» Anderlecht a trop de succès « 

Le président d’Anderlecht évoque tous les sujets brûlants : la politique des transferts, les guéguerres avec la concurrence, et bien sûr son futur en mauve et blanc.

Pendant la Coupe du Monde 1994, chef de délégation de la Belgique, il avait été surnommé Vandengolfstok. De nombreux observateurs – moi y compris – redoutaient le pire en 1996 quand il a succédé à son père Constant à la présidence des Mauves. Nous nous sommes trompés. Après quelques années difficiles, il est parvenu à rétablir la moyenne d’un titre tous les deux ans, essentiellement grâce à son excellente politique des jeunes. Roger Vanden Stock apporte aussi une bouffée d’air frais au football. Il est un des rares grands dirigeants à ne pas avoir d’agenda secret.

Le président des Mauves nous reçoit au centre d’entraînement de Neerpede. Il nous attend dans une salle aux murs blancs, avec vue sur les terrains d’entraînement. Les derniers joueurs regagnent les vestiaires : la séance du matin est achevée. Vanden Stock rayonne en voyant ses jeunes gaillards. Cela doit adoucir son mécontentement sur l’aboutissement dans l’affaire Scholz.

Commençons-nous par l’actualité ?

Roger Vanden Stock pousse un profond soupir : Quand vous voulez jouer le jeu honnêtement mais qu’un concurrent s’y prend autrement, vous n’avez aucune chance. Devons-nous procéder ainsi à l’avenir ? Nous essayons de trouver un accord avec le club avant de contacter le joueur. Dans ce cas-ci, deux jours après notre accord avec Lokeren, le joueur a signé dans un autre club. Ce sont des pratiques dont Anderlecht ne veut pas.

Avez-vous été trop honnête ?

Absolument et ce n’est pas la première fois. Nous avons négocié avec le club pendant des semaines, sans qu’il y ait la moindre fuite, mais dès que la nouvelle est parue dans la presse, le joueur a choisi un autre club. Ça s’était produit avec De Bock et le Club Bruges, maintenant avec Scholz et le Standard. Ce n’est quand même pas un hasard ?

Le Standard vous a taclé ?

On peut le dire. Le règlement FIFA interdit de négocier avec un joueur sous contrat. On peut donc déposer plainte mais qui va le faire ? Pas Lokeren, quand même.

Non car Roger Lambrecht a réussi une bonne affaire aussi.

Tout à fait. Tout le monde est content : Lokeren, le Standard et le joueur. Nous le sommes un peu moins. Je ne regrette toutefois pas d’avoir loupé le transfert d’un joueur qui ne voulait pas vraiment nous rejoindre. C’est mieux comme ça.

Avez-vous le sentiment que c’est devenu un contre tous ?

Anderlecht a trop de succès. Notre dernier titre a fait très mal à nos adversaires. Nous aussi, nous avons été complètement surpris d’être champions. Puis il y a eu le Soulier d’Or. Deux points de différence entre Hasi et Preud’homme, cinq entre Praet et Vazquez, chaque fois à notre avantage. C’était peut-être un peu trop.

 » Nos jeunes sont prêts à donner leur vie pour le club  »

Un quatrième titre d’affilée serait vraiment de trop ?

Nous allons quand même essayer. Scholz était un des transferts visés pour atteindre cet objectif même si notre sélection recèle tant de talents que je doute parfois que nous ayons besoin de renforts. Nos jeunes se montrent bien plus que je ne m’y attendais et l’ambiance est formidable. On dirait qu’ils sont prêts à donner leur vie pour le club. Leur enthousiasme pourrait faire la différence. Mais il faut être réaliste. Aligner un groupe aussi jeune comporte des risques. Nous avons besoin de plus d’expérience. Marko Marin nous a déjà rejoints et nous pouvons encore agir jusqu’au 31 janvier.

Vous êtes obligés d’être à nouveau champions. La Ligue des Champions constitue votre seule chance de conserver vos jeunes talents ?

La Ligue des Champions est en effet un must. Je veux conserver ces jeunes mais nous sommes perdus dès qu’une formation issue d’un grand championnat s’intéresse à eux. Nous pouvons tout au plus anticiper le départ éventuel de certains footballeurs. Nous voulions Scholz parce que nous pensons que Mbemba s’en ira en été. Il ne l’a sans doute pas bien compris.

