« Attention, je suis une fausse blonde et j’ai un sale caractère « 

L’échevine des Sports carolo a choisi sa tactique pour gérer le difficile héritage du passé et les dossiers chauds d’aujourd’hui : rentrer dedans.

I ngrid Colicis (35 ans) est l’échevine des Sports carolo mais on ne la voit jamais au Stade du Pays de Charleroi. Elle y est allée juste une fois, à l’occasion du départ de la Flèche Wallonne. Mais elle a vite fait demi-tour, après s’être fait traiter de connasse, en public, par Mehdi Bayat.  » Je ne voulais pas m’y rendre mais on m’avait presque fait sortir de force de mon bureau pour que je sois présente !  »

En juillet de l’année dernière, cette socialiste toujours souriante et souvent rentre-dedans a repris la fonction que Philippe Van Cauwenberghe (fils de Jean-Claude) avait occupée durant quelques mois avant d’être emporté par la valse des inculpations et des démissions forcées. Dès son premier jour d’échevine, Ingrid Colicis a compris que ses relations avec la famille Bayat allaient être catastrophiques. Rien ne s’est arrangé entre-temps.

Découverte provoc d’une fausse blonde – elle le dit elle-même…

Une femme qui devient échevine des Sports, c’est comme un homme qui devient prof de couture !

Ingrid Colicis : C’est un vieux cliché bourru et macho des mecs de la troisième mi-temps. Moi, j’aime les troisième mi-temps et le sport. Si je n’en fais pas tous les jours, je meurs : jogging, VTT, natation, pilates (travail sur les abdominaux),… Je me sens bien dans mon rôle et j’ai un côté masculin. On peut me lâcher seule au milieu d’un groupe d’hommes, je parlerai comme eux.

Vous allez essayer de me faire croire que vous avez toujours rêvé de devenir échevine des Sports ?

Mes objectifs étaient sur d’autres terrains au départ : le logement, le social, la toxicomanie, etc. Des sujets importants à Charleroi. Quand il a redistribué les cartes en juillet 2007, Paul Magnette m’a parachutée aux Sports. C’était un nouveau monde pour moi, mais aujourd’hui, je peux dire que c’est mon truc.

Le sport carolo, c’était un champ de ruines quand vous l’avez découvert de l’intérieur ?

Les infrastructures, c’était… je ne dirais pas un champ de ruines, mais Sarajevo – parce qu’il y a encore de beaux quartiers là-bas, même après la guerre. J’ai aussi découvert un moral à zéro après toutes les affaires et les amalgames – dont certains justifiés – qu’on faisait avec certains clubs. Et une forte concentration de moyens sur les clubs de l’élite dans deux sports : le football avec le Sporting et le basket avec les Spirous. Les investissements dans les autres disciplines et les autres clubs avaient été minimes. Les piscines sont dans un état catastrophique et il a fallu fermer l’Helios, qui représentait 40.000 entrées par mois. Il y avait aussi une sous-exploitation de certains quartiers propices au sport pour tous. Quand on monte au sommet d’un terril, on ne voit pas un Pays Noir mais un pays vert, des parcs, des routes du réseau RAVEL, etc. Mais aucun effort n’était fait pour des sports comme l’athlétisme, le jogging, le VTT. Le Stade Jonet est dans un état lamentable. Bref, on faisait porter tous les efforts sur quelques grands clubs et on négligeait tout le reste. Le Spiroudôme est magnifique et bien géré. Le stade du Sporting est un vrai stade de D1… même si nous avons quelques soucis avec le Conseil d’Etat. Action 21 et La Villette sont bien logés aussi. Mais après tout cela… Presque partout ailleurs, c’est le règne des champignons dans les vestiaires et de l’eau froide dans les douches.

 » On a investi dans l’image et les paillettes, pas dans l’avenir « 

Charleroi-la-Sportive, c’était donc de la poudre aux yeux ?

Pas uniquement. Parce que c’est quand même important d’obtenir de grands résultats avec les clubs porte-drapeaux de la ville. Mais la formation des jeunes, est aussi essentielle. J’ai donc inversé le système en imposant aux clubs d’élite de se prendre un peu en charge et en donnant plus de moyens aux petits clubs. Dans le passé, ils avaient déjà l’envie de former des jeunes, mais cette volonté n’était pas du tout présente du côté de la Ville. J’ai aussi voulu faciliter l’accès au sport aux couches défavorisées. A Charleroi, 30 % de la population vit sous le revenu minimum : il faut en tenir compte et j’ai développé le système du chèque sport qui offre une réduction sur les cotisations, en fonction des revenus. Une dame m’a récemment apostrophée au cinéma : -Si on ne reçoit pas de chèque sport, ma fille ne pourra pas faire d’équitation cette année. C’est ça, Charleroi.

