» Anderlecht manque de maîtrise tactique, d’organisation et de métier « 

Jova a donné le coup d’envoi d’Anderlecht-Genk après avoir suivi deux autres matches de D1 : que pense-t-il de notre championnat, relancé par le succès du Club Bruges contre le Standard ?

Jova est revenu chez nous comme le mimosa sur les étals des fleuristes, où il annonce déjà la venue du printemps. A l’aéroport de Bruxelles National, des supporters d’Anderlecht et du Standard l’ont reconnu et échangé quelques compliments avec lui. Milan n’a pas pris un gramme et la machine à rumeurs y est allée de ses échos avant qu’il donne le coup d’envoi d’Anderlecht-Genk. Son nom a circulé comme scout d’Anderlecht dans les Balkans et Genk lui a fait un appel du pied pour les PO mais l’ex-attaquant (32 ans) a tourné la page.

 » Je ne me suis jamais senti aussi bien. Je goûte à la vie sans stress, totalement présent aux côtés de ma femme et de nos fils. Je dois tout à la Belgique où je n’ai pris que de bonnes décisions : signer au Standard, en faire de même à Anderlecht, mettre un terme à la carrière à un  » top moment « , sur un titre alors que j’aurais pu gagner pas mal d’argent en Chine, dans le golfe Persique, en Espagne, entre autres : j’ai choisi ma famille, je suis heureux…  »

Le football ne vous manque pas ?

MilanJovanovic : Il reste totalement présent dans ma vie, mais différemment. Je m’entraîne, je m’entretiens, car mon corps en a besoin après tant d’années d’efforts soutenus. Je suis mon fils de sept ans. Il sait tout faire avec un ballon. Un vrai phénomène. Je ne sais pas où il sera dans 10 ans : probablement dans un grand club. Tomislav Ivic m’a dit un jour : – Si j’étais parti après deux ans, j’aurais eu une statue à Anderlecht. Je suis resté trop longtemps et on m’a viré. J’ai souvent pensé à ses propos et le stress devenait trop pesant pour moi. Je suis content d’avoir pris cette décision. Je me suis rendu à Anderlecht dès vendredi passé. J’ai rencontré le président, Herman Van Holsbeeck, John Vanden Brom, Besnik Hasi et les joueurs le lendemain.

Vous ne vous êtes pas entraîné avec eux ?

Non, surtout pas. Vu ma bonne condition physique, Anderlecht m’aurait proposé un nouveau contrat, mon ami. Note-le, même si c’est une blague.

Vraiment ?

L’invitation d’Anderlecht et l’accueil du public m’ont fait plaisir, j’étais ému. Personnellement, je suis dans une phase de transition. Je gère mes affaires, j’étudie le management et il ne me déplairait pas de devenir un jour directeur général d’un club. Il faut être attentif mais ne pas se hâter, bien réfléchir avant de prendre la bonne décision au moment le plus indiqué.

 » Anderlecht trouvera le fil conducteur  »

Avant d’assister à Anderlecht-Genk, vous avez suivi Lierse-OHL et Malines-Lokeren : intéressante, cette plongée dans les méandres de la D1 ?

J’y ai noté de bonnes choses et des manquements. It’s struggle for life my friend, la bataille pour chaque ballon avec son cortège de phases arrêtées, de duels aériens, de mauvais contrôles. Cela manquait d’idées, de jeu, de technique. Malines-Lokeren a atteint un meilleur niveau d’ensemble que Lierse-OHL. A la décharge d’Ivan Leko, le nouveau coach des Louvanistes, l’exclusion de deux joueurs d’OHL a changé la donne. Au complet, cette équipe aurait battu un Lierse décevant, qui ne s’est pas forgé d’occasions de but. A neuf, l’équipe de Leko a joué à l’italienne : disciplinée, organisée, solide, ne lâchant rien dans la difficulté. Cette mentalité lui sera utile pour la suite de la saison.

Etiez-vous au courant des problèmes d’Anderlecht ?

Oui, bien sûr. J’ai vu à la télévision les déplacements à Malines et à Lokeren, ainsi qu’Anderlecht-Club Bruges. C’est ce dernier match qui m’avait le plus intéressé, avec de la vitesse, des chances de but et, dans l’ensemble, un niveau de match qui méritait le respect. Bon, maintenant, Anderlecht n’a pas multiplié les rencontres de ce niveau et cela manque, me semble-t-il, de maîtrise tactique, d’organisation et surtout de métier. Mais je reste persuadé qu’Anderlecht trouvera le fil conducteur. Le Standard et le Club Bruges auraient tort de ne pas s’en méfier lors des PO1 : Anderlecht peut encore être champion malgré un changement de cap trop radical.

Vous songez à cette politique de rajeunissement massif ?

