Apollon ne pleure pas

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

L’attaquant grec n’a pas encore justifié son transfert mais ne se voile pas la face :  » Je ne suis pas bon « .

Le bon début de saison du Standard ne suffit pas à faire oublier aux supporters le duo d’attaquants Aarst-Lukunku. Bangoura-Kaklamanos ne tient pas ses promesses. Ils devaient former l’un des couples de l’année, mais on attend encore que ces joueurs reproduisent les performances qu’ils alignaient, la saison dernière, avec Lokeren et Gand.

Sont-ils les seuls responsables de leurs insuffisances à l’allumage ? Le Grec évoque un problème collectif, reconnaît aussi qu’il évolue en dessous de son niveau et a l’élégance de ne pas jeter de poudre aux yeux des supporters :  » Je ne peux rien leur promettre. Si je leur jurais que le meilleur Kaklamanos se manifesterait dans deux ou trois matches, je me mettrais de la pression. Or, je suis mauvais quand je suis sous pression « .

Mais quand allez-vous confirmer en championnat vos bons matches de préparation ?

Alexandros Kaklamanos : Attendez, il n’y a pas que Kaklamanos qui soit moins efficace que lors des matches amicaux. Peu de joueurs ont trouvé le bon rythme depuis le début du championnat. Malgré cela, notre classement est cent fois meilleur qu’il y a un an. C’est encourageant pour la suite.

Comment expliquez-vous vos propres difficultés à trouver le bon rythme ?

Le principal problème, c’est le nombre insuffisant de bons centres qui arrivent dans ma zone. Bangoura et moi, nous sommes fort dépendants des centres. S’il y en avait plus, nous poserions de gros problèmes à toutes les défenses.

Pourquoi y en a-t-il aussi peu ?

Sans doute parce qu’il faut laisser à cette équipe le temps de bien se mettre en place. La plupart de nos attaques se font par le centre. Ça peut être efficace, mais une bonne équipe doit pouvoir varier ses coups : attaquer alternativement par l’axe et via des centres à destination des attaquants de pointe. Le problème était frappant contre Genk : notre ligne d’attaque a été bouffée par l’axe central défensif de l’adversaire. Une équipe qui n’essaye d’être dangereuse que par l’axe et tombe sur un bon duo défensif, a peu de chances de marquer. Ajoutez à cela que tout le monde connaît maintenant très bien Bangoura et Kaklamanos : beaucoup d’entraîneurs nous considèrent comme des épouvantails et on ne nous fait pas de cadeaux.

C’est ça, la rançon de la gloire…

Tout à fait. Mais c’est à toute notre équipe de trouver la parade. Si les adversaires nous serrent de trop près, les médians doivent pouvoir enlever leurs £illères et ouvrir le jeu. Ma remarque vaut pour tout l’entrejeu, qui doit hausser le rythme. Plus personne n’ignore les qualités techniques de Moreira. Alors, on lui met souvent deux adversaires sur le dos. S’il ne joue pas vite, il a toutes les chances de se faire chiper le ballon. Il doit passer à la vitesse supérieure, cela lui permettra de se défaire du marquage et de nous donner de bons ballons. Il faut aussi que les médians se mettent à marquer dans les matches où Bangoura et moi sommes surveillés de trop près. S’ils se reposent continuellement sur nous, la suite de la saison sera très difficile.

 » Emile ? Un problème pour le coach, pas pour moi  »

Kaklamanos et Bangoura ne sont-ils pas trop semblables pour jouer côte à côte ?

Non. Nous avons réussi de bonnes choses lors de la campagne de préparation : cela veut déjà dire qu’il nous a fallu peu de temps pour bien nous comprendre. C’est prometteur. Il sait ce qu’il doit faire quand j’ai le ballon, et vice-versa. Le problème û je le répète û, c’est que nous recevons beaucoup trop peu de ballons négociables. On ne peut pas me demander de dribbler deux ou trois défenseurs pour me retrouver enfin seul face au gardien. Je pourrais essayer, mais je ne garantis rien (il rit). Si l’équipe pratique le bon système, ça peut faire des flammes avec deux vrais buteurs comme Bangoura et moi.

Votre truc, ce sont uniquement les centres aériens ?

Attendez… Analysez mes statistiques : je marque plus souvent du pied que de la tête. Je sais que j’ai la réputation d’être surtout fort dans les airs, mais ce n’est pas vrai. Je peux scorer facilement avec mes pieds, mais pour cela, il me faut de bons ballons.

Moreira est dans le creux de la vague depuis la première journée : n’est-ce pas une des principales explications de vos difficultés offensives dans certains matches ?

