Arc-en-ciel

L’artiste des Buffalos a repeint le football de son club ainsi que les nombreux tableaux de sa carrière et de sa vie.

Il suffit parfois qu’un bon rayon de soleil déchire un rideau de pluie pour que le ciel se refasse une beauté. A Gand, l’astre des astres n’est autre qu’ Adekanmi Olufade qui, même s’il met le feu au jeu de son équipe, ne se prend pas pour le Roi Soleil. Impérial en demi-finales aller de la Coupe de Belgique contre le Club Bruges (3-1), le Togolais précise tout de suite :  » Georges Leekens a parfaitement soudé tout l’effectif. Si je me sens bien, je le dois à mon ambition. Mais cela ne suffirait pas sans un gros travail collectif. Il n’y a pas de grands noms du football à Gand mais une bande d’amis qui se soutiennent et ont envie d’aller loin « .

Le sorcier de Lomé sourit et rien que cette force tranquille nuance gentiment son arc-en-ciel personnel. Rouge, orange, jaune, vert, bleu, indigo et violet : cet homme de couleur a associé chacune de ses nuances à une émotion de son existence. Ce surdoué a beaucoup voyagé : Togo, Espagne, France, Belgique, Allemagne, Qatar, etc. Il a vu du pays et connu des fortunes diverses.  » Mais je n’ai jamais été aussi bien reçu et compris qu’en Belgique « , avance-t-il.  » Ici, que ce soit à Gand maintenant, ou avant cela à Lokeren et Charleroi, tout a toujours été mis en place afin de bien exploiter mes atouts. Alors, je vais choisir ma première couleur…  »

 » Le bleu, c’est Gand  »

L’équipage de Leekens s’est payé la tête des troupes de Cedo Janevski en Coupe de Belgique. Leur deuxième mi-temps fut impressionnante avec à la clef un jeu fait d’engagement, d’unité, d’intelligence tactique et de vitesse. Olufade a pris part à la réalisation des trois buts gantois malgré une blessure à la cheville droite. Il n’est pas loin d’être aussi important que le plus grand joueur d’Afrique noire ayant jamais joué à Gand : Léon Mokuna, star congolaise des années 50 et 60.

 » Je ne le connais pas « , dit-il.  » En raison de mon bobo, je ne m’étais pas entraîné toute la semaine. Les kinés ont livré un travail extraordinaire afin de me remettre sur pied. Il y a un état d’esprit formidable dans ce groupe. Gand fait moins de bruit que les autres mais n’est pas moins ambitieux : le but est d’être européen en fin de saison. On vise la troisième place en championnat et s’il y a en plus la finale de la Coupe de Belgique au bout, c’est bien. Quand je suis arrivé, j’ai retrouvé le Leekens que j’avais connu à Lokeren. J’ai tout de suite apprécié son discours, ses exigences, la confiance qu’il offre à son effectif. Il aime ses joueurs. Je ferai tout ce que je peux pour lui.

Sur le terrain, les secteurs sont complets. Je m’entends bien avec Dominic Folley : l’Irlandais est un pivot tandis que j’adore profiter des espaces libres. La ligne médiane présente le même mariage (la taille de Nebojsa Pavlovic et la technique d’ Alin Stoica) avec deux flancs qui font peur à tout le monde : Christophe Grégoire et Davy De Beule que j’avais connu à Lokeren. Notre gardien de but, Frédéric Herpoel, est protégé par une défense qui connaît son job. Gand, c’est du solide, une véritable équipe (pas un agglomérat d’individualités) et l’ambiance me plaît. Tout le club est porté par un état d’esprit positif. Je n’ai pas tardé à y trouver me marques. Je ne m’étais pas rouillé au Qatar. Là, je n’ai rien lâché. C’est aussi pour cela que le ciel est bleu…, une des couleurs du club « .

 » L’orange, je l’offre à ma famille  »

Le nouveau Mbark Boussoufa des Buffalos accorde une grande importance à sa vie de famille.  » Sans mon épouse Bérénice, j’aurais probablement renoncé au football « , avoue-t-il.  » Je me suis retrouvé plusieurs fois dans des situations que je ne maîtrisais pas. Je ne regrette pas mon séjour au Qatar mais ce n’était pas ma priorité à ce moment de ma carrière. J’étais coincé par des priorités qui n’étaient pas les miennes. Je ne plains pas, je constate. Ma femme m’a conseillé, une fois de plus, de ne retenir que l’essentiel : le football. Elle avait mille fois raison. J’ai rencontré Bérénice quand je portais le maillot de Lille. Ma femme a aussi des origines lointaines. Si sa maman est française, son papa vient du Laos. J’aimerais découvrir ce pays avec elle. Bérénice s’y rendra peut-être cet été mais je serai alors retenu par l’équipe nationale du Togo.

Je jouais à Charleroi quand Crysta est née. Ce sont mes moteurs. J’ai l’habitude de voyager. A 16 ans, j’étais déjà seul en Europe afin de passer des tests à gauche et à droite. J’ai connu la solitude, les tristes soirées passées dans une petite chambre et cela me permet d’apprécier la chaleur d’une famille. Nous désirons avoir trois enfants. Au Togo, j’ai 18 frères et s£urs mais mon papa a trois femmes. C’est l’Afrique où on peut être catholique et polygame. Moi, j’ai une épouse, je l’adore et elle sera toujours la seule, bien sûr. Bérénice connaît le Togo. J’aide régulièrement les miens, c’est normal. L’orange a toujours été ma couleur préférée : je l’offre donc à ma femme Bénérice, à Crysta, à ma famille « .

 » Le rouge me fait penser à Lille  »

Il avait suffit de six mois passés à Lokeren (2000-2001) pour que le Togolais attire le regard des recruteurs de Lille alors en plein boum sous la direction de Vahid Halilhodzic. L’avenir d’Adekanmi s’annonce radieux mais il ne restera finalement qu’un an dans la métropole nordiste. Et cela lui reste sur l’estomac. A ses yeux, on ne lui a pas laissé le temps de trouver ses marques :  » Je suis toujours aussi persuadé que je pouvais réussir à Lille. J’apportais ma vitesse, ma joie de jouer. Avec Halilhodzic, cela a collé. Coach Vahid me fait beaucoup penser à Leekens. Le Bosniaque donne tout à ses joueurs mais il revendique un engagement permanent. Il faut être pro jusqu’au bout des crampons. Halilhodzic exige que ses hommes donnent tout ce qu’ils ont dans le coco même lors du plus banal des entraînements. Le travail, toujours le travail : pour lui, c’est la seule façon d’atteindre ses objectifs. J’ai joué en Ligue des Champions grâce au LOSC. Je ne peux pas l’oublier car c’est le rêve de tout footballeur. J’ai marqué et affronté des monstres comme La Corogne, Olympiacos et Manchester United. Mon but contre les Espagnols restera un des grands moments de ma carrière.

La deuxième partie de la saison fut moins drôle car j’ai été blessé aux épaules. Ces luxations à répétition m’ont obligé à passer sur le billard. Halilhodzic est parti et a été remplacé par Claude Puel qui n’avait pas confiance en moi. Le feu était donc au rouge. Lille m’a prêté à Nice en 2002 où j’ai bossé avec Gernot Rohr qui m’aligna même… au back droit. Pour un attaquant, il y a plus drôle. Les Aiglons ont suscité la sensation, occupé la pole position durant un bon moment. A la fin de cette aventure, je suis revenu à Lille car mon contrat de quatre ans me liait à ce club jusqu’en 2006. Je savais que mon avenir était ailleurs. Je le dis avec un peu d’amertume car le football français me convient parfaitement « .

 » Le jaune me rappelle l’Afrique  »

Olufade est né le 7 janvier 1980 à Lomé où ses parents, Pita et Elizabeth, gagnent leur vie en faisant un peu de commerce. Leur fils les aide, a acheté un jour une BMW d’occasion pour sa famille, envoie un peu d’argent quand c’est possible. Pita est originaire du Nigeria et se fixa au Togo avec un de ses frères. Quand Adekanmi signa ses premiers dribbles dans la rue, son père lui remit un cadeau : un beau maillot… jaune.  » Je me suis réalisé en Europe mais je dois tout, au départ, à l’Afrique « , avance-t-il.  » J’y ai joué au Sporting Club Lomé et au Dynamic Togolais. Pourtant, c’est le Satellite d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, qui m’a finalement permis d’obtenir une vraie chance en Europe. Le Satellite entretenait des relations étroites avec Lokeren. Le football est en plein boum en Afrique.

Je crois que la Coupe du Monde en Afrique du Sud sera un immense succès. Le football joue un rôle essentiel à travers tout le continent. Les joueurs qui réussissent en Europe prouvent que tout le monde peut y arriver. C’est une prise de conscience importante mais j’ai froid dans le dos, et mon c£ur est triste, quand je vois que des Africains se noient près des côtes européennes. J’avais des modèles, des idoles : George Weah, ViktorIkpeba et, plus tard, Ronaldo. Ce sont des joueurs très rapides qui empruntent les chemins les plus courts menant vers le gardien adverse. J’ai cherché à les imiter tout en ayant la chance plus tard de jouer avec ma plus grande idole, Viktor Ikpeba, à Charleroi.

Je suis international A depuis mes 16 ans. Le Togo a pris part à la dernière phase finale de la Coupe du Monde. Pour un petit pays comme le nôtre, c’était du rêve. Tout ne fut pas parfait. L’organisation du Togo laissait à désirer, je sais, mais cela s’efface devant la grandeur de l’événement. Le Togo a présenté ses footballeurs au monde entier : c’est ce que je retiens en priorité « .

 » J’ai trouvé le vert à Lokeren  »

 » Je ne suis pas une sensation « , déclarait Olufade en février 2002 après des débuts en boulet de canon à Lokeren. La flèche togolaise grillait les défenses adverses avec un malin plaisir. Cette pointe de vitesse, il l’avait acquise en jouant au football sur les plages de sable de son pays. Avec Sambegou Bangoura, il forma un méchant duo offensif.  » Je savais que Lokeren était la chance de ma vie « , narre-t-il.  » Il fallait que je réussisse ou c’était fini. Pour cela, je devais marquer tout en trouvant mes marques avec Sambegou et les autres. C’est là que j’ai eu mes premiers contacts avec Leekens. Il m’a tout de suite beaucoup parlé. Il s’est intéressé à mon parcours avant de m’expliquer son football et ce qu’il attendait de moi. Je n’avais jamais connu cela. Cette confiance m’a fait un bien fou.

