7 points sur 21 et seulement 5 buts marqués sur la route de l’EURO. Qu’est-ce qui cloche ?

Une calculette pour René, vite ! Samedi, fin de soirée, stade Roi Baudouin. Le public vient d’applaudir des Diables courageux mais encore battus. Le Portugal est venu nous faire la leçon. Comme la République Tchèque l’avait fait en février. Comme la Pologne l’avait fait en novembre. Mais dans l’euphorie de cette défaite encourageante, René Vandereycken veut encore y croire :  » Je n’ai pas encore eu le temps d’analyser le nouveau classement du groupe mais la qualification reste peut-être possible si nous gagnons maintenant tous nos matches « . Ben oui, le foot est parfois si simple…

Dans n’importe quel groupe éliminatoire, les autres coaches nationaux dont l’équipe est aussi mal embarquée que la Belgique ne se font plus aucune illusion. Et toutes les équipes qui marquent aussi peu ne pensent plus à l’EURO 2008 depuis plusieurs semaines ou plusieurs mois. Les Belges n’ont scoré que cinq fois en sept matches, dont trois contre l’Azerbaïdjan. Rien contre le Kazakhstan, en Serbie, face à la Pologne et au Portugal. Entre-temps, ils ont reçu les Tchèques en match amical : ce soir-là aussi, le bulletin offensif fut vierge.

Toutes ces rencontres n’avaient pas le même visage : dans certains cas, les Diables ne se sont pratiquement jamais retrouvés devant le but adverse ; dans d’autres, ils ont eu des occasions mais ne les ont pas transformées. Samedi dernier, le gardien portugais a été plusieurs fois menacé. C’est peut-être dans ce match contre la meilleure équipe de la poule que les Belges ont été le plus souvent en position de conclure. Paradoxal. Mais inutile car nous n’avons pas d’attaquants capables de tuer un match. Le but belge a été marqué par un médian, Marouane Fellaini : révélateur du malaise. Nos deux attaquants attitrés, Emile Mpenza et François Sterchele, se sont emmêlés les pinceaux. Quant au troisième joueur offensif de l’équipe de samedi, Steven Defour, il ne s’est jamais retrouvé en position pour scorer.

Pour rappel…

15e minute : Mpenza hérite d’un ballon chaud dans le petit rectangle, il place au-dessus. 20e : Sterchele s’infiltre puis place dans le petit filet. 23e : bicyclette de Mpenza sur Ricardo qui capte sans problème. 25e : Mpenza s’avance dans le rectangle, son tir est dévié en corner par un défenseur. 44e : suite à une rentrée en touche, Mpenza reprend timidement de la tête, Ricardo est toujours aussi tranquille. 48e : occasion 18 carats pour Sterchele qui déboule vers le but, le gardien dévie en corner. Toutes les équipes du groupe n’auront pas autant d’occasions franches face à l’épouvantail portugais ! Les Belges ont été enfoncés pendant le premier quart d’heure, puis ils ont trouvé leur rythme et été bons jusqu’à l’heure de jeu. Après le but de Helder Postiga, c’était terminé, les batteries étaient plates.

Qu’est-ce qui cloche ? Trois anciens buteurs du foot belge tentent de trouver des explications au malaise offensif actuel.

Paul Van Himst (30 buts) :  » Aucun vrai buteur  »