Qu’est-ce que le PS a fait au sport carolo ? Un vrai cadeau ou un cadeau empoisonné ?

Ce n’est pas le PS qu’il faut pointer du doigt. Ce qui pose problème, c’est la politique de l’échevin des Sports précédent – NDLA : Claude Despiegeleer. On n’a pas investi dans l’avenir mais dans l’image, dans les paillettes.

Finalement, le malheur des gros bonnets a fait le bonheur des petits. Le collège actuel n’a-t-il pas l’impression de s’être bâti sur les problèmes des anciennes gloires ?

Il y a quelque chose de vrai là-dedans. Ce n’est pas un collège porteur de milliers et de milliers de voix de préférence comme l’était l’ancien. Certains ne se privent d’ailleurs pas de nous le faire remarquer. Mais il y avait une situation exceptionnelle et il fallait la gérer. Si ce collège a l’inconvénient de ne pas être hyper représentatif, il a l’avantage de nourrir une vraie vision pour la ville. Il n’est plus composé de personnes concentrées sur leur petit bastion. On y trouve maintenant trois avocats, un ingénieur, un économiste : c’est autre chose, un autre niveau, une autre manière de voir les choses.

 » Jean-Jacques Viseur ne sera jamais un tonton et je ne serai jamais la tata des Bayat « 

Parlons de foot. Est-il vraiment impossible de faire cohabiter deux clubs dans un même stade à Charleroi ?

Actuellement, ce n’est pas possible parce que le Stade du Pays de Charleroi n’est pas conçu pour héberger deux clubs. Mais la cohabitation Sporting-Olympic devra être envisagée dans le long terme, dans le futur nouveau stade. La seule chose qui me tracasse un peu, c’est qu’il y a les Zèbres et les Dogues.

Vous pensez qu’il existe encore une vraie rivalité entre les deux clubs ?

Non mais les Zèbres ont une âme au Mambourg et les Dogues ont la leur à la Neuville. C’est une question instinctive, une question de territorialité. Il faudra gérer la disparition de ces âmes quand les deux clubs déménageront.

C’est vraiment impossible de les réunir au Mambourg jusqu’à la construction d’un nouveau stade ? Ce ne serait pas idiot, vu l’état pitoyable des installations de l’Olympic.

Je ne suis pas contre l’idée. Mais le Sporting ne s’est pas toujours montré très accueillant. Non, je corrige… Les Bayat ne se montrent pas très accueillants. Le Sporting, c’est un tout, dont les supporters. Et je n’ai aucun problème avec eux. Au contraire, ils me font savoir que j’ai raison de tenir tête aux Bayat. Le bourgmestre ne sera jamais un tonton – NDLA : référence à Mogi Bayat qui parlait de Tonton Despiegeleer et Tonton Van Gompel – et je ne serai jamais une tata… Et pour ce qui est de l’état du stade de l’Olympic… C’est vrai qu’il est vieillot mais je trouve qu’il a beaucoup de charme. Quoi qu’il arrive, il restera un stade de football dans le futur : pour des entraînements ou pour les matches d’une équipe Première comme Couillet, par exemple.

Où en est-on dans le conflit financier qui oppose la Ville au Sporting ?

La prochaine étape, c’est le mini-trial. Je traduis ça par petite tentative… Un organisme indépendant, composé de juristes, va réceptionner les dossiers des deux parties. Comme il était devenu impossible de se parler, nous avons externalisé l’affaire. C’était une façon de sortir du côté mélodramatique de ce conflit. Toutes nos réunions débouchaient sur des tensions et nous nous faisions insulter. L’organisme indépendant qui a été chargé de cette affaire rendra un avis non contraignant. Nous pourrons toujours aller en justice après cela et nous pourrons au moins dire que nous aurons tout fait pour éviter cette issue.

Qu’est-ce que la Ville réclame exactement au Sporting ?