Il n’y a pas que lui. Alors, qu’on arrête de l’accuser.

Walasiak vous délivre des centres intéressants depuis le flanc droit, mais l’apport de Kimoto est beaucoup moins concluant à gauche !

Normal : Kimoto est un pur droitier. Il doit pivoter et mettre la balle sur son bon pied avant de pouvoir centrer.

Mumlek pourrait-il solutionner les problèmes d’approvisionnement ?

C’est un gaucher et il pourrait jouer sur la gauche de l’entrejeu, mais je ne suis pas sûr qu’il aurait le même apport défensif que Kimoto.

Il peut aussi jouer dans l’axe, à la place de Moreira !

Je n’en sais rien.

Ou à côté de Moreira, mais le système se transformerait alors en 4-5-1 et il n’y aurait donc plus qu’une seule place devant : bonjour la concurrence !

Je ne suis pas persuadé de l’efficacité de cette solution-là. D’abord parce que Moreira et Mumlek sont deux vrais médians : ils ne parviendraient peut-être pas à faire régulièrement la différence devant le but, et ils ont des carences défensives. Ensuite parce que le Standard doit jouer avec deux attaquants de pointe. C’est une question de tradition et les supporters n’accepteraient pas de voir un seul avant spécifique sur le terrain.

Un seul attaquant spécifique, cela signifierait deux stars sur le banc. Car Emile s’est ajouté au duo Bangoura-Kaklamanos !

L’arrivée d’Emile n’est pas un problème pour moi. J’ai l’impression que c’est surtout un souci… pour le coach, qui devra trancher chaque semaine. Je suppose que c’est la forme du moment qui primera.

 » J’ai encore moins d’occasions qu’à Gand  »

La paire Mpenza-Bangoura n’est-elle pas mieux balancée que le couple Bangoura-Kaklamanos ?

Peut-être. On verra…

Seriez-vous prêt à devenir le joker de luxe du Standard ?

Pourquoi pas ? Le plus important, ce n’est pas Kaklamanos ; c’est le Standard. Si l’équipe gagne sans moi, je serai content aussi.

Mpenza et Bangoura risquent de faire des vagues s’ils ne jouent pas. Le fait que vous soyez plus réfléchi dans vos réactions ne va-t-il pas vous handicaper ?

Je vous répète que, si je dois attendre mon tour sur le banc, je le ferai. Je suis payé pour être pro et accepter les décisions de l’entraîneur.

N’est-ce pas un manque d’ambition ?

Pas du tout. Je sais que le coach choisira les joueurs qui seront dans la meilleure forme. Je suis assez grand pour comprendre que, si je ne suis pas bon, ma place est plus sur le banc que sur le terrain.

Vous a-t-on déjà vu dans votre meilleure forme depuis votre arrivée au Standard ?

Non. Tout le monde le voit, je ne vais pas essayer de faire croire le contraire. Je ne joue pas à mon niveau pour le moment ; la plupart de mes coéquipiers non plus.

De quoi avez-vous besoin pour retrouver toutes vos sensations ?

Il me faudrait un tout bon match, au moins un but dans la rencontre en question, et la victoire en même temps. Ce serait le déclic assuré.

Pouvez-vous rassurer les supporters ?

Non. Je ne vais pas leur lancer de la poudre aux yeux, leur promettre un tout grand Kaklamanos dans deux ou trois semaines. Ce serait la meilleure façon de me mettre sous pression. Or, la pression me paralyse plus qu’elle ne me fait progresser. My head must be clear. Je suis toutefois sûr d’une chose : la grande forme finira bien par revenir un jour ou l’autre. Souvenez-vous d’Aarst : lui non plus ne s’est pas imposé directement au Standard.

Vous marquiez 13 buts par saison, en moyenne, à Gand : logiquement, vous devriez encore améliorer ce total dans une équipe comme le Standard !

Pas d’accord. Je suis bien plus surveillé que quand j’étais à Gand.

Mais vous aurez plus de belles occasions ici qu’à Gand !

Pour le moment, ce n’est sûrement pas le cas…

 » J’ai perdu du poids, mais aussi û sans doute û de la puissance  »

N’êtes-vous pas trop lourd ?

Détrompez-vous : j’ai perdu quatre ou cinq kilos par rapport à la saison dernière !

Comment ?

En mangeant mieux et en travaillant dur aux entraînements.

Qui a décidé de vous faire maigrir ?

Le staff. Je n’étais pas convaincu que je devais perdre du poids, mais j’ai accepté de suivre les consignes.

Sans doute. Perdre autant de poids en deux mois, ce n’est quand même pas naturel.

