Anonymat et relance

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Les Hurlus se sont remis en selle en enterrant les dernières ambitions européennes des Zèbres.

On a senti Hugo Broos soulagé après la victoire de Mouscron à Charleroi. « Nous sortons d’une semaine difficile sur le plan émotionnel », disait-il. « En lisant la presse, on aurait pu finir par croire qu’il n’y avait plus rien de bon à Mouscron ».

Les Hurlus n’ont pas signé un match d’anthologie sur la pelouse du Mambourg mais ils ont pris les trois points face à un Sporting terriblement emprunté et très friable défensivement tout au long de la première mi-temps. « Un problème mental », souligna Enzo Scifo. A défaut d’être la victoire du beau jeu, ce fut celle de l’organisation. Elle rend à l’Excelsior des espoirs de qualification européenne. Des ambitions que les Zèbres peuvent maintenant complètement oublier. Les Mouscronnois n’ont en tout cas pas les cartes en mains. S’ils veulent disputer la prochaine Coupe de l’UEFA, ils devront compter sur le gaspi de clubs comme Gand, Westerlo, le Standard et le GBA. Comment s’expliquent les difficultés rencontrées par Mouscron cette saison et le recul progressif du Sporting au classement général? Un médian en vue de chaque équipe livre son explication.

Le Croate Tonci Martic, qui a raté le match à Charleroi à cause d’une contracture à la cuisse, est incontournable sur le flanc gauche de l’Excel depuis trois ans. Ce célibataire a entamé une procédure pour obtenir la nationalité belge et affirme qu’il se sent comme un poisson dans l’eau à Mouscron, où il est aussi le joueur le plus populaire auprès des… supportrices. « Sans doute parce que j’habite dans le centre-ville et que je ne refuse jamais un sourire ou une petite conversation avec les gens qui suivent le club », dit modestement cet homme au grand coeur (voir encadré).

Côté carolo, Grégory Dufer est l’homme en forme depuis la reprise. Il fut à nouveau dans tous les bons coups du Sporting, samedi soir. International Espoir, il a un peu plus d’un an de D1 dans les jambes et il explose sur le flanc droit. Il suscite actuellement l’intérêt de La Gantoise, mais surtout du Standard.

« Notre bon début de saison nous a fait un peu oublier la nécessité d’une concentration et d’une ambition permanentes », affirme Dufer. « Tout le monde, au Sporting, était bien d’accord sur un point au moment d’entamer le championnat: nous allions vivre une saison de transition. Après quelques matches, nous avions obtenu un nombre de points complètement inespéré et nous nous sommes relâchés en pensant que nous ne serions de toute façon pas mêlés à la lutte pour le maintien. Nous avons oublié d’être plus ambitieux et de songer sérieusement à une qualification européenne par exemple. La Coupe de l’UEFA, nous l’avons bien évoquée au moment où nous étions très bien classés, mais c’était très vague et je crois que personne, dans le noyau, n’y songeait sérieusement. C’est dommage, et nous pourrions avoir des remords tout en fin de saison si nous constatons que nous avions suffisamment de qualités pour nous qualifier ».

Globalement, Dufer n’est quand même pas trop mécontent des prestations du Sporting depuis le début de la saison: « Nous avons montré de bonnes choses au premier tour, et nous avons de nouveau pratiqué un football intéressant au cours des derniers matches. Je sens que la griffe d’Enzo Scifo se manifeste de semaine en semaine. Tout en nous imposant un travail physique auquel nous n’étions pas habitués, il met l’accent sur un jeu technique beau à voir. Le but que nous avons marqué à La Gantoise était un modèle: tout en une touche de balle ».

Martic a un avis nettement plus tranché quand il évoque la saison des Mouscronnois: « Notre classement actuel n’est pas catastrophique, mais la manière n’y a jamais été depuis le début de la saison. Notre équipe évolue à 40% de ses possibilités dans ce championnat! Nous sommes paralysés par le stress et la peur de mal faire. Tout le monde avait sous-estimé l’importance des départs de Stefaan Tanghe et Yves Vanderhaeghe. C’est dans ces transferts que se trouve l’origine de nos problèmes. Yves était véritablement le coeur de cette équipe. On se contentait de louer son abattage, mais il était bien plus qu’un grand travailleur. Ses qualités techniques, par exemple, passaient inaperçues. Il prouve aujourd’hui à Anderlecht qu’il peut aussi réussir des petits exploits personnels. Je n’ai pas vu un joueur techniquement plus brillant que lui lors du match de la semaine dernière entre la Lazio et Anderlecht! On n’arrête pas de vanter Bart Goor et Walter Baseggio, mais c’est en grande partie grâce à Yves qu’ils ont progressé de 40 ou 50% en quelques mois ».

