Armstrong décroche la lune

Alberto Contador a remporté sa deuxième Grande Boucle mais la légende retiendra aussi les barouds du troisième : un vieux cow-boy texan.

Sans Johan Bruyneel, je n’aurais jamais gagné un Tour de France « , a souvent déclaré Lance Armstrong avant de l’écrire dans son autobiographie (En plus, on pouvait gagner). Troisième à Paris, l’Américain sait de quoi il parle. Depuis dix ans, ils ne se quittent plus, se complètent, Lance le champion et Johan, le stratège qui, affirment ses ennemis, assez nombreux, est capable de manipuler, de mentir, de tout cacher et même d’espionner ses adversaires avec un scanner lui permettant d’écouter en course les conversations d’autres directeurs sportifs. Tout est bon pour que son Américain gagne ou brille . Le secret de son retour étonnant mais réussi sur les routes du Tour de France à 37 ans, après quatre ans d’absence, peut-il se résumer à une personne, aussi importante et intelligente soit-elle ? Non, mais un sorcier belge est bel et bien un des grands vainqueurs de la course au maillot jaune. Même si Alberto Contador ne sera pas trop d’accord… Au sein de son équipe, Astana, il a dû vaincre les réticences et probablement quelques plans secrets du couple Armstrong-Bruyneel qui ne lui convenaient pas.

Bruyneel a placé deux de ses coureurs sur le dernier podium à Paris, au terme d’un Tour où son équipe, Astana, a raflé presque tous les lauriers et la pub durant trois semaines. Bruyneel aurait cependant été nettement plus heureux si Armstrong s’était imposé une huitième fois. Imaginez l’impact d’un tel exploit, 40 ans après les premiers pas de… Neil Armstrong sur la lune.

Un seul homme aura été plus malin et plus fort que Bruyneel : Contador. L’Hidalgo a su imposer son talent et ses ambitions d’abord au duo infernal puis à toute son équipe et, bien sûr, aux magnifiques frères Schleck. Là, même s’il assurera toujours que l’intérêt de son équipe passait avant tout, Bruyneel est tombé sur un os au sein de sa propre formation. La preuve : l’intelligent Johan et le brillant Alberto se sépareront en fin de saison. Ils ne sont pas complices et ne le seront jamais. Histoire de caractères, de souvenirs communs, etc. Bruyneel (qui a boycotté des conférences de presse de l’Espagnol) ne supporte pas qu’on fasse de l’ombre à Armstrong, l’homme qui lui a permis de devenir un des plus grands directeurs sportifs de l’histoire.

Si les lévriers du Plat Pays attendent le successeur de Lucien Van Impe au palmarès du Tour de France depuis 1976, Bruyneel, lui, ne cesse de collectionner les gerbes de fleurs. Aucun directeur sportif n’a gagné autant de Grandes Boucles que lui : neuf de 1999 à 2009 (sept avec Lance Armstrong et deux grâce à Alberto Contador). Il précède largement ses collègues : Cyrille Guimard (7 succès : Van Impe en 1976, Bernard Hinault : 1978, 79, 81, 82), José Miguel Echavari (6 victoires : Pedro Delgado en 1988, Miguel Indurain de 1991 à 1995), etc.

Bruyneel savait que le moteur d’Armstrong n’était pas rouillé

 » Des directeurs sportifs comme Johan, il n’y en a que deux ou trois dans l’histoire récente ; les autres sont juste des conducteurs de voiture « , a déclaré un de ses anciens coureurs, Benoît Joachim, à L’Equipe Magazine. Il y a 20 ans, en 1989, un jeune entrepreneur liégeois, Philippe Wathelet, lance une équipe à trois sous coachée par Ferdinand Bracke pour soutenir l’arrivée sur le marché de sa nouvelle banque : SEFB. Wathelet mise entre autres sur un jeune coureur encore inconnu du grand public et qui selon lui a  » une intelligence à revendre qui lui permettra de réussir sur un vélo mais également, plus tard, dans un rôle de directeur sportif.  »

Emporté par la maladie à 46 ans, en 1997, Wathelet aura eu le loisir d’apprécier les qualités de rouleur de Bruyneel (un petit moteur mais un gros mental) qui brilla dans d’autres équipes (Lotto, Once, Rabobank) mais hélas pas ses succès en tant que directeur sportif (US Postal, Discovery Channel, Astana).

