Antistress d’Ardenne

Démoli par la célébrité et la vie moderne, l’ancien champion s’est requinqué sur les rives de la Lomme.

A Grupont, un chemin mène péniblement, surtout quand il pleut, vers un gîte de chasseurs qui offre une vue merveilleuse sur la forêt ardennaise. Le calme dans toute sa splendeur avec la Lomme qui coule au loin…

Là-bas, les gens disent que les Planckaert, Eddy, sa femme Christa, et leurs enfants, Francesco (21 ans), Stéphanie (14 ans) et Junior (10 ans) , habitent à « Ways », comme on dit là-bas, une clairière où le bétail flirte parfois avec les cerfs, les biches et les sangliers. Nassogne n’est pas loin, Tellin non plus. Les habitants de Grupont ont accueilli la tribu Planckaert avec un large sourire.

« Ils sont très gentils », dit une dame du village. »Quand l’épouse de l’ancien champion passe en voiture, elle n’oublie jamais de nous saluer d’un petit geste de la main. Très sympa. Cela met de l’animation chez nous. Vous savez, Grupont meurt. Il ne reste plus que 190 habitants. Avant, nous étions au moins 300. Un tiers en moins, c’est beaucoup. Avant, Grupont comptait une gendarmerie, une gare, des épiceries. Tout est fermé. Les jeunes partent et sont remplacés, le week-end, par des Allemands et des Hollandais ».

Eddy (45 ans) et son clan sont déjà bien intégrés dans le paysage et les habitudes de vie de la région. Les deux plus jeunes fréquentent les écoles de la région. Ils parlent français, Eddy et son épouse progressent dans la langue de Voltaire, font leurs courses avec un évident plaisir à Rochefort où les badauds les reconnaissent avec discrétion. Là-haut, Francesco, le fils aîné triture des moteurs de voiture. C’est un mécanicien hors pair qui plonge sous le capot de la Ford Mustang de son père, offerte par un sponsor, ou désosse des épaves pour prendre part activement à des rodéos automobiles.

« J’avais besoin de prendre du recul par rapport à tout », avance Eddy Planckaert. « La société dans laquelle nous vivons tous est totalement folle. L’homme n’y représente plus rien. C’est un faux monde des loisirs car tout est remplacé par l’argent, la production, la performance. Nous sommes pressés comme des citrons. A un moment ou l’autre, le fil casse. J’ai vécu dans cet univers de dingues et je fonçais droit dans le mur. J’étais un esclave du système, j’ai brisé mes chaînes, je me suis libéré, je suis heureux car je vis au rythme de la nature. Je fais ce que je veux, quand je le veux. L’Ardenne est un paradis. Cette liberté est à portéede la main dans cette région, pas en Flandre. J’en avais besoin comme de pain, c’était vital. J’ai vécu des moments très pénibles. Ici, je respire, je me sauve, je me retrouve en toute simplicité avec les miens. Rien n’est altéré par le luxe, le superficiel, le stress et la pollution . Je vis comme un Indien. A la Eddy Planckaert. Au début, nous n’avions ni eau ni électricité. C’était chouette mais, maintenant, un petit groupe électrogène a résolu ces deux problèmes.Tout le monde est bien, les enfants en tête ».

Burning Man

Junior s’est emparé d’une carabine à air comprimé. Le gamin au look de futur acteur de cinéma se transforme en Davy Crockett des temps modernes. Il n’a pas encore croisé de grizzly mais est prêt pour une nouvelle version de Danse avec les Loups Sans le savoir, les Planckaert écrivent les premières pages belges d’un phénomène qui fait rage aux Etats-Unis. Dans le Black Rock Desert, un désert aride formépar le lit d’un ancien lac du Nevada, des dizaines de milliers de citadins, de yuppies, d’hommes d’affaires pressés jusqu’à la déprime, de fous de la société de communication et de consommation se réunissent le jour de la fête du travail ( Labour Day, le 1er septembre en Amérique) et tournent le dos à leurs soucis, leurs tensions et leurs frustrations. C’est le Woodstock des temps modernes.