A Mouscron, Vanderhaeghe récupérait un nombre incalculable de ballons, il était disponible en permanence pour ses coéquipiers et il faisait bien souvent office de premier maillon dans la construction des actions. « A qui les défenseurs donnaient-ils le ballon en priorité dès qu’ils étaient pressés par un adversaire? A Yves. Presque systématiquement », rappelle Martic. « Les autres défenseurs et les médians se démarquaient et appelaient le ballon en sachant que s’ils étaient mis en difficulté, ils pourraient de nouveau le céder à Yves, qui ne perdait jamais le cuir dans la zone dangereuse et ne donnait qu’une ou deux mauvaises passes tous les quatre matches. Il formait une pointe d’un tas de triangles dans notre équipe. A gauche, par exemple, quand Marco Casto avait la balle, Yves était son point de relais privilégié, puis il m’alertait et cela nous permettait de progresser d’une ligne sur le terrain. Même chose à droite. Idem avec nos attaquants. Yves était véritablement le point de passage obligé. Quand l’adversaire se regroupait sur le flanc où se déroulait le jeu, nous repassions à Yves, qui faisait basculer vers l’autre côté. L’équipe d’en face avait besoin de quelques secondes pour se repositionner et cela nous permettait d’arriver près du but ».

De ces combinaisons, il ne reste plus grand-chose à Mouscron. « La différence au niveau de la confiance est saisissante par rapport à l’an dernier », poursuit Martic. « Le joueur qui a le ballon et lève la tête, ne voit personne susceptible de le dépanner. Ce n’est pas un problème à l’entraînement: tous les joueurs essayent de participer aux actions offensives car ils savent que s’ils perdent la balle, on leur fera tout au plus une petite remarque pas bien méchante. En match, c’est complètement différent: la peur de mal faire nous paralyse et tout le monde se cache. Nous n’osons pas construire: c’est notre gros problème. Je ne décèle pas, chez nous, l’intention de bien jouer au football. Je ne vois pas, dans notre équipe, un seul joueur qui a évolué à son niveau depuis le début de la saison. Nous n’avons été bons qu’une seule fois: lors du match aller contre Charleroi. C’est peu… Le jeu de Mouscron, cette saison, c’est une succession de longs ballons. Un football affreusement stéréotypé. Notre public a été gâté pendant deux ans: lors de nos matches à domicile, nous proposions un football bien construit et attrayant. Le spectacle était souvent au rendez-vous. Cette saison, nous sommes méconnaissables. Comme personne n’est disponible, le possesseur du ballon donne un grand coup de botte imprécis vers l’avant. Pendant deux ans, nous avons su faire courir l’équipe qui venait au Canonnier. Aujourd’hui, ce sont nos joueurs qui courent derrière des balles insaisissables. Nous nous épuisons après une mi-temps alors que l’adversaire garde la fraîcheur qui lui permet finalement d’obtenir un bon résultat. Un long ballon avantage le défenseur car il ne doit songer qu’à le renvoyer vers l’autre camp. L’attaquant, lui, doit penser à un tas de choses: ne pas être en position hors-jeu, éliminer son adversaire direct, encore progresser vers le rectangle et donner une bonne passe. Tout cela alors que les attaquants sont en infériorité numérique par rapport aux défenseurs. Bref, ces longues balles ont très peu de chances de nous valoir des buts quand nous jouons à domicile ».

Après le gros passage à vide en début de deuxième tour, les Zèbres ont repris des couleurs dans les matches contre Genk et La Gantoise. Ce n’est pas le fruit du hasard, pense Grégory Dufer. « Nous avons procédé à une remise en question intéressante », explique-t-il. « Nous avons beaucoup parlé pour trouver les raisons du malaise et découvert que notre groupe était en panne de confiance. De plus, la communication et la concentration n’étaient plus au rendez-vous. Personne, chez nous, ne voulait entendre parler d’une fin de saison en roue libre, sans aucun objectif concret. Nous avons prouvé contre Genk et à La Gantoise que nous avions capté le message de l’entraîneur ».

Un excès de confiance s’est-il installé dans le noyau du Sporting après ces deux bons résultats? Les supporters ne se contenteront pas de cette explication, et à la fin du match de samedi, ils ont clairement manifesté leur mécontentement.

Le public mouscronnois n’apprécie pas non plus le « spectacle » fourni par ses joueurs depuis le début de la saison et l’a fait savoir bruyamment, pour la première fois, lors de la visite de Beveren, il y a dix jours. « Je ne peux vraiment pas en vouloir à nos supporters », lance Martic. « Ils étaient 7.000 contre Beveren alors qu’il gelait à moins quatre. Chapeau pour leur motivation. Et certains dépensent beaucoup d’argent pour nous accompagner à l’autre bout de la Belgique. Nous n’avons pas le droit de les décevoir comme nous le faisons depuis plusieurs mois. On ne peut même pas dire que les supporters de Mouscron soient particulièrement exigeants. Ils sont prêts à nous pardonner un mauvais résultat, pour autant que nous ayons manifesté l’envie de prendre le jeu à notre compte. Lors des deux dernières saisons aussi, nous avons signé quelques résultats décevants au Canonnier. Mais nous avions souvent des circonstances atténuantes. Il nous est arrivé de ne prendre qu’un point contre une équipe de bas de classement, mais c’était parce que la chance nous avait tourné le dos ou parce que le gardien adverse avait joué le match de sa vie. Notre public ne nous en voudra pas si nous sommes battus après avoir eu quinze occasions franches. Mais, dernièrement contre Beveren, nous n’avons eu qu’une occasion et demie de faire la différence ».

Martic n’a pas complètement abandonné ses espoirs européens. Il compte sur une bonne fin de saison de l’Excel et un passage à vide des concurrents directs. « Il reste 27 points à prendre », calcule-t-il. « Nous ne sommes finalement qu’à un cheveu de la troisième place. Si nous nous persuadons de nouveau que le match qui vient est le plus important du monde, nous garderons une chance de nous qualifier pour la Coupe de l’UEFA. Même si je doute que le déclic salvateur puisse survenir en quelques jours. Tout serait beaucoup plus simple si nos difficultés s’expliquaient par la petite forme de quelques joueurs. Mais j’ai l’impression que pour voir un autre Excel, il faudrait changer toute l’équipe! Aucun secteur n’a été bon cette saison ».

Hugo Broos suit quelques joueurs en vue de la saison prochaine. Sur quoi faudra-t-il mettre l’accent pour retrouver un Mouscron performant dans la roue des gros cubes de notre championnat? « Il n’est même pas nécessaire de faire venir de nouveaux joueurs », clame Tonci Martic. « Je ne vois vraiment pas dans quels secteurs nous sommes insuffisants pour concrétiser les ambitions européennes de la direction. Nous avons quatre gardiens professionnels: quel autre club belge peut en dire autant? En défense, nous sommes parés: Michal Zewlakow est international, Vidovic l’a été aussi, Casto a 250 matches de D1 à son compteur, Teklak, De Vleeschauwer et Besengez ont suffisamment démontré leur valeur, Seynhaeve aurait sa place dans 80% des équipes belges. Notre entrejeu est déforcé par rapport à la saison dernière, mais Dugardein a ses qualités, Cleiton et Crv étaient des stars en D2 il y a un an. Et en attaque, nous avons de fameuses richesses: Jestrovic, Bakadal, Lawarée, Nzuzi et Marcin Zewlakow sont tous des titulaires potentiels. A côté de tout cela, Mouscron possède des jeunes qui promettent énormément, comme Ladon et Grégoire. Pour moi, il n’y a aucun problème au niveau de l’effectif. Si tous les joueurs avaient évolué à leur niveau depuis le début du championnat, nous aurions de grandes chances de nous qualifier pour l’UEFA. Il faut que tout le monde, chez nous, réapprenne à respirer et à penser ensemble. Par contre, si nous continuons sur le même rythme jusqu’au dernier match, nous n’arriverons nulle part. Je ne veux en tout cas pas entendre parler d’une fin de saison sans enjeu. Pour moi, terminer quatrième ou huitième, ce n’est pas du tout la même chose. Je veux pouvoir inscrire sur ma carte de visite que nous n’avons fini qu’à une ou deux places de l’Europe. Terminer dans l’anonymat, ça fait toujours désordre ».

Pierre Danvoye

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