Paul Van Himst :  » Je vois trois grandes raisons pour lesquelles nous ne marquons plus. D’abord, la Belgique n’a plus une grande équipe. Je ne dis pas que nous manquons de bons joueurs mais il y a toujours quelque chose qui nous empêche d’aligner le 11 idéal : des blessés, des suspendus, des gars qui n’ont pas envie de porter le maillot des Diables, etc. Ensuite, nous avons un entraîneur qui a comme priorité d’organiser son équipe le plus parfaitement possible. René Vandereycken connaît le football, mais quand il ne met qu’un seul attaquant sur le terrain, il ne faut pas s’attendre à une avalanche de buts. Enfin, nous n’avons plus de vrais buteurs. C’est peut-être la principale explication du malaise, d’ailleurs. Un vrai buteur marque trois ou quatre fois sur cinq occasions. Celui qui a besoin de 10 possibilités pour mettre deux ballons au fond n’est pas un finisseur. J’en vois un qui marque facilement : Kevin Vandenbergh. Mais il ne joue pas beaucoup à Genk et il manque sans doute de robustesse sur le plan international. Je ne suis pas encore capable de juger Sterchele. Il a du nez, il se place bien, mais je ne sais pas ce qu’il vaut dans des matches internationaux. Les défenses en éliminatoires d’un EURO ou d’une Coupe du Monde, c’est autre chose que la plupart des défenses du championnat de Belgique, hein ! Entre la ligne arrière de Beveren et celle du Portugal, il y a un sacré fossé. Emile et Mbo Mpenza sont des costauds, ils font mal aux défenseurs, mais ce ne sont pas de vrais opportunistes. Quel pourcentage de leurs occasions concrétisent-ils ? Vandereycken a relancé Emile chez les Diables quand il jouait au Qatar. Cela m’a fort surpris à l’époque. Eddy Merckx connaît bien le Qatar, il a vu plusieurs matches là-bas et il m’a dit que ça ne valait pas mieux qu’une D2 ou une D3 chez nous. On l’a bien constaté dans les matches qu’Emile a joués à ce moment-là avec la Belgique : après un quart d’heure et deux sprints, il était mort. Il faut maintenant espérer que son retour au premier plan avec Manchester City va lui donner de nouvelles sensations, qu’il deviendra plus tranchant devant le but. Luigi Pieroni a des qualités, il est costaud et va devant le but, mais on le voit peu chez les Diables, sans doute parce qu’il alterne les bonnes périodes et les mauvais moments en équipe de club. Moussa Dembele a aussi du talent mais ce n’est pas un attaquant de pointe, c’est un demi-attaquant et un demi-médian. Il a le même profil que Thomas Buffel. Ils savent tous les deux jouer au ballon, mais si vous en mettez un des deux seul devant, il ne touchera pas une balle. Je ne sais pas si Mémé Tchite peut sauver la situation dans les prochains mois, mais il sera peut-être le bienvenu chez les Diables dès qu’il sera en règle de naturalisation « .

Marc Wilmots (28 buts) :  » Discréditer les attaquants, c’est un raisonnement simplet  »

Marc Wilmots :  » Qu’est-ce qui cloche ? Mais c’est trois jours qu’il me faudrait pour tout expliquer… Je vais me contenter de faire une comparaison entre les Diables actuels et ceux que j’ai connus sous l’ère de Robert Waseige. C’est à cette période-là que la Belgique a eu la meilleure moyenne de buts marqués par match et ce n’est pas un hasard, évidemment. C’était un style de jeu qui mettait les attaquants mais aussi les médians en évidence. Chacun pouvait aller marquer, il y avait une vraie volonté offensive dans toute l’équipe. Aujourd’hui, je vois que c’est la foire derrière et la cata devant. C’est difficile d’aller marquer quand on joue à 60 ou 70 mètres du but adverse. Il suffit de compter, depuis le début de campagne éliminatoire, le nombre de fois où nous nous sommes retrouvés dans les 16 mètres. De mon temps, nous y pointions continuellement le bout du nez. C’est là qu’on finit les actions. Pour nous, le prestige de l’adversaire ne voulait rien dire : Saint-Marin, le Costa Rica, l’Italie ou le Brésil, c’était du pareil au même, nous montions sur le terrain avec une vraie ambition de scorer, de les tuer. Le meilleur homme de notre match contre le Brésil au Mondial 2002 a été leur gardien, ça veut tout dire. J’avais aussi connu une période en équipe nationale où je me retrouvais seul attaquant, au milieu de la défense allemande. Mon plus proche coéquipier était à 40 mètres de moi et je ne pouvais évidemment rien faire de valable. Marquer, c’est une question de volonté, il faut avoir envie de presser haut et de jouer au foot. Je l’ai toujours fait au Standard et à Schalke, j’avais en moyenne six ou sept occasions par match. Mais sur le banc, il y avait des gars comme Arie Haan, Robert Waseige ou Huub Stevens. Ils me permettaient aussi de tenter ma chance depuis la ligne médiane. Aujourd’hui, les Belges ne marquent plus parce qu’ils n’ont plus d’occasions, c’est mathématique, c’est simplement une loi du foot.

