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Mamans et sportives de haut niveau: Tia Hellebaut et Aisling D’Hooghe racontent leurs expériences

Depuis mi-avril, Yanina Wickmayer n’est plus uniquement tenniswoman professionnelle, elle est aussi maman. Au-delà de la grossesse, la durée de sa remise en forme et son retour à la compétition dépendront de plusieurs facteurs. Tia Hellebaut et Aisling D’Hooghe, deux mamans sportives aux expériences fort différentes, les dévoilent dans cette interview croisée.

En janvier dernier, après 51 participations consécutives, Yanina Wickmayer a loupé son premier Grand Chelem en laissant décoller sans elle l’avion pour Melbourne. Aucune blessure, méforme ou non-qualification, elle a renoncé à la compétition pour cause de grossesse. À ce jour, son dernier grand tournoi reste donc Roland-Garros 2020, qu’elle a disputé enceinte. Audacieux? Pas vraiment. Selon le professeur Luc Baeyens, gynécologue du sport au CHU Brugmann, la grossesse engage le corps dans une sorte de surrégime. La pratique du sport pendant les premiers mois de la grossesse n’est donc pas déconseillée tant elle provoque une augmentation de 20% du volume de globules rouges – ce qui équivaut à un stage en altitude – la production de relaxine, une hormone qui permet d’assouplir les articulations, et l’augmentation de la fréquence cardiaque. Est-ce à dire que tomber enceinte permet à une sportive de haut niveau d’améliorer ses performances? C’est en tout cas l’objet de certaines rumeurs lancées entre les années 1950 et 80, qui affirmaient que les pontes du sport soviétique obligeaient leurs sportives à tomber enceintes – parfois même via leur entraîneur – pour profiter des apports de la grossesse, avant d’avorter au « bon » moment. Aucune preuve tangible n’a toutefois été apportée à ce jour quant à ces pratiques.

Il y a dix ans, si j’avais dit que je voulais devenir maman avant de revenir au plus haut niveau, on m’aurait dit: Quoi?! Vous êtes folle? » Tia Hellebaut

En attendant, Yanina Wickmayer, qui a accouché le 15 avril dernier d’une petite Luana, vient de rejoindre le cercle fermé des sportives de haut niveau devenues mamans en pleine carrière. Une liste qui rassemble en autres les tenniswomen Kim Clijsters et Serena Williams, la footballeuse Alex Morgan, la boxeuse championne olympique en 2016 Estelle Yoka Mossely, la nageuse Dana Vollmer, la récente lauréate de Paris-Roubaix Elizabeth Deignan ou encore la septuple championne olympique Allyson Felix. La majorité d’entre elles est parvenue à revenir au top après son accouchement: Clijsters est devenue la première maman numéro 1 mondiale de l’histoire du tennis alors que Felix est désormais l’athlète la plus médaillée des JO.

Tia Hellebaut:
Tia Hellebaut: « Quand je suis tombée enceinte, la Fédération n’a pas voulu signer un nouveau bail d’un an, je me suis donc retrouvée sans contrat. »© photonews

Les expériences de retour à la compétition divergent toutefois. L’athlète Tia Hellebaut (2009, 2011 puis 2014 une fois retraitée) et la hockeyeuse internationale Aisling D’Hooghe (février 2021) en ont fait l’expérience à douze ans d’intervalle.

Certaines grossesses sont désormais presque organisées entre la sportive et son staff technique. À quel point vos envies de maternité ont-elles été influencées par votre carrière?

AISLING D’HOOGHE: On en a beaucoup discuté avec mon mari ( Guillaume François, footballeur à l’Union Saint-Gilloise, ndlr). Avoir un enfant était quelque chose que l’on devait vraiment planifier et organiser, surtout pour moi au niveau médical ( Aisling vit depuis ses six ans avec la sclérose en plaques, ndlr). Si les Red Panthers s’étaient qualifiées pour les JO de Tokyo, on aurait probablement voulu avoir notre enfant juste après et j’aurais pris une année sabbatique à ce moment-là. La non-qualification a donc été le déclencheur. De base, je veux continuer l’équipe nationale jusqu’à Paris 2024. On s’est donc dit qu’on allait faire cet enfant plus tôt, entre les deux JO, pour être sûr d’être parfaitement de retour pour Paris. Finalement, les choses se sont déroulées comme dans notre planning.

TIA HELLEBAUT: Petite, je savais déjà que serais mère un jour. J’ai toujours dit que je voulais des enfants avant mes trente ans, mais en même temps, je ne me suis jamais attendue à en avoir pendant ma carrière. Après ma médaille d’or aux JO 2008, on a simplement eu le sentiment avec mon mari ( Wim Vandeven, ndlr), qu’il serait vraiment difficile de faire mieux dans le futur. Quoi que je puisse réaliser après ça, ça n’aurait jamais été assez bon pour les gens. Peut-être que si j’avais terminé quatrième ou cinquième aux JO de Pékin, l’histoire aurait été totalement différente.

