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 » Anderlecht doit à nouveau respirer le foot « 

Depuis sa nomination au poste de directeur sportif des Mauves, l’hiver passé, Frank Arnesen (62 ans) ne s’était encore guère épanché dans la presse. Pour nous, il a rompu le silence.

Jusqu’ici, malgré plusieurs appels du pied, Frank Arnesen avait toujours opposé une fin de non-recevoir à nos sollicitations. Il avait toutefois juré de s’exprimer dans nos colonnes sitôt la saison 2018-19 terminée. C’est à présent le cas et, chose promise chose due, le directeur sportif danois d’Anderlecht nous a reçus dernièrement dans son bureau à Neerpede.

En l’espace de six mois, les questions se sont évidemment accumulées dans notre petit calepin. Mais la première que nous lui soumettons a trait, bien sûr, à l’actualité la plus récente : le retour de Vincent Kompany au bercail.

Frank Arnesen : Nous avions convenu, Marc Coucke, Michael Verschueren et moi d’aller à la rencontre de nos homologues chez l’un ou l’autre ténor européen, afin d’étudier les modalités d’une collaboration. La plupart de ces clubs disposent effectivement de noyaux pléthoriques et une location de joueurs est, dès lors, peut-être possible.

Le 12 mars dernier, nous nous étions déplacés à Manchester pour les besoins de la rencontre de Ligue des Champions entre City et Schalke. Ce fut l’occasion de prendre langue avec quelques membres de la direction, dont mon alter ego Txiki Begiristain. À un moment donné, Vincent Kompany s’est glissé parmi nous.

En onze années passées chez les Blues, il avait vu pas mal de choses changer sur le plan footballistique, a fortiori sous Pep Guardiola et, pendant une heure et demie, il nous a tenus en haleine avec sa vision des choses.

En l’écoutant faire son exposé, je me croyais revenu à l’époque où, jeune joueur à l’Ajax Amsterdam, j’avais eu droit à une véritable leçon de foot de la part de Johan Cruijff qui, profitant d’une trêve chez les Washington Diplomats, était venu ventiler ses conceptions de manière on ne peut plus claire dans son ancien club.

À l’image de Vince qui, de manière simple, était parvenu à subjuguer tout son auditoire.

 » À mon arrivée, le club était fort peu focalisé sur ce qui doit être son core business  »

Du coup, vous étiez définitivement conquis ?

Arnesen : Chez nous, tout le monde était sous le charme. Et en particulier Marc Coucke qui, par après, a eu l’idée de faire coup double en lui proposant à la fois le poste de joueur et d’entraîneur. A priori, j’étais un peu sceptique mais, après d’autres échanges, je suis aujourd’hui persuadé que nous n’allons pas faire un mais carrément trois pas en avant.

Primo, Vince reste un formidable défenseur, comme il l’a prouvé en cette fin de saison. Deuxio, sa philosophie colle avec celle d’Anderlecht, à savoir un football tourné vers l’offensive et dominant.

Tertio, c’est un leader, un meneur d’hommes qui débarque chez nous. Le gars idéal, en quelque sorte, pour entourer notre jeune classe et s’éveiller à de plus nobles ambitions. Car le club est quand même tombé fort bas cette saison.

Vous attendiez-vous à ce topo au moment de votre entrée en fonction ?

Arnesen : Avant de m’engager, j’avais assisté à quelques matches et j’avais déjà pu me faire une petite idée de l’effectif. Mais le ressenti est différent dès l’instant où l’on vit tout de l’intérieur. Ce qui m’a particulièrement frappé, c’est que le club respirait très peu le football. Sur le terrain, la situation laissait déjà singulièrement à désirer. Mais dans les coulisses aussi, on était fort peu focalisé sur ce qui doit être le core-business de la maison.

Je n’en veux pour preuve que le département scouting. À mon époque de joueur, il y avait toute une colonie danoise au RSCA avec Morten Olsen, Per Frimann, Kenneth Brylle, Henrik Mortensen et moi-même. Je constate que cette piste a été totalement délaissée. Je ne comprends pas non plus, toujours en évoquant le marché scandinave, pourquoi Pär Zetterberg n’a plus fait d’émules, exception faite de Guillermo Mollins ou d’Isaac Kiese Thelin, qui n’ont été que des passants.

 » Anderlecht a manqué de vrais leaders sur le terrain cette saison  »

Depuis lors, la situation a manifestement bougé.

Arnesen : Ma première mesure, après le mercato, aura été de raffermir les liens avec ceux qui écument les compétitions étrangères à notre demande : Goran Lovré dans les Balkans, Pawel Gunia au Brésil. J’ai également repris contact avec Gérad Witters pour qu’il sonde à nouveau pour nous le marché en Argentine.

Anderlecht a commencé à décliner, selon moi, suite aux départs de plusieurs éléments originaires de ce pays : Nicolas Pareja, Lucas Biglia, Nicolas Frutos, Matias Suarez… Il est effectivement bizarre de ne plus avoir exploité cette veine. Mais n’est-il pas étrange aussi que le plus grand talent suédois actuel, Benjamin Nygren, soit à Genk ? Pär Zetterberg n’aurait-il pas dû le renseigner ?

Arnesen : Nygren n’est pas un inconnu pour nous. Mais à partir du moment où l’on possède des profils similaires dans notre école des jeunes et que le prix du transfert est conséquent ( 5milions d’euros, ndlr), il ne sert à rien de faire le forcing. Je pense que sur le plan du blé en herbe, Anderlecht est plutôt bien paré. Ce qui a manqué, cette saison, ce sont des chevronnés capables de les entourer à bon escient. De vrais leaders en quelque sorte. Comme l’Ajax l’a fait ces derniers mois en encadrant ses jeunes de valeurs sûres comme Dusan Tadic et Daley Blind.

En écoutant Vincent Kompany faire son exposé, j’avais l’impression d’avoir Johan Cruijff devant moi.  » Frank Arnesen

Ma dernière interview avec vous remonte à neuf ans, lorsque vous étiez encore directeur sportif à Chelsea. À l’époque, le Sporting venait d’étriller l’Athletic Bilbao en Europa League : 4-0, avec deux buts du jeune Romelu Lukaku. Vous m’aviez dit alors : Anderlecht est de retour. Oserez-vous la même prédiction aujourd’hui ?

Arnesen : Tous les clubs composent avec des périodes de haute et de basse conjoncture. L’Ajax n’y a pas échappé, Anderlecht non plus. Ce n’est pas à moi à faire le procès de ce qui n’a pas fonctionné ces dernières années. Le passé est le passé, on ne le changera plus. La question qu’il faut se poser, c’est pourquoi Genk, le Club Bruges et le Standard nous ont dépassés sans qu’il n’y ait rien à redire à ce propos.

 » Contre nous, Genk a joué le foot à l’anderlechtoise que nous voulons retrouver avec Vincent  »

Anderlecht a le plus gros budget de l’élite, le noyau le plus étoffé, les joueurs les mieux payés. Partout ailleurs, un club présentant de tels chiffres serait champion ou, avec un peu de malchance, deuxième. Le Sporting, lui, a terminé les play-offs 1 bon dernier…

Arnesen : Avant d’aborder cette mini-compétition, l’équipe restait sur six matches d’affilée sans défaite. C’est ce qui nous avait permis de nous qualifier pour cette épreuve. Mais dès le premier match, ça a coincé. Nous avons reçu une leçon de football de Genk. Ce soir-là, les Limbourgeois ont tout simplement joué le football  » à l’anderlechtoise  » que nous ambitionnons de retrouver un jour sous la coupe de Vincent.

Nous n’étions pas encore remis de cet affront que nous encaissions un autre uppercut sous la forme de la victoire de Bruges sur nos terres. Sans compter que cette défaite fut encore suivie d’une autre face à l’Antwerp, toujours dans nos installations. Trois défaites de rang, c’en était trop pour cette équipe. Ailleurs, dans les mêmes conditions, d’autres auraient été piqués au vif. Mais pas chez nous, hélas.

Comme dit, nous n’avons pas assez de joueurs capables de faire front dans l’adversité. Et c’est pourquoi, je le répète, il faut se réjouir de la venue de Vincent. Car si quelqu’un s’est relevé cent fois plutôt qu’une dans sa carrière, c’est bien lui. Combien de fois ne l’a-t-on pas cru perdu, suite à une énième blessure ? Mais il est toujours revenu, plus fort qu’avant, même. C’est de gars de cette trempe-là qu’Anderlecht a besoin.

Adjoindre Kara, Zulj et Bolasie pendant le mercato, n’était-ce pas trop peu ? Seul le Congolais a répondu à l’attente. Et encore, il a connu un creux lui aussi.

Arnesen : On ne parviendra jamais à rectifier totalement le tir avec le mercato d’hiver. Car quels sont les joueurs libres à ce moment ? Ceux qui n’ont pas réussi à s’imposer ailleurs, ceux qui relèvent de blessures, etc…Yannick n’était pas une valeur sûre à Aston Villa et n’avait disputé qu’une poignée de matches. Il est logique, dans ces conditions, qu’il ait traversé une période de flottement à un moment donné.