Certains consacrent leurs congés annuels à cet événement. Ils restent parfois toute la semaine à Black Rock Desert. Le confort y est limité à sa plus simple expression: climat rude, logement primitif et construit avec ce qu’ils trouvent sur place, bannissement de l’argent, pas de télévision, de téléphone ou de liaison Internet, etc. Là, tout le monde prend le temps d’écouter de la musique, de discuter de tout et de rien avec des inconnus, de danser, de se reposer dans les tentes, etc. A la fin de cette plongée dans le désert, les participants brûlent une statue en bois de plus de 15 mètres représentant un homme, probablement stressé par la société moderne, c’est la séance du Burning Man, l’Homme Brûlé, qui a finalement donné son nom à ce phénomène de société.

Puis, quand la cendre a fait son oeuvre, le désert reprend sa place, la cité éphémère, Black Rock City, s’efface sans laisser de traces, comme un vaisseau irréel, OVNI qui n’apparaît qu’une fois par an. Eddy Planckaert ne connaît pas Larry Harvey, qui a lancé cette mode aux States en 1990 mais il est dévoré par les mêmes maux, les mêmes rêves. Sa prairie deviendra-t-elle un jour le Black Rock Desert des Ardennes? Pas impossible. Ce retour à la nature, à la tribu, lui fait un bien fou. Pour le moment, l’ancien champion cycliste écrit un livre. Il a déjà noirci les pages de quelques cahiers. L’écriture est serrée. Il a beaucoup de choses à dire.

Irrespirable en Flandre

« Cela tournera en grande partie autour du stress », dit-il. « Je ne connais pas encore le titre de mon bouquin. L’émotion sera présente car je raconte mes problèmes, ma faillite, l’histoire de ma famille sans oublier, mais à petites doses, mes aventures cyclistes. Le stress est prenant mais il est possible de le vaincre en changeant sa façon de voir la vie. J’ai tout surmonté et ce sera positif car on en sort en transformant les problèmes en atouts. On pourrait croire que j’ai tout perdu avant de me fixer dans les Ardennes. Rien n’est plus faux. Je n’ai plus d’argent mais je suis en harmonie avec moi-même. Cela vaut des fortunes. J’avais des affaires dans le commerce du bois dans les pays baltes. J’ai été roulé, volé par des gens à qui j’avais fait confiance et, moi, j’ai tout perdu, eux pascar ils sont devenus les numéros un dans leur secteur économique et gagnent des millions. C’était décourageant sur le moment même mais, avec le recul, cela m’a apporté beaucoup. Et puis, si j’ai perdu des illusions, je suis plus fort car j’ai fait des choix pour moi et ma famille.

J’ai réfléchi. Je savais depuis longtemps que la vie allait m’éloigner un jour de la Flandre. Quand je gagnais des courses, on me tapait dans le dos mais je sentais que la jalousie était rampante. Puis, plus tard, je me suis rendu compte que l’atmosphère devenait petit à petit irrespirable en Flandre. Le nord de la Belgique n’est plus qu’une grande métropole. La nature y est réduite à zéro. Il y a encore les Ardennes flamandes dont on parle beaucoup durant le Tour des Flandres. Ce ne sera bientôt plus qu’une réserve naturelle. Il ne reste rien, on s’enfonce d’une ville dans la périphérie d’une autre cité. Le béton est partout. Les autoroutes ont envahi tous les paysages et le bruit est infernal: les avions, les usines, le trafic automobile, etc. A la fin, je passais trois ou quatre heures tous les jours au volant de ma voiture. Intenable. J’en connais qui trouvent cela tout à fait normal. Est-il d’ailleurs normal d’estimer cela normal?