Nous avons encore des buteurs. Le fait que Wesley Sonck ne soit plus dans le coup est une très mauvaise chose, car lui, il avait le niveau pour marquer à chaque match. Mais il y a encore du beau linge quand même. Le problème est toujours le même : un buteur sans ballon ne peut pas rester un buteur. Quand votre flanc droit est constitué de deux backs de formation, pour donner un simple exemple, ça ne peut que mal se terminer. La Belgique joue petit et on voit le résultat. Et dans les matches où nous avons des occasions, les attaquants les ratent parce qu’ils ne sont plus du tout en confiance. C’est normal : quand vous prenez autant de claques, vous finissez par douter de vous. Les Diables ne retrouveront la confiance qu’avec du beau jeu, des occasions et des goals. Je n’ai pas vu une seule vraie opportunité de but contre la Pologne à Bruxelles : dans ces conditions-là, c’est injuste de frapper sur la tête des attaquants. Les discréditer aujourd’hui, c’est un raisonnement simplet.

Je n’en dirai pas plus sur les conceptions de Vandereycken parce que ce n’est pas mon rôle. J’ai une philosophie de jeu, il a la sienne. Il a ses idées. Dire maintenant qu’elles sont bonnes, c’est autre chose. En tout cas, il faudra d’autres envies pour revenir un jour plus haut que la 62e place mondiale « .

Marc Degryse (23 buts) :  » Un problème de culture  »

Marc Degryse :  » Je ne suis pas d’accord quand on dit que le recul de la Belgique au classement FIFA est inexcusable. Pour moi, nous sommes peut-être à la place que nous méritons d’occuper. La Belgique est un tout petit pays et nous sommes à la hauteur d’autres petites nations, donc tout me paraît logique. Pendant plus de 20 ans, on ne s’est pas rendu compte du côté miraculeux des résultats belges. Un pays comme le nôtre peut considérer comme un exploit d’aller une ou deux fois à la Coupe du Monde. Nous y sommes allés six fois d’affilée, c’était fou et ça ne correspondait sans doute pas à la vraie valeur de notre football.

Pour moi, le plus gros problème des Diables n’est pas un problème d’attaquants. C’est toute l’équipe qui est dans le creux. Déjà de mon temps, nous marquions peu car la Belgique misait sur son organisation, sa discipline. Nous n’avons pas eu de buteurs d’exception en équipe nationale. C’est normal, c’est le football belge qui veut ça. Il n’y a pas, chez nous, une vraie tradition offensive, une envie de pratiquer un jeu dominant. Regardez ce qui se passe aux Pays-Bas : là-bas, on veut jouer un foot dominant, alors on se crée automatiquement beaucoup d’occasions et ça forme de vrais buteurs. Ce n’est pas un hasard s’il y a eu autant d’attaquants hollandais de légende. Ces joueurs-là sont conditionnés pour essayer de marquer. On est loin du compte chez nous. Quand l’équipe belge est dans le creux, le nombre moyen d’occasions par match diminue inévitablement. Et tout devient alors très dur car un attaquant qui transforme une occasion sur deux en championnat de Belgique peut s’estimer heureux s’il en met une sur trois au fond dans les matches internationaux. L’avenir passe par nos meilleurs jeunes, comme Moussa Dembele ou Steven Defour. Mais on commet une grosse erreur si on attend directement des miracles de ces joueurs-là. Et on leur rend un très mauvais service. Ils ont du talent mais besoin de temps. On a attendu monts et merveilles de Vincent Kompany, on voit aujourd’hui où il en est. Les jeunes du Standard ont été mis sur un piédestal pendant toute la saison mais ils ont montré en finale de la Coupe qu’ils n’étaient pas encore mûrs pour les grandes batailles. Il faut donc les protéger, on ne peut pas les brûler. Le football est fait de cycles, la Belgique se redressera sûrement, mais on ne doit rien précipiter. On ne sortira pas de la mauvaise passe du jour au lendemain « .

par pierre danvoye – photo: reporters/gouverneur

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire