Année 69

La première victoire d’Eddy au Tour de France a été légendaire. Mais les mois qui précédèrent et suivirent furent très sombres.

Le 20 juillet 1969, Eddy Merckx pénètre sur la piste de Vincennes avec le maillot jaune sur les épaules. En route vers sa première victoire au Tour de France. D’habitude si réservé, Merckx laisse pour la première fois éclater sa joie, saluant la foule en délire. Tout le pays est bouleversé. Paul Vanden Boeynants, alors ministre d’Etat flamboyant et controversé, tente de profiter de ce triomphe pour accroître sa popularité, veillant à ce qu’un charter ramène le champion à Bruxelles immédiatement après le dîner traditionnellement offert par les organisateurs.

Vanden Boeynants est revenu spécialement des Etats-Unis pour l’occasion. Il a assisté, à Cap Kennedy, au lancement de la fusée Apollo 11, une aventure suivie par 800 millions d’Européens. Mais alors que les astronautes Neil Armstrong et Edwin Aldrin posent le pied sur la lune, la Belgique fête le triomphe de Merckx. Et plusieurs journaux sortent le 21 juillet, une édition spéciale dans laquelle la victoire d’Eddy occupe une place plus importante que les premiers pas humains sur la lune…

Il se sent l’objet d’une conspiration italienne !

Les six premiers mois de l’année 1969 sont agités. L’aventure Apollo ouvre une nouvelle ère, le festival de Woodstock apporte de la gaieté et de nouveaux courants musicaux, l’ex-président congolais Moïse Tshombé meurt, en juin Georges Pompidou succède à Charles de Gaulle à la tête de la France, le Salvador et le Honduras se livrent à une guerre de six jours après un match de barrage pour les éliminatoires de la Coupe du Monde 1970, la Princesse Paola porte une robe trop courte dans la Basilique Saint-Pierre de Rome et l’ex-champion de cyclisme Rik Van Steenbergen se retrouve en prison pour une affaire… d’opium. Aucune de ces informations n’a toutefois un retentissement aussi important que la victoire de Merckx au Tour. Un an plus tôt, le Bruxellois s’est surpris lui-même en dominant le Tour d’Italie du début à la fin. Dans l’étape de montagne menant au Tre Cime de Lavaredo, il a donné une démonstration qu’il considère comme la plus belle de sa carrière : à 30 km de l’arrivée, les Italiens FrancoBitossi et GiancarloPolidori comptent 9 minutes d’avance mais, par un temps de chien, Merckx va les rechercher et les laisse sur place dans le col.

Lors du Giro 69, il est discrédité, pris pour dopage à Savona alors qu’il porte le maillot rose et a déjà remporté six étapes. Il exige une contre-expertise à laquelle on ne peut procéder. Au fil du temps, la théorie de la conspiration gagne du terrain. Cette année-là, Felice Gimondi remporte le Tour d’Italie et Merckx raconte que l’équipe Salvarini lui avait déjà demandé plusieurs fois de se laisser acheter. Rudi Altig lui aurait même présenté une valise pleine de billets mais Merckx l’aurait renvoyé.

Ses équipiers ressentent également l’inimitié des Italiens. On leur vole du matériel. Dans une étape de montagne, un Italien poursuit Merckx avec une pierre en main. Martin Van Den Bossche, premier lieutenant du Cannibale, lui décoche une droite…

Merckx est grincheux au départ

Après le Giro, Merckx est suspendu pour un mois et sa présence au Tour est remise en question. En Belgique, l’affaire prend l’ampleur d’un drame national. Certains en appellent au boycott des produits italiens, Luc Varenne pleure sur antenne. Finalement, la sanction est levée. Pendant trois semaines, Merckx s’est entraîné. Il est même parti seul en France afin de reconnaître les étapes de montagne les plus difficiles. Une initiative qui va s’avérer payante.

En 1969, la Belgique règne sur le monde du vélo. Merckx a remporté Milan-Sanremo, le Tour des Flandres et Liège-Bastogne-Liège ; Walter Godefroot s’est imposé à Paris-Roubaix et au GP de l’Escaut ; Jos Huysmans a gagné la Flèche Wallonne ; Willy Vekemans, Gand-Wevelgem ; Guido Reybroeck, l’Amstel Gold Race ; Roger Swerts, le Championnat de Zürich et Roger De Vlaeminck s’est imposé au Circuit Het Volk pour sa première course chez les pros. Mais il y a 30 ans qu’un Belge n’a plus remporté le Tour de France.

C’est un Merckx déçu et grincheux qui se présente au départ du Tour à Roubaix. Il perd le prologue, remporté par Altig mais s’empare du maillot jaune après la troisième journée, lors d’un contre-la-montre par équipes à Woluwé, où il a grandi. La presse est déchaînée et Louis Clicteur, le pape du journalisme cycliste de l’époque, titre :  » Fais la fête, Belgique, le rêve se réalise « . Un titre qu’on n’imaginerait plus aujourd’hui.