Cette frénésie a un gros impact sur le caractère des gens. Ils n’ont jamais le temps de vivre ensemble, sont de plus en plus nerveux et acariâtres. C’est de la folie. Où est la qualité de la vie dans tout cela? Doit-on passer son temps à courir derrière l’argent qui vous dévore à petit feu? La Flandre ne va pas bien, a mal à sa modernité. A quoi bon se multiplier si, en finalité, cela ne sert à rien, sinon à provoquer stress et déprimes? J’ai découvert un autre rythme à Grupont. Les Ardennais sont plus heureux que les Flamands car ils ont maintenu la qualité de la vie au centre de leurs préoccupations. Ils ne veulent pas être partout à la fois. Les Ardennais ont compris que c’était impossible. Je ne m’en suis rendu compte qu’assez tard dans ma vie finalement. Ici, on prend le temps de se dire bonjour, d’écouter les autres, sans faire semblant en regardant sa montre car le temps serait de l’argent. Tout est tarifé, on n’a plus une seconde pour soi ou pour les autres. C’est tuant. Mais la société dite moderne avance et, les Ardennais, eux aussi, doivent protéger leur rythme de vie.

Dans mon gîte de chasseurs, je peux regarder autour de moi sans rien voir d’autre que des forêts. L’horizon n’est pas pollué par des cheminées et des fabriques. Les gens sont gentils. Il faut travailler pour vivre, je le sais et j’ai trois enfants, mais on en arrive souvent à vivre pour travailler et je ne veux plus tomber dans ce piège. J’aime la Flandre, c’est mon coin natal, mais je ne pourrais pas y revivre ».

Méditation

Eddy Planckaert n’a pas déniché sa petite maison de chasseurs du jour au lendemain. Son fils aîné, Francesco, s’entraînait avec un ami habitant dans la région. Ils se sont arrêtés un peu par hasard afin de découvrir le gîte que le nouveau propriétaire mettait en location. Francesco eut le coup de foudre et en parla tout de suite à son père. « J’ai flashé moi aussi », affirme Eddy Planckaert. « J’ai toujours accordé une grande importance à la méditation. Avant de me fixer dans les Ardennes, je pensais prendre la direction des Pyrénées. J’envisageais d’y dénicher une petite maison dans la haute montagne. Etre seul avec les miens, c’est ce j’ai trouvé dans les Ardennes.Cela vaut toutes les fortunes de la terre ».

Ce bonheur, l’ancien champion de boxe Jean-Marc Renard l’a aussi trouvé dans les forêts de la Famenne et des Ardennes où il a échangé, depuis longtemps, ses gants pour une cognée de bûcheron. Mais si Jean-Marc ne veut plus entendre parler des médias, ce n’est pas le cas d’Eddy Planckaert. Durant des mois, des équipes de la chaîne de télévision commerciale flamande VTM ont tout filmé autour de la cabane de Grupont. Il y avait des spots et des caméras partout. « Pas évident » , lance Eddy Planckaert. « Ce fut même assez chaotique ».

La série télévisée des Planckaert récolte un succès comparable au sitcomconsacré à la famille Pfaff: RTL et Canal+ s’intéresseraient à la série. Eddy est également chargé des relations publiques du dancing Bocaccio de Halen, près de Diest. Ne craint-il pas de retomber dans les pièges qui ont miné sa vie? Une série télévisée, des activités de PR, un livre, des activités de groupes à Grupont et à Rochefort: c’est énorme.

« Non, je ne serai pas emporté par une nouvelle tourmente », dit-il. « Maintenant, je sais choisir. Nous tenons tout en mains et nous saurons faire les choix qui protégeront la qualité de notre vie familiale.J’ai été naïf, c’est fini ».

Eddy Planckaert a à peine regardé les classiques cyclistes à la télévision. Son frère Walter a toujours des ambitions de directeur sportif. Eddy Planckaert ne veut pas revenir dans ce milieu. La page est tournée. Mais c’est en organisant des réunions de cyclos en Ardenne qu’il espère bientôt gagner sa vie. Son fils Francesco est un jeune coureur racé. Il s’entraîne à nouveau et espère retrouver les chemins du progrès après avoir souffert d’un genou. Junior, Francesco et Eddy pensent même enregistrer quelques chansons et réaliser un CD. Avec Junior à la batterie, Francesco au micro et Eddy à la bassecela va faire du bruit. Chut, il y a d’abord ce livre à terminer. saint Hubert, le patron de chasseurs et de l’Ardenne, doit être contentlà-haut : les Planckaert sont heureux chez lui.

Pierre Bilic

Legende 2

« Je n’ai plus d’argent mais je suis en harmonie avec moi-même »

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