Etes-vous d’accord avec Thierry Siquet quand il dit que vous n’êtes pas trop difficile à surveiller, vu que vous ne vous déplacez jamais vers la gauche ou vers la droite ?

On m’a transféré pour que je marque des buts. Donc, je dois me mettre au bon endroit : dans l’axe. Si je me positionne près d’un piquet de corner, j’ai peu de chances de faire tourner le marquoir… L’an dernier à Gand, c’était encore plus frappant que maintenant. Comme j’étais le seul attaquant, je devais être en permanence devant le goal. Si j’avais été ailleurs lorsqu’un bon ballon arrivait, je n’ose pas imaginer la tête de l’entraîneur.

Siquet dit aussi que vous laissez facilement tomber les bras si vous ratez un ballon facile.

Il a raison. Cette situation s’est produite plusieurs fois à Gand. Mais c’était humain. Dans les matches où ça tournait bien pour nous, j’héritais de deux ou trois ballons de but. Dans la plupart des cas, je n’en recevais qu’un seul. Voire pas du tout. Alors, si je ratais une occasion cinq étoiles, je me disais qu’une opportunité pareille ne se représenterait sans doute pas avant la semaine suivante et je me décourageais.

Non. Je suis sous le charme de nos supporters. Le public du Standard est fort semblable à celui des clubs grecs : il n’est pas moins chaud. Il est seulement… moins dangereux. Ces gens sont terriblement contents quand l’équipe gagne, c’est normal. Et ils sont affreusement déçus après une défaite, cela peut se comprendre aussi. Pendant mes trois années à Gand, j’ai évolué dans une atmosphère fort différente. Là-bas, les gens qui venaient aux matches étaient fort philosophes. Du style : -Si on gagne, tant mieux, mais si on perd, tant pis, c’est le foot. On espère que ça ira mieux la prochaine fois. Ici, un nul est considéré comme une défaite, quel que soit l’adversaire.

Pourquoi ne vous voit-on jamais sourire, même après un beau but ?

Je suis comme ça. Je suis très heureux, mais c’est une joie intérieure. Je ne changerai plus à mon âge (il rit). Ma femme aimerait que je montre plus mes émotions, mais je m’ouvre difficilement, que ce soit sur un terrain ou dans la vie. Pour que je fasse vraiment confiance à quelqu’un, il faut d’abord que je le passe au scanner. I have to check him.

On ne vous verra donc jamais fêter vos buts comme Sonck ?

Les saltos, ce n’est pas pour moi. D’abord, j’en suis incapable. Ensuite, je n’en ressens pas le besoin. Il ne m’est arrivé qu’une seule fois d’être vraiment ému pendant un match : après avoir marqué un but important pour l’Olympiakos, dans les arrêts de jeu. Ce club n’avait plus été champion depuis dix ans et, ce jour-là, j’ai contribué à le rapprocher du titre. Je n’ai pas pu me retenir et j’ai pleuré comme un gosse. Mais c’était un fait isolé.

 » Je ne ferai pas mes valises comme Aarst  »

Vous vous manifestez peu, mais vous étiez quand même considéré comme un des leaders du noyau de Gand : comment peut-on combiner cette discrétion et ce respect dans un groupe ?

Les meilleurs leaders sont ceux qui parlent peu. C’est ça, l’autorité naturelle. Quand on discute sans arrêt, quand on donne son avis sur tout, on finit par perdre le respect de ses coéquipiers.

Vous êtes aussi amoureux de la Grèce qu’Aarst l’est de la Norvège : vous ne risquez pas de filer du jour au lendemain, comme lui ?

(Il rit). Aucun risque. J’adore la Grèce mais je suis heureux de travailler en Belgique. Je ne vais pas me réveiller demain en me disant qu’il est temps de faire mes valises.

L’idée de poursuivre votre carrière au pays ne vous a jamais effleuré ?

Si l’Olympiakos ou le Panathinaikos se manifeste, je signe demain. Les grandes équipes grecques sont meilleures que Bruges et Anderlecht. Par contre, le niveau moyen du championnat de mon pays est inférieur à celui de la compétition belge. Je l’ai déjà signalé à des journalistes grecs : ils ne sont pas d’accord, mais je leur dis alors de venir jeter un £il ici pour s’en convaincre. Donc, si c’est pour aller dans un club grec de mi-classement, non merci. En plus, il y a des problèmes financiers énormes là-bas et les conditions d’entraînement sont déplorables.

Vous ne serez donc jamais international !

Je sais. En jouant en Belgique, je n’ai aucune chance. Tant pis.

 » Les meilleurs leaders sont ceux qui parlent peu : c’est l’autorité naturelle « 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire