Anderlecht au bout du suspense

Il y a 25 ans, le RSCA fut sacré champion au bout de deux belles. Une première dans la longue histoire du football belge.

Un test-match pour désigner le vainqueur du championnat parmi l’élite, c’est un artifice qui remonte au tout début du foot belge. Mais deux test-matches, c’est une formule qui n’a que 25 ans. Elle fut utilisée pour la toute première fois en 1985-1986. Anderlecht et le Club Bruges avaient terminé à égalité parfaite : 34 rencontres ventilées en 22 victoires, 4 défaites et 8 partages soit 52 points (un succès était alors synonyme de 2 points). Seul le goal-average différenciait les deux formations : +51 pour les Bruxellois (84 buts marqués et 33 encaissés), +44 pour les Flandriens (78-34). Mais contrairement à ce qui se passe dans bon nombre de compétitions étrangères, ce ratio ne sert pas à déterminer le n°1 chez nous.

Anderlecht, qui comptait 5 unités de retard sur le Club Bruges à mi-parcours, passe devant son rival en vue du dénouement. Plus rien de fâcheux ne semble devoir lui arriver. Mais c’est compter sans un faux-pas des Mauves au Beerschot (2-0) qui permet au Club Bruges de revenir à sa hauteur.

 » La logique aurait voulu qu’on dispute une belle sur terrain neutre « , se souvient Michel Verschueren, manager du RSCA à ce moment-là.  » Mais aucun stade ne s’y prêtait. Le Heysel avait été déclassé suite aux incidents qui avaient émaillé la finale de la Coupe des Champions entre la Juventus et Liverpool, un an plus tôt, et le Bosuil anversois, seule autre enceinte de plus de 60.000 places, ne répondait déjà plus aux normes de sécurité. Du coup, mon alter ego brugeois, feu Antoine Van Hove, et moi avions songé à une double confrontation dans nos installations. Depuis, cette innovation est devenue la norme car elle fut encore appliquée en 2009 pour départager le Standard et Anderlecht.  »

Le système d’aller et retour ne fit pas que des heureux. Pour les clubs, c’était bien évidemment une manière de réaliser une recette supplémentaire juteuse et de réclamer 25.000 euros de plus en droits télé. Du côté de la RTB et de la BRT, Boulevard Reyers, cette revendication fut refusée, car les chaînes nationales estimaient avoir payé pour l’ensemble de la saison, quel que fût l’épilogue… Et rayon supporters également, ce fut la grogne, beaucoup étant d’avis que leur abonnement couvrait tous les matches. Quelques-uns menacèrent même d’aller en justice pour faire valoir leurs droits. Mais finalement tout fut réglé autour d’une bonne table.

Anderlecht-Club 1-1

Le Parc Astrid est en travaux. Trois ans plus tôt, le RSCA a entrepris la reconstruction de son stade et, après avoir érigé une nouvelle tribune principale, ce sont les gradins situés du côté de la rue Théo Verbeeck qui ont été démolis, faisant apparaître un grand vide. Après un bon quart d’heure, Frankie Vercauteren porte l’équipe locale aux commandes d’une reprise en demi-volée lobée. En cours de deuxième mi-temps, Luc Beyens égalise pour les Brugeois et le score ne change plus.

 » La veille de cet affrontement, nous avions eu droit à un speech du président Constant Vanden Stock « , se souvient Morten Olsen, le libero danois du Sporting.  » Il nous fit clairement comprendre que le titre était la seule manière de sauver notre saison. On s’était endormi un peu sur nos lauriers après avoir été champions en 1985 avec 11 points d’avance sur le Club Bruges. Notre départ raté avait d’ailleurs coûté la tête à l’entraîneur, Paul Van Himst, remplacé par Arie Haan en décembre. Eliminés en Coupe de Belgique dès les 16er de finale par le Lierse, on pensait se rattraper en C1. En quarts, on avait réussi l’exploit de sortir le Bayern Munich : défaite 2-1 en Bavière, avec un but d’ Henrik Andersen et 2-0 chez nous grâce à Enzo Scifo et Per Frimann. Mais au stade suivant, ce fut malheureusement la dégelée devant le Steaua Bucarest. 1-0 au Parc Astrid via Scifo, mais cinglant revers 3-0 là-bas. L’arrière-garde, que je commandais, fut pointée du doigt. Ce fut mon dernier match européen avec le RSCA puisque je suis parti au FC Cologne l’été suivant. Critiqué lui aussi par le coach, Erwin Vandenbergh décida de demander son transfert à destination de Lille. Ce n’était donc pas la toute bonne ambiance, mais nous n’avions pas envie de nous retrouver les mains vides. C’est pourquoi je me rappelle fort bien d’avoir protesté de manière virulente sur le but égalisateur de Beyens. A mes yeux, le Brugeois était hors-jeu au moment où son coéquipier Gino Maes le lança en profondeur.  »