Des arriérés de loyer et de factures d’énergie. Il y a aussi un montant qui correspond à l’occupation d’un espace restaurant dans le stade : le Sporting le loue à un tiers alors qu’il n’a jamais eu l’accord de la Ville pour le faire. Il y a l’occupation illégale d’un bâtiment autour du stade par le personnel administratif du club : le Sporting n’y a pas droit mais Despi a hébergé tout le monde là-bas sans autorisation. Et encore d’autres petites choses.

Au total, cela représente combien ?

Je ne le sais pas exactement. Mais il y a déjà environ 300.000 euros en retards de loyer.

Le Sporting réclame aussi de l’argent à la Ville.

Oui, comme le remboursement par la Ville du fameux terrain d’entraînement synthétique. Mais nous l’avons déjà remboursé cinq fois en achetant des places à tire-larigot ! Un système qui a été dénoncé par la Tutelle. Tout cela pour un terrain aménagé via un détournement de marchés publics. Le Sporting réclame aussi le remboursement de factures pour l’aménagement du stade : mais le club avait quand même bien pris lui-même l’initiative de réaliser ces travaux. Despi était échevin des Sports mais aussi des Bâtiments : tout se tenait.

 » Impossible d’être serein par rapport aux prêts du Sporting garantis par la Ville « 

Avouez que le Sporting a un des centres d’entraînement les plus minables de D1 ! Et ce centre appartient à la Ville.

Nous ne nions pas : ce ne sont pas des conditions idéales pour s’entraîner. Nous sommes ouverts à la discussion, prêts à mettre des moyens et à rentrer un dossier chez Michel Daerden pour qu’il y ait un bon complexe qui servirait à la fois aux jeunes et à l’équipe Première. Je prends le pari que dans deux ans maximum, nous inaugurerons un nouveau centre à Marcinelle. Et c’est la connasse qui coupera le ruban. (Elle éclate de rire). Mais que les gens du Sporting arrêtent de répéter que le Standard a un meilleur outil avec l’Académie Robert Louis-Dreyfus. Qui l’a financé ? La Région wallonne et le Standard. La Ville de Liège n’a pas mis un euro. Ici, on a un club dont les dirigeants disent qu’ils ne consacreront rien au centre qu’ils réclament. Vous voyez la différence ? Si les Bayat veulent comparer le Sporting au Standard, qu’ils assument financièrement comme la direction liégeoise l’a fait.

L’Olympic vous réclame aussi de l’argent pour les travaux d’aménagement faits en urgence au début de la saison dernière et payés à l’époque par ses sponsors.

L’Olympic ne nous réclame plus rien. J’ai eu une discussion récemment avec son patron, Aziz Alibhaï. Depuis la Côte-d’Ivoire, où il vit, il pensait que la Ville devait rembourser les sponsors. Il est venu en Belgique et je lui ai expliqué que cela n’avait jamais été convenu. Il m’a comprise et l’affaire est classée. Ce fut une discussion franche, avec un homme intelligent qui ne m’a pas insultée…

Comment réagissez-vous quand les Bayat disent que la Ville n’a jamais rien fait pour le Sporting et les a dès le départ trompés sur la marchandise ?

Mais quel culot ! Ils auraient été trompés ? Ce sont quand même des hommes d’affaires avisés. J’espère pour eux qu’ils avaient lu la convention de reprise avant de la signer. Entre un accord verbal et une convention, qu’est-ce qui fait foi ? La convention écrite, évidemment. Les paroles s’envolent, les écrits restent. C’est facile de jouer les innocents et les naïfs. Mais ce rôle ne leur va pas bien du tout.

Passons sur la reprise. Mais ils disent aussi que la Ville n’a rien fait pour eux entre-temps.

On ne s’est pas occupé d’eux ? Et les aménagements du stade pour l’EURO 2000 ? Vous savez que la Ville rembourse toujours 1,2 million par an ? C’est énorme. Et la garantie des emprunts ? Et notre intervention dans les frais énergétiques ? Et les places que la Ville a achetées illégalement pour rembourser le terrain synthétique ? Ce n’est pas mal pour des gens qui se plaignent de ne recevoir aucune aide. Je ne peux consacrer que 665.000 euros de subsides chaque année à l’ensemble des clubs sportifs de Charleroi. Les Bayat ne sont pas les plus mal lotis. Il faut qu’ils arrêtent de jouer les Calimero.