Quand on vient d’Afrique, on est frappé par cette verdure, ces pelouses en parfait état. J’étais bien à Lokeren. Le président de Satellite Abidjan connaissait Leekens. La D1 ne compte évidemment aucun secret pour Leekens. Il a souvent parfaitement disséqué le style de l’un ou l’autre de mes adversaires directs sur le terrain. J’ai tiré un grand profit de ces conseils. J’avais 21 ans à l’époque et j’ai pu faire le point de mes possibilités. Leekens savait que je ne serais jamais une tour offensive avec 1m70 m mais j’avais ma pointe de vitesse et je l’ai adaptée à cette D1 belge très rude et tactique. Ici, il faut aussi pouvoir gérer ses efforts. J’ai appris tout cela à Lokeren sans hypothéquer mes atouts. Je ne l’oublierai pas : pour moi, tout a commencé en Belgique « .

 » Un peu de violet pour Charleroi  »

En 2003-2004, les Zèbres se cherchent entre deux époques. La saison précédente fut difficile avec une valse des coaches : Etienne Delangre, Khalid Karama, Dante Brogno. Ce dernier relève le gant et reste en place pour le championnat suivant. A Lille, Olufade s’interroge à propos de son avenir. Mogi Bayat a ses entrées au LOSC et ne tarde pas à contacter le sprinter togolais. La Belgique lui propose une deuxième rampe de lancement après celle de Lokeren :  » J’étais intéressé par les discours de Mogi Bayat et de Brogno. Il fallait que je me case car Lille ne me proposait rien. J’ai fait un bon choix. Après de longues périodes sans compétition, j’ai remis la machine en marche. J’ai débuté à Lokeren en n’étant pas prêt car je venais d’arriver. Cela ne m’a pas empêché de bien jouer. J’étais certain d’avoir fait le bon choix. Charleroi comptait pas mal de joueurs africains : Ibrahim Kargbo, Mustapha Sama, Kanfory Sylla, Mahamadou Kere, etc.

Il y avait un problème : j’étais assez seul en pointe et j’avais droit à des gardes rapprochées. La donne a changé avec la venue d’Ikpeba pour le deuxième tour. Avec lui, ce fut quand même plus facile en pointe car il a du métier, attire les attentions, lit bien le jeu. C’était un atout et j’en ai profité. On a eu trois coaches : Brogno, Robert Waseige et Jacky Mathijssen. Je garde un bon souvenir de ces personnalités. Brogno est un vrai Zèbre. La situation était difficile et le regard de Waseige a été utile pour que tout le monde regarde dans la même direction. Quand Mathijssen est arrivé, c’était la cote d’alerte. Il a sauvé la mise en quelques semaines. C’était du beau travail et j’aurais aimé rester à Charleroi mais des problèmes avec mes agents ne l’ont pas permis. Cela ne m’empêche pas d’associer Charleroi à un chouette moment et à une belle couleur : le violet « .

 » Je donne l’indigo à ceux qui…  »

L’indigo est la septième couleur de l’arc-en-ciel. On ne le devine même pas à côté des six couleurs dominantes. Est-ce pour cela que l’artiste gantois la réserve à ceux qui n’ont pas cru en lui ?  » Il ne faut jamais se décourager « , conclut-il.  » J’ai rêvé et vu l’envers du décor. J’ai passé quelques mois au Stade Nyonnais en 2000 et cela n’a pas collé. Avant cela, j’avais déjà passé un stage à Metz en 1997. Là, j’ai eu froid, je me suis senti très seul. Ce fut un échec mais l’année suivante, j’étais au Real Madrid, au centre de formation. Mais je n’avais pas les papiers adéquats et on m’a cédé à un petit club de D5. Je suis reparti en Afrique. On ne croyait pas encore en moi. Ce n’était pas évident. J’étais jeune.

La donne a été différente dans mon club du Qatar, Al-Siliyah. Même si ce ne fut pas facile tous les jours, j’étais armé pour tenir le coup durant deux saisons. J’ai marqué pas mal de buts et j’ai bossé. La vie était impossible pour ma femme. Elle était loin de sa famille et ne pouvait pas vivre normalement. Le Qatar est un petit pays où il n’y a pas beaucoup à faire. Quand il faisait chaud, Bérénice ne pouvait pas profiter du soleil, revêtir une robe légère. C’était difficile. J’ai bien gagné ma vie au Qatar ou à Dubaï (j’ai joué trois mois à Al Emirate) mais la vie, c’est autre chose. A 26 ans, je voulais rejouer venir en Europe. Quand Leekens m’a téléphoné pour Gand, j’étais libre. J’ai sauté sur l’occasion « .

par pierre bilic

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