Mamans et sportives de haut niveau: Tia Hellebaut et Aisling D'Hooghe racontent leurs expériences
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D’HOOGHE: Tomber enceinte était un pari risqué: qu’est-ce qui me disait que je pourrais reprendre au plus haut niveau après? Qui me promettait que j’en voudrais encore, que je ne serais pas obnubilée par mon enfant et mon nouveau rôle de mère?

Comment a réagi votre entourage sportif et familial?

HELLEBAUT: Mon mari était également mon coach donc ça n’a pas été un grand problème ( Elle rit). Je n’ai pas vraiment pris d’informations auprès d’autres sportives, ce n’était pas courant à ce moment-là. Par exemple, si je disais aujourd’hui aux médias que je voulais devenir maman avant de revenir au plus haut niveau, on me répondrait: « OK, beau challenge! » Mais il y a dix ans, on m’aurait dit: « Quoi? Vous êtes folle? »

D’HOOGHE: Je n’ai pas directement annoncé à mon club que je voulais tomber enceinte. À la fin de la saison 2019-2020, j’ai décidé de ne plus jouer: si j’annonçais trois semaines avant le championnat que j’étais enceinte, je mettais toute mon équipe dans l’embarras. Là, j’ai décidé de prendre une année sabbatique en club. Je sortais de dix ans en équipe nationale, dix ans de vie à 100% dictée par le hockey, mais avec la contrainte d’avoir dû mener des études puis de combiner mon sport avec un job d’échevine. Ça faisait beaucoup à concilier avec ma vie privée. Dans ma tête, je me suis dit que je ne pourrais pas arriver à Paris 2024 sans faire un break quelque part. J’ai choisi de mettre le club entre parenthèses parce qu’en tant que gardienne, c’est l’équipe nationale qui m’apporte le plus avec ses cinq entraînements par semaine.

Comment se sont déroulés les premiers mois de grossesse, vous avez continué à pratiquer votre sport?

D’HOOGHE: Au moment de l’annonce de mon retrait en club, l’équipe nationale savait que j’avais une autre idée derrière la tête et elle m’a soutenue dans ce projet. Avant de tomber enceinte, on a planifié un scénario pour savoir comment on allait s’aider mutuellement à réussir cet objectif de revenir rapidement au haut niveau. La première chose, c’était de jouer au hockey le plus longtemps possible en fonction de la taille de mon ventre et de ma mobilité. J’ai pu le faire pendant six mois, même si à la fin je ne faisais plus que de l’individuel: en tant que gardienne de but et face à une balle assez dangereuse, il fallait rester consciente. Mon travail de musculation a été fort adapté pour ne plus utiliser les abdos, puis j’ai eu un bon planning de course, de vélo et de natation jusqu’à la veille de l’accouchement.

Durant les six premiers mois, il y a eu des phases où j’avais l’impression d’avoir un physique de dingue et la possibilité de faire bien plus que ce que je n’avais jamais fait dans ma vie. » Aisling D’Hooghe

HELLEBAUT: On a été assez chanceux dans nos tentatives ( Elle sourit). Trois mois après le début de ma grossesse, on a donc décidé de se focaliser sur ce nouveau challenge et de mettre complètement fin à mon activité sportive. Je n’ai jamais parlé d’un retour, je voulais vraiment arrêter ma carrière. J’avais remporté la médaille d’or, ça a dû m’aider à digérer ma retraite sportive. J’ai fait un tout petit peu de jogging, mais mon corps ne réagissait pas bien donc j’ai vite arrêté.

D’HOOGHE: Durant les six premiers mois, il y a eu des phases où j’avais l’impression d’avoir un troisième poumon, un physique de dingue et la possibilité de faire bien plus que ce que je n’avais jamais fait dans ma vie. Mais il y a eu d’autres moments où tout devenait beaucoup plus fatigant avec le bébé qui commençait à compresser mes poumons et où j’avais le souffle court. Au fil des mois, ça a été de plus en plus compliqué: j’avais un ventre comme je n’en avais jamais eu au-dessus duquel je devais mettre un équipement. On m’a conseillé de faire fort attention à mes articulations et à mes genoux parce que l’on est beaucoup moins souple, mais je n’ai pas vraiment senti de différence. Évidemment, je ne me jetais plus au sol.

Aisling D'Hooghe:
Aisling D’Hooghe: « J’étais de retour sur le terrain six semaines exactement après mon accouchement. »© belgaimage

Dans la foulée de l’accouchement, après combien de temps l’envie et le besoin de sport se font-ils ressentir?

HELLEBAUT: Quand ma fille a eu trois mois, j’ai vu Kim Clijsters remporter l’US Open. J’ai compris qu’il y avait un beau challenge à relever. C’est peut-être dû au fait que je n’aie pas fait de sport pendant ma grossesse ou à la césarienne que j’ai subie, mais ça a été très difficile de m’y remettre, notamment parce que j’avais un bébé qui ne dormait pas. Quand j’ai repris la route de l’entraînement, j’ai commencé par une toute petite cadence. J’ai dû faire ma première course après quatre mois. L’avantage de commencer à une petite échelle, c’est que l’on a beaucoup de challenges à relever, on voit donc concrètement ses progrès et c’est motivant.

