ARRÊTÉS ROYAUX

En play-offs, là où l’enjeu tue souvent le jeu, ils sont une arme redoutable. Le genre d’arme qui peut vous offrir un titre. Plongée dans les secrets des coups de pied arrêtés.

Comme si on avait coupé le son. Le bruit de fond permanent créé par les chants ou les émotions du public a disparu, l’espace de quelques instants. Le botteur caresse le ballon, prend quelques pas d’élan, et la foule retient son souffle et ses cris. On se croirait à Wimbledon, quelques secondes avant un service de Novak Djokovic. Et pourtant, ce n’est qu’un corner.

Quelques mois après son arrivée en Angleterre, José Mourinho s’étonnait toujours de l’enthousiasme du supporter d’outre-Manche chaque fois qu’un défenseur envoyait le ballon derrière sa ligne de but :  » Dans combien de pays un corner est-il accueilli avec autant d’applaudissements qu’un but ?  » Le Special One aurait volontiers rappelé à la foule en délire qu’une étude réalisée par des statisticiens sur des milliers de corners à l’occasion du livre The Numbers Game a révélé que seul un corner sur cinquante finissait au fond des filets.

Ce chiffre est dégainé à l’envi au visage de ceux qui dramatisent à outrance l’importance de chaque phase arrêtée. Mais relativiser démesurément leur impact serait faire injure à un autre chiffre. Parce que lors des trois dernières éditions des PO1, 33 % des buts ont été marqués sur phase arrêtée.

L’EFFET DE SURPRISE

La Belgique accorde-t-elle assez d’importance à ces phases si spécifiques ? Aucun club ne possède dans son staff un entraîneur qui y consacre l’entièreté de son temps. La tâche est mise entre les mains d’un adjoint, de l’entraîneur des gardiens, voire du T1. Au Standard, par exemple, c’est Yannick Ferrera qui s’y colle. Du côté de Charleroi, c’est également Felice Mazzù qui dirige les séances spécifiques.

Pas de trace en Pro League d’un homme comme Gianni Vio, engagé pour sa science du coup de pied arrêté par Brentford, en deuxième division anglaise. Un club dont le président, Matthew Brenham, a fait fortune dans le domaine des paris sportifs en accordant une attention maniaque aux statistiques. C’est donc tout naturellement que les Bees se sont tournés vers cet ancien banquier italien, surnommé  » le Petit Magicien  » dans la Botte pour avoir permis à Catane, puis à la Fiorentina de boucler une saison avec plus de 40 % de buts marqués sur coup de pied arrêté. Quand on sait que la majorité des équipes tourne entre 25 et 31 %, ça laisse rêveur.

Walter Zenga, avait emmené Vio partout où il travaillait. Parce que  » ce n’est pas seulement un magicien du coup franc. C’est comme avoir un attaquant à quinze ou vingt buts par saison, avec l’avantage qu’il n’est jamais blessé ou suspendu.  »

Sans un spécialiste dans le staff, les Buffalos d’Hein Vanhaezebrouck sont arrivés au terme des trente premiers matches de la saison à inscrire 23 buts sur phase arrêtée, soit 41,1 % de leurs réalisations. Un chiffre gonflé par les dix penalties convertis par Sven Kums et ses coéquipiers, mais les Gantois restent parmi les meilleurs élèves de la classe en écartant les pénos de l’équation : en plus de trois coups francs directs, Gand a marqué dix fois sur corner ou sur coup franc indirect. Tout ça sans compter sur des géants, puisque les buteurs buffalos sur ces phases présentent une taille moyenne de 178,8 centimètres. Aucun but gantois n’a d’ailleurs été marqué sur une reprise  » directe « , en un temps, preuve que les hommes de Vanhaezebrouck doivent compter sur leur inventivité (dans les combinaisons) ou sur leur présence au rebond pour trouver la faille sur phase arrêtée.  » Il faut surprendre l’adversaire « , explique Gianni Vio quand on lui demande de livrer ses secrets. Surtout quand votre présence aérienne dans le rectangle s’appelle parfois Moses Simon ou Brecht Dejaegere.

CENTIMÈTRES ET BONS PIEDS

Rois du top 6 sur phase arrêtée, les champions en titre doivent céder la couronne à Zulte Waregem si les penalties n’entrent plus en ligne de compte. L’Essevee a marqué treize de ses 51 buts sur un ballon arrêté, grâce aux armes traditionnelles d’un corner ou d’un coup franc réussi : un bon tireur derrière le ballon et des centimètres dans le rectangle.

Meilleur passeur du championnat, Onür Kaya a un pied dans dix des treize buts  » arrêtés  » des hommes de Francky Dury. La précision de son pied droit, principalement sur des trajectoires rentrantes, est un régal pour les grands gabarits du stade arc-en-ciel. Christophe Lepoint, Chuks Aneke et les défenseurs centraux du dernier qualifié pour les play-offs tutoient le mètre nonante, et Mbaye Leye présente sans doute le meilleur jeu de tête de Belgique, même en leur rendant une petite dizaine de centimètres.

Mais Zulte Waregem sait aussi surprendre. Un seul des sept buts du Essevee sur corner a été inscrit directement. La combinaison  » à la rémoise  » a souvent été employée par la bande à Dury pour créer la confusion dans la défense adverse et offrir un autre angle de centre au tireur, face à une défense déboussolée par ce changement de perspective. Souvent critiquée pour ses ratés flagrants – tireur en position hors-jeu lors de la remise, passe interceptée par le défenseur – la technique est pourtant rémunératrice. Mais on râle moins facilement sur un corner balancé au hasard dans le rectangle et qui ne trouve personne.

L’Atlético Madrid de Diego Simeone, l’un des spécialistes européens sur phase arrêtée, utilise souvent des combinaisons pour brouiller les pistes, malgré le gabarit impressionnant de Diego Godín dans le rectangle. Les Colchoneros changent par exemple de tireur, Koke cédant parfois sa place à Gabi pour rendre la combinaison moins lisible, tout comme Dury sait le faire en confiant un coup franc à Bryan Verboom. À Madrid, les phases arrêtées sont confiées à German Burgos, l’adjoint de Simeone qui s’était illustré dès son arrivée dans la capitale espagnole en dévalisant les ouvrages tactiques (quatorze livres, dont un en italien sur les coups de pied arrêtés) d’une librairie près de la Puerta del Sol. On n’a pas accès à la bibliothèque de Francky Dury, mais la gestion des ballons arrêtés par ses troupes cette saison mériterait presque un bouquin.

RENTRANT OU SORTANT ?

L’obsession de Simeone et de Burgos, c’est également la création d’une complémentarité entre le tireur et les receveurs. Pour ce faire, les Argentins consacrent une dizaine de minutes à la répétition des gammes la veille de chaque rencontre, en introduisant des variantes pour conserver le fameux effet de surprise pour l’adversaire. C’est ainsi que les ballons de Koke semblent systématiquement programmés pour atterrir sur le front de Godín.

Cette existence d’un duo complémentaire, c’est l’atout majeur de Genk depuis plusieurs semaines. Si les Limbourgeois ont du gabarit à revendre, leur suprématie sur les corners convertis directement (cinq corners  » directs  » sur six marqués) repose surtout dans la connexion entre le pied gauche de Leon Bailey et la tête de Christian Kabasele. Un long coup franc du Jamaïcain, mais surtout trois corners rentrants envoyés au second poteau pour une reprise victorieuse de  » Kaba « , et ce sont près de la moitié des buts marqués par les hommes de Peter Maes sur phase arrêtée qui sont dus à la connivence du duo.

Ces corners rentrants pourraient peut-être inspirer Yves Vanderhaeghe, visiblement persuadé par la suprématie des ballons sortants puisque les six coups de pied arrêtés convertis par Ostende l’ont été de cette manière. Une conviction que partageait Roberto Mancini, alors entraîneur de Manchester City, malgré un rapport réalisé par Gavin Fleig quelques années plus tôt pour le compte des Citizens en panne d’efficacité sur coup de pied arrêté. Le statisticien avait analysé près de 500 corners bottés en Premier League, pour en arriver à la conclusion que 75 % des buts marqués venaient de coups de coin rentrants. L’échantillon était-il assez large pour tirer des sentences définitives ? Les trois buts inscrits sur corner par les Côtiers, qui en font les moins bons élèves du top 6, tendent à confirmer la théorie.

Avec 12,7 % de buts marqués sur phase arrêtée, le KVOfait toutefois mieux que Bruges et ses 12,5 %. Onze petits buts, dont trois penalties pour la meilleure attaque de l’élite, le contraste est saisissant avec l’équipe qui terrifiait Anderlecht dès que Victor Vazquez s’apprêtait à tirer un coup franc l’an dernier. La longue indisponibilité de Bjorn Engels, déjà impliqué dans trois buts depuis son retour de blessure, et les départs des excellents joueurs de tête que sont Tom De Sutter et Oscar Duarte expliquent certainement le phénomène. Une perte de centimètres qui aura amené Michel Preud’homme à concentrer ses efforts sur les nouvelles forces de son équipe.

La force aérienne, Anderlecht ne sait toujours pas ce que c’est. L’excellent pied gauche d’Alexander Büttner et la qualité retrouvée des ballons de Steven Defour ne suffisent pas à faire briller assez souvent les centimètres de Kara. Il faut dire aussi que malgré sa taille, Stefano Okaka n’a marqué qu’une fois sur phase arrêtée. Une question de travail ? Un membre d’un staff de D1 nous confiait récemment que les coups de pied arrêtés représentaient seulement 5 % du volume des séances hebdomadaires. Et ce club fait partie des plus mauvais élèves de la phase classique sur phase arrêtée…

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTOS BELGAIMAGE

Lors des trois dernières éditions des PO1, 33 % des buts ont été marqués sur phase arrêtée.

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