 » La couverture télévisuelle n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui « , observe Beyens.  » C’était le service minimum – trois minutes de résumé à peine – entendu que les deux clubs n’étaient pas parvenus à un accord avec les chaînes. J’ai eu beau voir et revoir les images – toutes prises sous le même angle -, je ne sais toujours pas si j’étais hors-jeu ou non. Tout ce que je peux dire, c’est que je me suis porté vers l’avant au moment où Olsen a accompli le même geste, pour me mettre hors-jeu. C’était limite, mais qu’y puis-je si le juge de ligne n’a pas bronché ? Ce but nous a aussi boostés dans l’optique de la finale de la Coupe que nous devions disputer face au Cercle Bruges quatre jours plus tard. Nous avions gagné 3-0 et, du coup, chacun s’était mis à rêver subitement du doublé. Les festivités s’étaient d’ailleurs étendues jusqu’aux petites heures. Pourtant, il aurait fallu se méfier : Anderlecht avait fait 3-3 chez nous en championnat après avoir mené 0-2 et 1-3. Cette euphorie-là et la trame au retour nous auront finalement coupé bras et jambes. « 

Club Bruges-Anderlecht 2-2

Le Club Bruges mène 2-0 après un peu plus de 30 minutes de jeu suite à des approximations de RenéVandereycken et Georges Grün. Sous l’impulsion du premier, qui a visiblement à c£ur de racheter sa faute, Anderlecht réduit l’écart à l’heure avant de recoller au score par Stéphane Demol en fin de match. Les dernières minutes, marquées par un forcing de tous les instants des Bleu et Noir, sont épiques. A trois reprises, les Brugeois ont le but du sacre au bout du pied mais tour à tour WillyWellens, Jan Ceulemans et Marc Degryse loupent l’immanquable face à une phalange anderlechtoise réduite à dix suite à l’exclusion de Vandereycken, pénalisé d’une jaune en première mi-temps déjà et coupable, dans un final endiablé, d’avoir poussé le ballon trop loin pour gagner du temps. Malgré son infériorité numérique, le Sporting tient bon et l’emporte sur base d’un but de plus marqué à l’extérieur.

 » Ce match-là, c’était le sommet de ma carrière en Belgique « , se remémore l’arbitre anversois Frans Vanden Wijngaert.  » A la pause, j’avais le sentiment que la cause était entendue. J’ai d’ailleurs dit au délégué brugeois, en regagnant les vestiaires à la mi-temps, que l’affaire était dans le sac. Mais Vandereycken en avait décidé autrement. Auteur d’une passe en retrait hasardeuse, interceptée par Wellens au profit de Jean-Pierre Papin sur le premier but, il avait la rage. A partir de ce moment, il n’y en avait plus que pour lui. Après son exclusion, j’ai bien cru qu’Anderlecht allait plier. Mais les Mauve et Blanc ont pu compter sur un Jacky Munaron éblouissant.  »

 » J’étais tout juste remis d’une luxation de l’épaule « , rappelle le gardien.  » Comme je voulais à tout prix participer au Mundial mexicain, je tenais absolument à prouver ma valeur. Et ce soir-là, à Bruges, j’ai sans doute livré le meilleur match de ma carrière. Dès l’instant où on s’est retrouvé à dix, j’ai sorti le grand jeu et je me suis révélé imbattable. Comme tant d’autres dans cette situation, j’ai eu la chance de mon côté. Notamment sur un tir de René Verheyen sur le poteau, suivi d’une reprise non cadrée de Ceulemans. Si le Caje avait fait mouche sur cette action, nous aurions été cuits, c’est sûr. En lieu et place, ce fut la fête. Surtout dans le chef de ceux qui goûtaient à leur premier titre. Comme Demol, par exemple.  »

 » Je tenais à m’éclater « , précise Demol.  » Enzo et moi avions été démobilisés de l’armée avant le match aller et, au lieu de célébrer l’événement, nous avions été repêchés dans notre caserne par Jean Dockx. Dès cet instant, vu l’importance de la double confrontation, il n’était évidemment plus question de sortir. Je me suis toutefois rattrapé après coup. C’était d’autant plus beau et gratifiant pour moi que j’avais offert le but décisif à mes couleurs. A cet égard, 1985-1986 fut vraiment une saison en or pour moi. D’abord grâce à ce goal à l’Olympiastadion puis grâce à une réalisation tout aussi importante au Mexique face à l’URSS quelques semaines plus tard. J’avais 20 ans et je vivais là le sommet de ma carrière. Plus jamais, par la suite, je n’ai eu la chance d’inscrire encore des buts de cet acabit. Un quart de siècle plus tard, ils m’émeuvent d’ailleurs toujours.  »

PAR BRUNO GOVERS – PHOTOS: IMAGEGLOBE/ REPORTERS

 » Au match retour à Bruges, j’ai sans doute livré le meilleur match de ma carrière.  » (Jacky Munaron)

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