C’est le choix de tout un club, pas celui du coach. Van den Brom était un bon coach la saison passée, il n’est pas soudain devenu mauvais, c’est impossible. Nous avions eu un creux en hiver, la saison passée, car nous jouions beaucoup. Cette saison, Anderlecht a perdu Lucas Biglia, Dieumerci Mbokani et moi-même, dit-on généralement en soulignant les soucis actuels. Mais, à ces leaders, j’ajoute tout de suite d’autres noms comme Sacha Iakovenko, Kanu ou Behrang Safari, par exemple. Quand ils jouaient, Sacha et Kanu marquaient régulièrement leur petit but et cela a rapporté pas mal de points. Safari joue au FC Bâle, qui réalise souvent de bonnes campagnes européennes, plus glorieuses que celles des clubs belges…

En effet…

J’en reparlerai dans un instant car c’est vital. Mais, d’abord, je n’oublie pas Marcin Wasilewski qui rendait service à l’arrière droit ou au centre de la défense. C’est important car le coach avait des tas de solutions. Bruges et le Standard disposent de joueurs plus expérimentés. Au Standard, par exemple, il y a du métier dans chaque ligne avec Jelle Van Damme, Laurent Ciman, William Vainqueur et Igor De Camargo. Timmy Simons fait du bien à Bruges. A Anderlecht, c’est quand même très différent à ce point de vue-là.

 » Le plus facile, c’est d’accuser le coach  »

John Van den Brom semble perdu, non ?

Mettre une équipe aussi jeune parfaitement en place, cela prend du temps. Et le plus facile, c’est d’accuser le coach de tous les péchés de la terre. C’est le plus facile mais Anderlecht défend toujours ses choix, ses joueurs et ses coaches et est un trop grand club pour céder à cette tentation. Anderlecht s’est fixé un cap. Si le club reste uni, il ne lui arrivera rien. Ariel Jacobs a patienté avant ses deux titres. Anderlecht l’a toujours soutenu. Je suppose que Van den Brom aurait préféré garder quelques anciens sous la main. La saison passée, Anderlecht a disputé une bonne Ligue des Champions. Nous n’avons raté qu’un match de la phase des groupes, chez nous contre Malaga.

Que voulez-vous dire ?

Lors des cinq autres rencontres, notre équipe a été solide, volontaire, impeccable tactiquement, techniquement et physiquement. Avec un peu de chance, on terminait deuxième d’un groupe où il y avait donc Malaga mais aussi l’AC Milan et le Zenit Saint-Pétersbourg. Nous méritions plus que cinq points : c’est dire si le travail de John Van den Brom est différent et mille fois plus difficile que la saison passée. Les effectifs ne sont pas comparables. Si Anderlecht passe à côté du titre, ce sera décevant mais pas une catastrophe au regard des profonds changements de l’effectif. Malgré cela, avec Ronald Vargas dès le début de la saison et sans la blessure de Matias Suarez, Anderlecht serait plus loin. Et qu’est-ce qu’une attaque Dieumerci Mbokani-Aleksandar Mitrovic n’aurait pas donné ?

Bonne question…

Elle résume tout. Mitrovic est un top transfert mais il a 19 ans. Quand je suis arrivé en Belgique, au Standard, en 2006, j’avais 25 ans. J’avais déjà acquis du métier à Vojvodina Novi Sad, au Shakhtar Donetsk et au Lokomotiv Moscou. Six ans de plus, c’est énorme. A 25 ans, Mitrovic sera à Manchester City ou dans un grand club allemand. C’est un vrai finisseur, une terreur des rectangles. Si Mitrovic, Milivojevic, Mbemba et Najar, par exemple, évoluaient dans une équipe comme celle de la saison passée, ils seraient déjà de grands joueurs. Pour un jeune, il est plus facile de faire son trou dans une équipe parfaitement rodée, qui gagne et vit dans une bonne ambiance. Mitrovic s’est souvent battu seul en pointe et il est présent à la finition, force des occasions. Il se serait bien amusé avec Dieu à côté de lui, Biglia moi et d’autres à son service…

Vous le voyez déjà dans un grand club….

Un joueur n’est jamais certain à 100 % de réussir sa carrière. Quand Romelu Lukaku est arrivé en Angleterre, j’ai déclaré qu’il deviendrait un des meilleurs attaquants de Premier League. Il avait tout : la taille, la vitesse, la puissance, la technique, etc. Tout cela se confirme mais il a juste eu besoin d’un peu de temps pour trouver ses repères en Angleterre. Mitrovic est différent mais il est taillé pour le top. Il n’a pas encore montré tout son potentiel dans une équipe qui s’est cherchée. Milivojevic a droit lui aussi à un peu de patience comme Biglia autrefois. Je le connais, il réussira. Youri Tielemans, lui, a… 16 ans. Dennis Praet aura bientôt 20 ans, tout comme Massimo Bruno. Ils ne peuvent pas encore porter tout le poids d’une grande équipe. Ils en sont à peine à leur deuxième saison en D1…

 » Le Standard en Coupe d’Europe, ce n’était pas sérieux  »

Le père de Bruno a déclaré que ce serait la dernière saison de Massimo en Belgique….