Sa vengeance est terrible

Impossible d’étancher la soif de victoire d’un Eddy qui veut se réhabiliter et oublier l’humiliation subie au Giro. Lors de la sixième étape jugée au Ballon d’Alsace, il lâche ses rivaux un à un, Altig étant celui qui parvient à s’accrocher le plus longtemps mais qui sera pris pour dopage un peu plus tard.

Dans l’étape entre Luchon et Mourenx, truffée de difficultés, Merckx donne un récital inégalé jusqu’ici, démarrant à un kilomètre du sommet du Tourmalet, à 140 km de l’arrivée, pour lutter seul contre la montagne et écrire l’une des pages les plus épiques de l’histoire du Tour. Son directeur sportif, Guillaume Lomme Driessens, n’a pas quitté son sillage. A 30 km de l’arrivée, Merckx faiblit. Il s’approche de Driessens et lui demande s’il a du champagne. C’est le cas. Driessens, qui adore le breuvage, donne d’abord de l’eau sucrée à Merckx, puis du champagne ! Le champion retrouve aussitôt la cadence.

Merckx réalise un travail d’orfèvre. Ses épaules suivent son coup de pédale. A l’arrivée, il constate les dégâts : huit minutes d’avance sur le deuxième, l’Italien Michele Dancelli, qui a acheté la deuxième place à Van Den Bossche. Celui-ci doit passer chez Molteni l’année suivante et en a averti Merckx la veille. C’est pourquoi Merckx n’a pas accédé à son souhait de le laisser franchir le Tourmalet en tête, même si cela lui aurait sans doute déroulé le tapis rouge. L’équipe Faema, connue pour la solidarité de ses coureurs, en est ébranlée mais l’affaire en reste là.

Au classement, Merckx compte plus d’un quart d’heure d’avance sur son principal rival, le Français Roger Pingeon, vainqueur du Tour 67. Sur le podium, son visage impassible ne laisse pas entrevoir la moindre trace d’émotion. Il craint que ses adversaires forment une coalition et dit que tout peut encore arriver. C’est du Merckx tout craché : pour lui, chaque course est un examen.

Il n’en va pas autrement lorsque, le 20 juillet, il est porté en triomphe. Outre le maillot jaune, il a également remporté le classement aux points, celui de meilleur grimpeur et le combiné. Seuls douze coureurs ont réussi à terminer à moins d’une heure de lui.

Aussitôt après le Tour, Merckx parle de battre le record du monde de l’Heure. Il va le faire trois ans plus tard seulement sur la piste de Mexico, parcourant 49,431 km. Son record tiendra onze ans…

Une fin d’année très sombre

Après la victoire de Merckx au Tour, l’actualité ne cesse de tourner. Le sénateur Edward Kennedy est condamné à deux mois de prison avec sursis pour avoir abandonné sa voiture tombée à l’eau et dans laquelle se trouvait sa secrétaire Marie Jo Kopechne, qui allait mourir noyée ; à Paris débutent les négociations secrètes pour mettre un terme à la guerre du Vietnam ; l’actrice Sharon Tate est assassinée. En cyclisme, l’hégémonie belge se poursuit : Herman Vanspringel remporte Paris-Tours et Jean-Pierre Monséré le Tour de Lombardie à 21 ans. Seul le championnat du monde à Zolder se termine mal : le Hollandais Harm Ottenbros bat Julien Stevens d’un cheveu au sprint.

Et Merckx ? Il dispute d’abord une série de critériums, jouit d’une admiration sans borne et fait toujours parler de lui lorsque les astronautes reviennent sur terre. Mais en septembre, c’est le drame : il chute sur le vélodrome de Blois et Fernand Wambst, qui devait l’emmener au sprint, est tué sur le coup. Merckx met du temps à s’en remettre. Ses blessures le poursuivront tout au long de sa carrière. Il souffre du dos et racontera plus tard qu’il n’a plus jamais su grimper comme avant. Dans les cols, il ne parvient plus à pousser un aussi grand développement. C’est à partir de ce moment-là qu’il se met à régler régulièrement à sa selle, toujours à la recherche de la meilleure position.

En décembre 1969, il dispute sa dernière course de la saison. Aux Six Jours de Cologne, il fait équipe avec Altig. Les deux hommes ont enterré la hache de guerre mais sont dominés et renvoyés à trois tours par le duo Peter PostPatrick Sercu. Merckx est humilié. Il estime que ses adversaires n’auraient pas dû se déchaîner de la sorte. Sur la route, pourtant, il ne procédait jamais autrement…

par jacques sys

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