Angleterre c/ nain slovène

Le plus petit pays du tournoi est sa plus grosse surprise.

Les Slovènes quittent l’Ellis Park de Johannesburg heureux comme des étudiants en ribote. Ils viennent de passer près d’un exploit historique mais ne paraissent même pas tristes de l’avoir raté. A dix minutes près, ils étaient qualifiés pour les huitièmes de finale après seulement deux matches. Mais la hargne des Américains a parlé en deuxième mi-temps et ce Slovénie-USA, présenté comme un match peu intéressant du premier tour, a fait vibrer le stade : 2-2.

Les deux Gantois ont joué : Marko Suler et Zlatan Ljubikankic, qui a marqué et a le moral en sortant du stade :  » It was a good game. Nous pouvons être déçus car quand on se fait remonter après avoir mené 2-0 à la mi-temps, on perd deux points. Enfin bon, il n’y a rien de mal fait. Avec quatre points en deux matches, nous sommes très bien placés. Si nous jouons contre l’Angleterre comme nous l’avons fait contre l’Algérie et les Etats-Unis, nous prendrons au moins un point et nous devrions nous qualifier.  »

Et Ljubijankic répond fermement quand on lui dit que la Slovénie est une des plus belles surprises du début de tournoi :  » Une surprise pour les gens qui ne nous connaissaient pas, peut-être. Pas pour nous. Dans les qualifications, nous avions déjà montré ce que nous avions dans le ventre. Nos résultats ici ne sont qu’une suite logique. Nous allons nous qualifier pour le deuxième tour : moi, j’en suis sûr.  » Le même soir, l’Angleterre ne fait pas mieux qu’un pauvre match nul contre l’Algérie. Les actions slovènes grimpent encore.

Le lendemain, la Slovénie s’entraîne à son camp de base de Johannesburg. A Hyde Park, dans un poumon vert de la ville, où les villas démesurées côtoient des hôtels du plus grand luxe. En découvrant l’endroit, on comprend mieux une autre déclaration lâchée la veille par l’attaquant de La Gantoise.  » Nous nous sentons comme des rois, ici. Dès que nous demandons quelque chose, on nous l’offre. « 

A l’entrée du complexe, le bus des joueurs avec son slogan de guerre ( Avec 11 c£urs braves jusqu’au bout) et une banderole placée sur la façade : SLOVENIJA, never judge greatness by size ! (Ne jugez jamais la grandeur d’un pays en vous basant sur sa taille géographique). De l’autre côté de l’allée, la Slovenian House, une salle de réception réservée à des invités triés sur le volet. Ils sont nombreux ce matin : des parents, épouses et enfants de joueurs sont conviés au décrassage. Un exercice qui se fait dans une excellente ambiance. Le coach, Matjaz Kek, rassemble ses hommes en cercle, leur fait un petit discours puis tout le monde éclate de rire et se met à applaudir. Ensuite, un joueur met une toque de cuisinier sur la tête et commence à faire le singe. La qualification, clairement, les Slovènes y croient. Et les Anglais, adversaires de ce mercredi, se méfient du petit poucet. Des photographes venus des Iles mitraillent l’entraînement sous tous les angles. Le pays du foot craint un nain !

Les Slovènes ont débarqué en Afrique du Sud avec des réflexes de pros. Un exemple : le programme officiel distribué par la Fédération contient une rubrique Pronunciation guide. Un pense-bête pour tous ceux qui se casseraient les dents sur les noms de ces joueurs. On apprend ainsi que Marko Suler se prononce Mahr-koh Shoe-lehr. Et Matjaz Kek, c’est Mah-tee-yash Keh-k !

A peine 20 ans d’indépendance, déjà 46 joueurs au Mondial

Forcément, le 4 sur 6 slovène interpelle des gens du monde entier alors qu’en début de tournoi, seuls les médias du pays s’intéressaient à la bande à Kek.  » Maintenant, il va falloir protéger les joueurs « , explique l’attaché de presse quelques heures après le nul contre les USA.  » Le coach a décidé de les maintenir dans une espèce de petite bulle jusqu’au match décisif. Il a un peu peur qu’ils se dispersent ou se prennent la tête. Aujourd’hui, ils voient la famille, et dès demain, ils se braquent à fond sur le rendez-vous avec l’Angleterre. « 

Et l’homme, très bien briefé, commence à vendre sa soupe…  » Ce qui nous arrive est le résultat de la politique lancée par la Fédération peu après l’indépendance. Le président avait dit : -Notre réservoir de joueurs est très limité, alors on va commencer par choisir les meilleurs entraîneurs, aménager des infrastructures impeccables et travailler comme les pros des plus grandes nations du foot. La Slovénie est aussi un des pays qui envoient le plus de sélections de jeunes à l’étranger pour des tournois et de simples matches : entre 50 et 60 rencontres par saison. Et nous organisons régulièrement des tournois qualificatifs, toujours dans le but d’être confrontés au top européen. La situation politique de la région et les guerres dans les Balkans nous ont aussi aidés car beaucoup de bons joueurs ont fui la Bosnie, la Croatie et la Serbie pour se réfugier chez nous. Ils n’avaient pas encore le niveau pour aller dans les meilleurs championnats et ils ont considéré la Slovénie comme un tremplin. Ils ont amélioré le niveau de la compétition et nos internationaux en ont profité.  »

D’autres décisions ont contribué à la progression du football slovène. Comme l’instauration de la licence européenne qui a remis de l’ordre et ramené une discipline financière, et les démarches menées par la Fédération pour que son diplôme d’entraîneur soit reconnu partout en Europe. Cela a permis aux coaches du pays de côtoyer ce qui se fait de mieux, notamment via des stages de formation. Même le foot féminin et le futsal, qui vont de plus en plus loin dans les Coupes d’Europe, participent à l’éclosion.

Quand on interroge Matjaz Kek sur l’improbable parcours slovène, il salive et explique calmement :  » Deux Coupes du Monde en huit ans, ça ne peut pas être dû au hasard. Et vous avez remarqué que dans le noyau actuel, il n’y a pas un seul joueur qui était au Mondial 2002 ? Pas parce que je ne voulais pas en reprendre mais simplement parce qu’il y a une toute nouvelle génération qui s’est affirmée entre-temps. Et surtout, n’écrivez pas que nous profitons des bienfaits de l’ex-Yougoslavie. Mes 23 joueurs ont été formés en Slovénie, à l’école slovène, par des coaches slovènes. Entre 1930 et 1990, il n’y a eu que trois joueurs de notre pays à la Coupe du Monde, avec la Yougoslavie. Moins de 20 ans après notre indépendance, on arrive déjà à 46 sélectionnés. « l

par pierre danvoye (en afrique du sud) – photo: reuters

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