J’adore ce joueur qui sait tout faire. Sur l’aile ou dans l’axe, sa vitesse lui permet d’émerger. Il a été le meilleur Anderlechtois en début de saison. Son potentiel saute aux yeux mais il ferait mieux de rester encore une saison ou deux de plus en Belgique. Le même raisonnement vaut pour Michy Batshuayi. L’attaquant du Standard est pétri de classe, le doute n’est pas permis. Lui aussi ne doit rien précipiter. La D1 a besoin de ses vedettes. Il y a deux énormes problèmes en Belgique.

Lesquels ?

Le premier concerne l’approche peu ambitieuse, honteuse même, des missions européennes par les clubs belges : attention, ce manque d’ambition est dangereux.

Mais encore ?

Que pense-t-on, croyez-vous, à l’étranger d’un championnat de Belgique dont le leader récolte un point seulement en Europa Ligue contre des clubs d’Autriche, du Danemark et de Suède ? Ce n’est pas sérieux au regard du prestige et du passé européen de ce club. Je ne peux pas croire que le championnat soit plus important que les Coupes d’Europe pour les clubs belges, comme certains me l’ont dit. Un tel repli sur soi serait catastrophique. Chaque club doit se battre pour le coefficient européen de son pays. A ce rythme-là et avec cette mentalité, la Belgique n’aura plus très longtemps un qualifié d’office pour les poules de la Ligue des Champions. L’Olympiacos a infligé un solide 2-0 à Manchester United en match aller des huitièmes de finale de la Ligue des Champions. Or, l’Olympiacos n’est pas plus fort que le Standard des deux titres de Lucien D’Onofrio ou qu’Anderlecht version 2012-13.

Où se situe le problème ?

C’est simple : les clubs belges courent à leur perte s’ils vendent sans cesse leurs meilleurs joueurs. Ils croient ainsi gagner de l’argent mais en perdent. Si le Standard avait préservé l’équipe des Witsel, Defour, Mbokani, De Camargo, Jova, les grandes campagnes européennes se seraient succédé tout en remplissant les caisses. Cela vaut aussi pour Anderlecht : avec cinq ans de vie commune, l’équipe de la saison passée aurait réalisé de meilleurs résultats, c’est certain. Cette saison, Anderlecht a payé cash son manque de maturité.

Mais il fallait rajeunir, non ?

Pas de problème quand cela se fait progressivement. Jova s’en va, un autre est trop vieux : il faut les remplacer par des meilleurs. Si les clubs belges étaient aussi ambitieux qu’avant en Coupes d’Europe, de grands joueurs préféreraient venir ici, au coeur de l’Europe, que dans des pays reculés. J’ai pas mal voyagé. Le Standard et Anderlecht disposent d’un centre d’entraînement que 90 % des clubs européens n’ont pas.

A ce point-là ?

Anderlecht est un club bien organisé à tous points de vue. Top pour les conditions de travail, top pour l’accueil, top pour les salaires. C’est mieux que Tottenham, Aston Villa et 80 % des clubs anglais. Pour avancer, il convient de garder son équipe, la rajeunir progressivement, mettre le paquet pour la renforcer. Liverpool aurait pu vendre 100 fois Steven Gerrard : les Reds préfèrent la continuité. Barcelone, Manchester City ont aussi misé sur des clubmen. Les clubs belges, eux, reconstruisent leur équipe tous les deux ou trois ans. Pour progresser, il faut garder la qualité, pas la vendre.

Elle est très recherchée sur le marché des transfert, n’est-ce pas ?

Bien sûr, mais je ne suis pas un financier. Je suis un sportif. Bâtir une toute nouvelle équipe, c’est un processus de trois ou quatre ans. Un entraîneur ne peut pas y arriver en six mois. Les clubs belges doivent viser le long terme avec leurs vedettes. ?

PAR PIERRE BILIC-PHOTOS : IMAGEGLOBE/ KETELS

 » A 25 ans, Mitrovic sera à Manchester City.  »

 » Bruno et Batshuayi devraient rester une ou deux saisons de plus en Belgique.  »

 » Quand Anderlecht n’est pas champion, c’est la crise. S’il l’est en jouant mal, c’est encore la crise. Bref, c’est toujours la crise là-bas. « 

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