Art abstrait, foot concret

Vous l’avez sous les yeux, c’est mon tableau abstrait préféré. Il peut m’arracher des larmes d’émotion quand je me laisse aller à le contempler. Beau, hein ? D’ailleurs, c’est moi qui l’ai peint, Piet Mondrian peut aller se rhabiller. Avec mon PC, c’était facile : j’ai seulement choisi entre trois couleurs pour remplir les différentes cases d’un tableau Excel ! Quant au petit carré bleu, tout mimi soit-il, il est juste là pour qu’on le place en haut à gauche : car admirer à l’envers pareille symphonie picturale n’aurait aucun sens !

C’est une £uvre lourde de symbolique, vous l’avez deviné. 13 colonnes de 30 cases, soit 13 saisons de 30 matches coachés depuis 1991 dans ma Belle Province : vert = victoire, rouge = défaite, orange = match nul ! Feu d’artifice tricolore, flopée de souvenirs avec ballon. Plus ou moins floues, derrière les cases surabondent les images ! Pas pour vous, d’accord. Mais ai-je dit que ce tableau était à vendre ? Je le ferai agrandir quand je serai vraiment vieux, et il occupera tout un pan de mur de ma chambrette à la maison de retraite. Ça sera chouette quand les journées seront longues.

Je croyais le tableau achevé, il ne l’est pas : j’ai replongé comme un camé. 2011-2012 générera une 14e colonne, je la rêve évidemment verte au maximum… mais il me suffit d’un coup d’£il sur ce bariolage vert/orange/rouge pour qu’il me serine que le foot est un jeu cruel ! Y’aura des moments de doute et de stress, y’en a d’ailleurs déjà eu : l’autre jour, je me suis ré-emballé sur un truc horripilant à un point que j’avais oublié !

Pour la deuxième fois du match, un défenseur d’en face s’était fait mal au contact sans qu’il y ait faute, et restait au sol tandis que les miens étaient en passe de développer une action intéressante. Mais dans l’instant qui suit, comme d’hab en pareil cas, les équipiers du gars apparemment endommagé entonnent leurs cris d’orfraie : – Mets la balle dehors, mets-la dehors ! Au point que le porteur de ballon s’exécute, faut se mettre à sa place, il se dit qu’il y a eu drame, que le sang coule sans doute à flots derrière lui, qu’il sera le dernier des lâches s’il poursuit l’action, voire qu’il sera honni par Dieu et la gendarmerie pour non-assistance à personne en danger…

99 fois sur 100, l’endommagé n’a rien du tout, mais il peut t’avoir fait louper une belle opportunité. Sous quelques applaudissements de circonstance, ses potes te rendront ensuite le ballon… mais bien en retrait du lieu où le gisant gisait, s’agit quand même pas d’être plus fair-play que le pape !

C’est souvent hypocrite. Passe encore quand l’équipe en possession/ballon se voit ainsi interrompue dans son propre camp, alors qu’elle n’est pas encore en phase de développement offensif. Mais dans le cas décrit ci-dessus, c’est hautement irritant… et je pense évidemment la même chose quand ce sont mes gars qui s’écroulent, gueulent et brisent indûment une attaque adverse ! D’abord, ça ne fait guère gagner de temps pour s’occuper du possible blessé, le foot est un sport à temps morts multiples : le jeu y est de toute façon interrompu toutes les quinze secondes quand il est haché, toutes les trente secondes quand on a le bonheur qu’il soit fluide. Ensuite, c’est porte ouverte à un rab de simulation tricheuse : si les footballeurs n’hésitent pas à se tirer le maillot à tire-larigot, pourquoi n’enrichiraient-ils pas leur panoplie de subterfuges en s’écroulant comme s’ils allaient mourir ? Déjà qu’ils simulent l’uppercut quand ils se ramassent une tapette, remember Joey Barton récemment face à Gervinho… Enfin, il y a un arbitre, un directeur de jeu, non ? Pourquoi remplir son job ? A lui d’interrompre l’action si elle se poursuit trop longtemps alors qu’un gisant semble agoniser,… à lui de sévir contre tout moribond requinqué trop vite !

Conclusion/proposition en trois temps pour que cesse ce cirque. Avant le match, prévenir l’entraîneur d’en face qu’on ne mettra pas la balle dehors si l’un des siens s’écroule, et qu’on ne la rendra pas si l’un des siens l’a mise dehors parce qu’un des nôtres s’est écroulé. Lui demander d’agir strictement de même envers nous. Et aller de concert en informer l’arbitre. Pacte positif préalable entre adversaires préférant le franc jeu à la duplicité vernissée de fair-play. Ça c’est du concret, non ?

PAR BERNARD JEUNEJEAN

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