Madré, Bruyneel a su résoudre beaucoup de problèmes avant le départ de la Grande Boucle : gommer les soucis financiers et d’organisation d’Astana, encourager Armstrong après sa fracture de la clavicule au printemps lors de la première étape du Tour de Castille-et-Leon et sur les routes du Giro, trouver un sponsor pour la saison prochain (Radio Schak, chaîne américaine de magasins de matériel électronique grand public basée au Texas), etc. C’est un travail gigantesque, sans lequel Armstrong ne serait pas revenu. Bruyneel a su deviner le premier qu’Armstrong avait envie de retrouver sa place dans les pelotons. C’est son monde à lui, la famille qu’il connaît le mieux. Il s’ennuyait loin d’elle. Bruyneel savait que son moteur n’était pas rouillé, entretenu par quelques marathons et autres défis sportifs.

Le cyclisme était et reste son credo. Ce sport lui avait donné la volonté de sortir de l’anonymat, d’être plus fort que le cancer, de devenir une icône aux States. Froid et distant, il a profité de la dernière Grande Boucle pour améliorer sa comm’ et son image de marque. Longtemps détesté, Armstrong jouit désormais d’une belle popularité en France où Nicolas Sarkozy en fit même un de ses favoris. Son sens tactique et sa bravoure dans la défaite ou face à de jeunes loups lui ont donné un visage plus humain et sympa. Il a déjà promis de revenir dans un an.

Les rumeurs lui ont prêté des tas d’intentions assez folles : devenir un jour propriétaire du Tour, se forger une aura débarrassée du moindre doute à propos de ses succès , se forger assez de relations pour viser un jour le poste de gouverneur du Texas, avant de lorgner la Maison-Blanche, etc. The sky is the limit. L’imagination a des limites aussi . Pierre Ballester, ancien journaliste à L’Equipe, et David Walsh n’y vont pas par quatre chemins dans leur troisième bouquin consacré à Armstrong : Le Sale Tour.

D’autres échos affirment que son retour s’inscrit dans un contexte moins émouvant que son combat contre le cancer. Derrière la façade de ses £uvres caritatives (Livestrong), il ambitionnerait de bâtir un véritable empire dans le secteur de la santé. N’a-t-il pas décelé un autre phénomène qui l’aiderait à réaliser son ambition ? Aux Etats-Unis, un article d’un quotidien, le Seattle Post-Intelligencer a révélé que le phénomène d’identification aux sportifs ne se limite plus aux enfants et aux jeunes adultes. Les quinquagénaires se redynamisent en s’inspirant des athlètes quadragénaires qui restent au premier plan dans leur discipline. Les exemples ne manquent pas aux States et la réussite professionnelle de ces athlètes aurait un effet très positif sur les spectateurs du même âge ou plus : ces derniers croient aussi leur capacité, à ne pas s’estimer en phase de dépréciation physique au-delà des 40 ans.

L’ère des  » gagneurs  » et celle des  » vainqueurs « 

D’autres champions ont réussi des exploits ou un come-back sur le tard : Joop Zoetemelk champion du monde de cyclisme à presque 39 ans, Dino Zoff champion du monde de football à 40 ans, Stanley Matthews sacré Ballon d’Or en 1956 à 41 ans, Manuel Fangio, vainqueur d’un GP de Formule 1 à 46 ans, etc. Des champions d’une autre époque, à jamais révolue en cyclisme depuis… le début des années ’90 comme Laurent Fignon l’affirme dans son livre ( Nous étions jeunes et insouciants) ? L’ère des  » gagneurs  » (des coureurs moyens soutenus par un dopage efficace et dangereux ont soudain roulé plus vite que les vrais champions) a alors mis fin à celle des  » vainqueurs « .

Greg LeMond a eu des doutes en notant l’exploit de Contador dans l’exercice contre le chrono :  » Aucun athlète au monde ne présente un tel VO2 max, débit maximum possible d’oxygène consommé lors d’un effort. C’est comme si on allait chercher une Mercedes dans le show room d’un garage avant de gagner un GP de Formule 1. Alors, j’aimerais bien savoir ce qu’il y a sous le capot.  » Pour le moment, aucun cas de dopage n’a entaché le Tour, magnifique après le passage des Pyrénées. Une foule incroyable a vibré avec Contador, Andy et FrankSchleck, Armstrong, Mark Cavendish, etc. Il serait dommage que cet acquis soit mis en doute comme celui du dernier Giro. Deux mois après l’arrivée du dernier Tour d’Italie, on a appris que Danilo Di Luca, 33 ans deuxième derrière Denis Menchov, a subi deux contrôles positifs (20 et 28 mai) à l’EPO de troisième génération, la Cera. Ce récidiviste avait lancé des appels pour récolter des fonds en faveur des sinistrés du tremblement de terre qui a endeuillé sa région natale, les Abruzzes :  » C’est ma mission. Je veux avoir le maillot rose pour eux, pour aider les habitants à surmonter leur malheur, à mieux repartir.  » Il y en a qui ne trichent pas qu’à vélo…

par pierre bilic

Armstrong ne serait pas revenu sans Bruyneel.

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