 » Au Sturm Graz, Zulj n’a jamais été confronté à la culture de la gagne  »

OK, ça vaut pour lui. Mais les autres ?

Arnesen : Kara n’avait pas davantage de matches à son compteur quand il est revenu de Nantes. Au départ, il a manqué clairement de rythme avant de retrouver progressivement ses sensations. Zulj, c’est une autre histoire. Les attentes étaient plus élevées avec lui puisqu’il restait sur 10 présences d’affilée en équipe nationale d’Autriche et qu’il était le meilleur joueur du championnat.

C’est une petite performance pour quelqu’un qui était actif au Sturm Graz et non chez l’un des trois grands de ce pays : le Red Bull Salzbourg et les deux porte-drapeaux du football viennois, le Rapid et l’Austria. A Graz, Peter n’a jamais été confronté à la culture de la gagne et il a dû faire cet apprentissage chez nous.

Au début, à défaut d’être rapide, il faisait bien circuler le ballon, avant de fléchir à son tour. À la fin, il ratait même les passes les plus faciles. On croit toujours en lui et c’est ce que Michael Verschueren lui a signifié en fin de saison.

Idem pour Boubacar Sanneh ?

Arnesen : Oui. Il n’a guère eu l’occasion de s’illustrer comme il l’avait fait à Midtjylland. Son prix de transfert, qui a fait pas mal jaser, lui a également coupé bras et jambes. Mais il ne faut pas le condamner. Je suis sûr qu’il peut se ressaisir.

D’autres n’auront pas cette chance : les 45 joueurs sous contrat devront être réduits de moitié, non ?

Arnesen : Un noyau de 25 serait effectivement idéal. Dans ce cas de figure, on pourrait faire monter aussi, en cours de campagne, l’un ou l’autre jeune susceptible de marcher sur les traces des Bornauw, Saelemaekers, Amuzu et Verschaeren qu’on a déjà vus cette saison.

 » Au bout de 40 matches, on est à la place qu’on mérite  »

Verschaeren, c’est la trouvaille de Fred Rutten. Pour le reste, le Néerlandais n’était-il pas une erreur de casting ?

Arnesen : Je ne suis pas de cet avis. Je trouve que dans l’ensemble, il a effectué du bon travail. Je lui dois beaucoup. Il a attiré mon attention sur ce qui était perfectible dans bon nombre de départements, ici.

L’absence d’implications européennes va vous conférer davantage de temps pour mettre sur pied le noyau, n’est-ce pas ?

Arnesen : À quelque chose malheur est bon. D’un côté, nous passons à côté d’une manne de 7 à 8 millions. De l’autre, nous ne devrons pas effectuer une course contre la montre pour être fins prêts dès le premier rendez-vous européen. Avec un match par semaine, les joueurs auront plus de temps pour apprendre à se connaître et fignoler un style de jeu. L’objectif sera de faire bonne figure en championnat mais aussi en coupe. Cette compétition, il ne faut pas la snober. C’est le chemin le plus court pour arracher un ticket européen, il ne faut pas l’oublier.

Vous comptez tout spécialement sur Vincent pour inculquer une mentalité de vainqueur. Ce sera nécessaire après une saison marquée par une vingtaine de défaites.

Arnesen : La mentalité, on peut la conférer mais il faut aussi s’y atteler en personne. Il faut entraîner les autres dans cette démarche, se surpasser de match en match. Cette attitude-là, je ne l’ai pas toujours vécue cette saison, loin s’en faut.

Vous ne méritiez pas mieux que cette 6e place ?

Arnesen : Au bout de 40 matches, on ne peut plus parler de chance ou de malchance. Tout le monde se situe à sa véritable place à ce moment. Si on est 6e, c’est qu’on ne méritait pas mieux. Mais peut-être cette 6e place est-elle une bonne chose aussi. Certains mesureront qu’il ne suffit pas simplement de paraître pour s’imposer mais qu’il faut remettre tous les jours l’ouvrage sur le métier. Le foot doit requérir toute l’attention. Ce doit être la priorité numéro 1, numéro 2 et numéro 3.

 » Vincent Kompany sera un facteur persuasif pour nous  »

Quand Vincent Kompany a créé le BX Brussels, son slogan était :  » We start from scratch « . N’est-ce pas valable pour Anderlecht aussi ?

