe… En juin, elle a marqué trois fois contre la Thaïlande, et tout récemment, deux fois contre l’Angleterre. Aujourd’hui, elle joue à l’Inter Milan. »

Sur la carte mondiale

Un salaire avec quatre zéros, comme c’est le cas à Lyon, représenterait un budget annuel de dix millions d’euros. Les joueuses belges ne doivent donc pas rêver. Mais Wachel pense que la participation à la Champions League et les beaux transferts réalisés par quelques joueuses belges ont changé l’état d’esprit qui règne dans les vestiaires de première division.

 » Les filles commencent à parler ouvertement d’une possible carrière professionnelle. À plus forte raison lorsqu’une coéquipière qu’elles ont côtoyé pendant cinq ans leur dit : je pars à l’Inter Milan. Elles se disent alors qu’elles seront peut-être les suivantes. Elles prennent conscience qu’elles doivent partir à l’étranger pour pouvoir vivre du football.  »

 » Pour nous, il est essentiel que la Ligue des Champions continue à se développer chaque année. Et grâce à la dernière Coupe du monde, le football féminin se trouve enfin au niveau auquel il devait être depuis longtemps « , explique Shannon Mccarthy, l’une des quatre joueuses américaines du BIIK Kazygurt.

 » On fait partie d’une génération spéciale. Dans dix ans, on pourra dire : j’y étais ! C’est fantastique. J’espère que nos accomplissements pourront inspirer la génération suivante. « 

Une Women’s Champions League peu lucrative

La Women’s Champions League est très en retard par rapport à son homologue masculine. Si l’on se fie à l’ UEFA financial report de la saison an 2017-2018, le dernier rapport rendu public par l’union européenne de football, il apparaît que sur un budget de 2,8 milliards d’euros, seuls 6,2 millions ont été réservés à la version féminine de la Ligue des Champions. Une somme similaire est consacrée à la Youth League (5,9 millions d’euros) et au Championnat d’Europe U19 (5,8 millions d’euros) chez les garçons. L’organisation du Championnat d’Europe U21 en Pologne en 2017 a même coûté 7,8 millions d’euros.

Les montants que les clubs participants percevront cette saison sont dérisoires. 70.000 euros pour les seizièmes de finale, 75.000 pour les huitièmes, 80.000 pour les quarts et 85.000 euros pour les demis. Le finaliste battu percevra 100.000 euros supplémentaires et le vainqueur du tournoi empochera un chèque de 150.000 euros. Au total, le lauréat peut espérer 460.000 euros cette saison. À titre de comparaison : chez les messieurs, le Real Madrid et Liverpool, les deux finalistes de l’édition 2017-2018 de la Champions League, ont perçu respectivement 88,7 millions d’euros et 81,3 millions d’euros.

Anderlecht ne réalisera donc aucun bénéfice de sa participation à la Ligue des Champions. Si les Mauves étaient éliminées au terme de leur expédition au Kazakhstan, elles percevraient au maximum 260.000 euros de l’UEFA. Cette somme a été revue à la hausse parce que les clubs qui ont organisé un tournoi qualificatif – ce qui est le cas du Sporting – ont droit à une indemnité. Cet argent a été utilisé pour pour payer les arbitres et l’hôtel, le transport et les repas des différentes délégations. Heureusement pour Anderlecht, aucune prime collective n’a été négociée pour la participation au tournoi.  » Le voyage au Kazakhstan coûte au moins 1.200 euros par personne « , révèle Patrick Wachel.  » Pour l’instant, la Ligue des Champions est loin d’être lucrative. Mais elle vaut quand même la peine d’être vécue.  »

Grâce aux accords de sponsoring conclus avec Nike et surtout VISA, on peut espérer une amélioration à l’avenir. Avec VISA, il est même question d’un vrai partenariat parce que c’est le premier sponsor de l’UEFA qui s’occupera exclusivement des compétitions féminines. Jusqu’en 2025, le géant de la carte de crédit s’attachera à améliorer la visibilité de la Women’s Champions League, du Championnat d’Europe de jeunes jusqu’à la catégorie U17 et du Championnat d’Europe de Futsal.

Des discussions informelles avec des représentants de l’UEFA laissent penser qu’il existe un projet concret pour adopter un format similaire à celui des hommes d’ici à 2021. Donc, avec une phase de groupes au sein de laquelle chaque équipe se rencontrera deux fois. L’UEFA est persuadée que cette formule générera plus d’argent que les 412.000 euros que la compétition avait rapporté il y a deux saisons.

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