Comment envisagez-vous la caution des emprunts du Sporting par la Ville ? Avec sérénité ?

Ce serait irresponsable d’être serein dans une situation pareille. On parle quand même de plus de 7 millions d’euros. L’argent des Carolos est en jeu. Les Bayat déclarent parfois publiquement qu’ils ne rembourseront pas toute la somme. Mais dans cette ville, n’importe quelle personne qui n’honore pas ses obligations vis-à-vis des banques a un huissier à sa porte. Pour eux, ce risque n’existe pas, vu la couverture des prêts par la Ville. C’est deux poids, deux mesures. Enfin bon, jusqu’à présent, ils paient.

Ils ne font donc plus pression sur la Ville pour qu’elle intervienne dans les remboursements ?

J’imagine que ce sera une de leurs exigences dans le dossier du mini-trial. Mais il n’est pas question que le politique intervienne dans ce remboursement.

 » Si les Bayat restent et si nos relations s’apaisent, grand bien leur fasse « 

J’ai entendu ceci :  » Quand Ingrid Colicis est devenue échevine des Sports, les Bayat se sont dit :

– Chouette, une blonde, on va l’entuber facilement. Mais ils sont tombés sur une universitaire trilingue avec deux licences « …

Déjà, je suis une fausse blonde : il faut s’en méfier… (Elle rigole). Et j’ai un sale caractère, c’est connu. Et ça a toujours été très difficile de m’entuber.

Le courant est mal passé directement ?

Tout de suite. Ils sont arrivés à notre première réunion en se comportant comme des empereurs et en nous manquant de respect. Et ils avaient des exigences inacceptables. Pendant un quart d’heure, ils m’ont traitée comme ils traitaient les tontons. Mais avec Jean-Jacques Viseur et moi, ça ne marche pas. Ils ont vite fait demi-tour.

Quand Mogi dit que vous êtes à côté de la plaque, ça vous fait rire ou ça vous énerve ?

Mais ça me fait rire… Tous ceux qui n’acceptent pas d’être ses vassaux sont à côté de la plaque, pour lui. Je ne serai jamais asservie à ce genre de personne. Et si je n’ai pas la prétention d’être une bonne échevine, je fais au moins de mon mieux.

Il remet aussi en cause la légitimité de Jean-Jacques Viseur, devenu bourgmestre avec moins de 1.000 voix de préférence.

Il parle comme certains frustrés que je rencontre parfois au Parti Socialiste…

J’ai aussi entendu que vous tentiez de former un groupe capable de pousser les Bayat vers la sortie et de reprendre le Sporting.

C’est marrant, ça. Ils disent qu’ils dureront plus longtemps que moi. S’ils restent et si nos relations s’apaisent, grand bien leur fasse. Mais s’ils devaient partir, il faudrait travailler pour gérer la suite. En tout cas, je n’ai jamais imaginé une quelconque conspiration. J’ai autre chose à faire.

 » Commencer le nouveau stade dans deux ou trois ans et raser le Mambourg « 

On attend l’avis du Conseil d’Etat à propos du démontage éventuel d’une partie du stade : vous êtes stressée ?

Nous gérerons quand la décision tombera. Si le verdict est douloureux, nous ferons face. Une fois de plus, nous devrons assumer une responsabilité historique… Une nouvelle sale trace du passé politique carolo. Nous commençons à avoir l’habitude. En tout cas, je ne peux pas en vouloir aux riverains qui se battent depuis autant d’années. Pour eux, il y a eu un avant-EURO 2000 et un après-EURO.

Où en êtes-vous dans le dossier du nouveau stade ?

La prochaine étape, c’est l’étude de faisabilité pour les trois sites possibles : Gosselies, Trévieusart et Marchienne. Nous avons en tête un stade implanté sur un terrain communal mais financé par des investisseurs privés qui retrouveront leurs billes via les espaces commerciaux qui y seront aménagés. Nous imaginons un vrai complexe dédié au sport, il n’y aurait donc pas seulement un terrain de football. Et ce sera un stade écologique, avec utilisation du photovoltaïque et un gros travail sur la récupération des énergies. Tout est en route, et si ce stade pouvait commencer à pousser dans les deux ou trois ans, je serais très contente.

Que deviendra le Mambourg ?

Il sera rasé et on y construira des logements. Des projets existent déjà.

par pierre danvoye – photos : reporters / hamers

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