D’HOOGHE: Généralement, on dit que l’on reprend le sport quatre à six semaines après l’accouchement. J’ai commencé par la kiné dès le lendemain de la naissance. Trois semaines plus tard, j’ai enchaîné avec de la mobilisation. J’étais de retour sur le terrain après exactement six semaines.

HELLEBAUT: J’ai fait mon premier saut en compétition à 1m50 en décembre 2009, soit six mois après la naissance de ma fille, mais je me suis rapidement sentie contrainte de faire au moins un grand championnat. J’ai participé à ma première compétition d’envergure en août 2010 à l’EURO de Barcelone… alors que j’étais déjà enceinte de mon deuxième enfant. Vu les difficultés que j’éprouvais pour reprendre l’entraînement après la première naissance, on avait décidé d’avoir notre deuxième enfant le plus vite possible pour ne limiter qu’à à deux ans la préparation et le hard work avant les JO 2012. Ça a été plus facile, notamment parce que je savais avant d’être enceinte que je voulais continuer ma carrière. J’ai donc fait un peu de sport pendant la grossesse: du jogging, un peu de musculation, …

Mamans et sportives de haut niveau: Tia Hellebaut et Aisling D'Hooghe racontent leurs expériences
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Il y a quelques années, la sprinteuse américaine Allyson Felix a publié une tribune dans laquelle elle critiquait ouvertement la politique post-maternité de son sponsor. Elle expliquait avoir subi d’importantes coupes dans ses revenus. Comment ça s’est passé pour vous?

HELLEBAUT: La Fédération n’a pas voulu signer un nouveau bail d’un an, je me suis donc retrouvée sans contrat. Heureusement, j’ai pu travailler à mi-temps en tant qu’account manager dans l’organisation de certains événements comme le Memorial Van Damme. Peut-être que les choses ont changé, mais à l’époque, c’est ça qui m’a permis de continuer à remplir le frigo.

D’HOOGHE: En équipe nationale, on est sous contrat. À la fin de ma grossesse, je ne savais plus faire ce pour quoi je suis payée, j’ai donc été écartée comme une infirmière le serait à l’hôpital, et je suis passée sous la mutuelle. Côté sportif, j’y ai donc perdu financièrement, surtout que je ne jouais plus en club. Mais dans mon boulot, ça ne changeait rien parce que j’ai continué à travailler en tant qu’échevine jusqu’au bout, je n’ai même pas pris de congé de maternité.

Partagez-vous l’avis de ces sportives qui disent qu’elles ressentent moins de stress une fois qu’elles deviennent mamans?

HELLEBAUT: Je me suis peut-être sentie moins stressée durant mes séances d’entraînement, mais plus stressée dans la vie quotidienne en devant gérer mes entraînements, mes enfants et les tâches domestiques. Et puis relativiser les choses ne me rendait pas plus forte, mais plus faible: j’avais vraiment besoin de stress et de challenge pour me pousser vers l’avant.

D’HOOGHE: Mon retour à l’entraînement s’est déroulé comme la première séance après une trêve. C’est un peu comme la chance du débutant: tu te dis que tu es vraiment méga forte et tu te demandes pourquoi s’entraîner tous les jours quand on est comme ça après quatre mois d’inactivité. Pas au niveau cardio, mais au niveau du jeu: on réussit tout ce qu’on essaie, on est hyper en confiance. Puis vient le deuxième entraînement, où tu comprends que tout n’est pas si simple.

HELLEBAUT: C’est important de bien s’entourer quand on se relance. J’avais une baby-sitter pour s’occuper de mes enfants, mais personne pour gérer les tâches domestiques. Je me souviens que la semaine avant mon dernier championnat d’Europe à Göteborg en 2013, je repassais des vêtements jusqu’à minuit tout en m’assurant que tout soit en ordre pour mes filles la semaine suivante.

Le retour au haut niveau passe-t-il irrémédiablement par l’élaboration de gros objectifs?

HELLEBAUT: C’était clair dans ma tête: mon dernier challenge, c’était les Jeux de Londres. Après ça, mon esprit en avait fini avec le sport de haut niveau.

D’HOOGHE: Dès le départ, le but était de retourner sur le terrain le plus rapidement possible pour être prête pour la Coupe d’Europe, initialement prévue fin août 2021. C’était donc un objectif réalisable, avec six mois et demi de préparation. Avec le report des Jeux, la Coupe d’Europe a été avancée à début juin, ce qui a compromis cet objectif.

HELLEBAUT: Le mien était de sauter à nouveau deux mètres. Mais j’ai compris que si je faisais ça uniquement pour le fun, sans objectif clair et précis, je ne serais pas capable de me pousser au plus haut niveau. Lors de ma dernière année, j’ai atteint 1m97, pas deux. J’étais fatiguée. La combinaison des entraînements avec ma vie avec deux enfants qui ne dormaient pas n’était pas évidente. Puis j’avais 34 ans. Je pense que j’ai été honnête avec moi-même. Se fixer un challenge permet de savoir pourquoi on s’entraîne, mais connaître ses limites est encore plus important.

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