Arnesen : Tout à fait. On repart de zéro. À Chelsea, lors de mes années là-bas, Brendan Rodgers était coach des U18. Il m’est arrivé de l’accompagner sur le terrain et c’était toujours très intéressant. Avant l’entraînement, il disait aux joueurs :  » Faites le maximum. Dans deux heures, ce sera trop tard, vous ne rattraperez pas le temps perdu. Cet entraînement ne reviendra pas. Si vous vous donnez à 90%, ces 10% perdus, vous ne les résorberez plus.  » J’ai trouvé ça édifiant. Avant la séance de préparation et après, on peut toujours rire et s’amuser. Mais à pied d’oeuvre le mot d’ordre doit être de se concentrer sur le foot.

Frank Arnesen :
Frank Arnesen :  » On ne méritait pas mieux que la 6e place. « © filip naudts

Michael Verschueren souhaite au moins un gros renfort dans chaque ligne. N’est-ce pas peu, au regard de ce qui s’est passé ces derniers mois ?

Arnesen : Derrière, nous avons déjà Kompany. C’est bon, difficile de faire mieux ( il rit). Beaucoup va dépendre du nombre de joueurs qui partiront et de l’enveloppe financière pour les remplacer. L’idéal, ce serait d’engager une demi-douzaine de joueurs, avec parmi eux l’une ou l’autre traite sur l’avenir. Et continuer à miser sur les jeunes. Verschaeren est une révélation mais il conviendra de ne pas le brûler. L’année prochaine, il n’aura plus d’obligations scolaires et pourra se concentrer exclusivement sur le foot. Mais ce n’est pas pour cela qu’il va passer la surmultipliée. Il doit continuer à apprendre sans brûler les étapes.

Vu la saison du club, sera-t-il plus difficile de convaincre un joueur de rallier votre bannière ? Ou la présence de Vincent sera-t-elle un pôle d’attraction ?

Arnesen : Bien sûr. Il sait de quoi il retourne et je mets ma main à couper que sous sa gouverne, les jeunes et même les valeurs sûres apprendront beaucoup. Il est un facteur persuasif.

Combien de temps faudra-t-il au club pour retrouver son lustre d’antan ?

Arnesen : Dès la saison à venir, il faudra faire preuve d’ambition. Mais il ne faut pas non plus crouler sous la pression et se dire que si on ne décroche pas la timbale, la saison sera automatiquement ratée. Je veux des footballeurs qui ont faim et qui ont envie de se faire mal tous les jours. À partir du moment où on affiche la bonne mentalité, le reste suit. Comment devient-on champion ? En disposant de bons joueurs et en travaillant à bon escient tant sur le terrain que dans les coulisses. Technique, tactique, mental, lifestyle : tout cela doit être top.

Frank Arnesen :
Frank Arnesen :  » Je veux des footballeurs qui ont faim et qui ont envie de se faire mal tous les jours. « © filip naudts

Pas partisan de contrats plantureux pour les jeunes

Entre 2005 et 2011, alors qu’il était directeur sportif à Chelsea, Frank Arnesen a vu exploser les contrats chez les jeunes. Le Danois, à l’origine de la venue de Ronaldo au PSV jadis (pour moins de 5 millions d’euros) n’a pas voulu participer à cette surenchère.

 » À Stamford Bridge, nous avions établi des barèmes par catégorie d’âge « , dit-il.  » Un gamin de 16 ans ne pouvait pas gagner plus de 5000 livres par an. Pour un jeune de 19 ans, le plafond était de 100.000 livres, à l’une ou l’autre exception près. Comme le Lensois Gaël Kakuta, qui avait un salaire de 120.000 livres par an. C’était déjà énorme mais il fallait en arriver là car d’autres clubs n’hésitaient déjà pas à mettre la barre plus haut. Après mon départ, il y a eu escalade dans les prix et tout a explosé.  »

Arnesen a dû composer un jour avec un manager qui voulait un contrat exorbitant pour un jeune de 17 ans qui n’avait encore rien prouvé au plus haut niveau. Il opposa son veto mais le président Roman Abramovitch ne l’entendit pas de la même oreille et accéda à la demande.  » Ce gars avait un incroyable talent et aurait pu réussir à Chelsea  » se souvient-il.

 » Finalement, il n’a jamais joué en Premier League. En négociant des sommes folles, certains managers tuent, façon de parler, les jeunes joueurs. Car comment sublimer un joueur qui, comme teenager déjà, est payé rubis sur l’ongle ? Celui-là se dit qu’il est safe jusqu’à la fin de ses jours. Après cinq ans, tout porte à croire qu’un tel élément n’aura pas le moindre match dans les jambes au plus haut niveau, qu’il sera peut-être sans sou vaillant et qu’il aura perdu ses dernières illusions footballistiques.  »

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