Praet va-t-il rester un an de plus ? A entendre son entourage, il acceptera sans doute une bonne proposition. Toute l’Europe convoite Tielemans. Il a dit qu’il signerait un contrat de quatre ans et il va sans doute le faire. Rester encore deux ou trois ans chez nous serait positif pour lui.

Mais la perspective d’un gros salaire pèse lourd ?

Nous essayons de faire comprendre aux jeunes qu’ils ont intérêt à attendre un an ou deux parce qu’alors, ils pourront rejoindre un tout grand club et non un moyen. L’idée commence à faire son chemin.

Il faut constamment repartir à zéro ?

Nous n’avons pas le choix. Ça marche jusqu’à présent car beaucoup de talents se sont imposés. C’est le résultat de notre centre d’entraînement. La politique décidée il y a cinq ans porte ses fruits maintenant. Mais tôt ou tard, il y aura un trou dans la formation des jeunes. Nous ne pouvons pas continuer à secouer les cocotiers. La Belgique est un petit pays. Heureusement, pour le moment, elle regorge de talent et les jeunes comprennent que notre formation est aussi valable qu’à l’étranger.

Ce choix de la jeunesse est-il le meilleur de votre présidence ?

Je pense que oui. En payant cinq millions pour Mitrovic, nous dépassons nos moyens et prenons un risque énorme. Nous pouvons le faire une fois, pas plus.

Avez-vous parfois regretté vos cinq millions, au vu des frasques de Mitrovic ?

Non. C’est un super talent. Un garçon spécial aussi mais il fait de son mieux. N’oubliez pas qu’un avant-centre encaisse plus de coups qu’il n’en donne. Il faut comprendre qu’un moment donné, un jeune footballeur ne puisse plus se contenir et fasse une bêtise.

Il a votre compréhension ?

De même que nous comprenons sa sanction. Nous sommes un des rares clubs à accepter une sanction. De nos jours, tout le monde va en appel. J’ai parfois l’impression que nous sommes les chevaliers blancs de notre football.

 » Pourquoi nous mettre des bâtons dans les roues.  »

Les rapports entre les grands clubs semblent complètement viciés ?

Nous avons toujours été concurrents mais il n’est quasi plus question d’une quelconque collaboration. Quelqu’un doit prendre la direction tout en pouvant donner. Gréer quelque chose aux autres pour arriver à un accord. Anderlecht l’a toujours fait. Il faut tenir compte des autres. Prenez la division deux. C’est la misère complète. Il faut faire quelque chose mais je ne suis jamais parvenu à convaincre les autres et surtout pas les grands.

Avez-vous le sentiment qu’Anderlecht soit le seul club à songer à l’intérêt général ?

L’année dernière, j’ai dit à un président :  » Tu es actuellement le numéro un de Belgique, tu dois prendre les rênes en mains et trouver une solution. «  Je parlais de la répartition des droits TV. Il n’en est rien ressorti.

L’arrivée de Bart Verhaeghe et de Roland Duchâtelet, des hommes possédant beaucoup d’argent et un fameux ego, a-t-elle redistribué les cartes ?

Je ne parlerai pas de guerre mais on se bat. Plus que dans le passé. Je comprends leurs ambitions. Quand on investit autant d’argent, c’est pour connaître le succès, le plus vite possible. Le fait qu’ils veuillent nous détrôner n’est pas un problème, au contraire. Cela veut dire que nous devons faire plus d’efforts et ça ne peut qu’être positif pour notre football. Mais il faut tenir compte du reste. Je ne comprends pas qu’ils ne puissent accepter que, nous aussi, voulons aller de l’avant et pourquoi ils nous mettent des bâtons dans les roues.

Vous parlez du nouveau stade ? La lutte pour le premier nouveau stade est peut-être plus importante que celle qui se déroule sur le terrain ?

Tout le monde fait comme si nous allions recevoir ce stade en cadeau. Je dois convaincre mon conseil d’administration de payer un loyer pendant 25 à 30 ans. Un nouveau stade est synonyme de fameuses dettes pendant des décennies. Ce n’est vraiment pas un cadeau.

 » Bruges est plus expérimenté

Revenons au terrain. Le titre va se jouer entre Anderlecht et le Club Bruges ?

Je le dis depuis le début de la saison. Les autres équipes sont moins bonnes, même si ça peut changer. Le Club est plus expérimenté et cela pourrait être décisif.

Qu’attendez-vous de la Coupe d’Europe ?

Le Dinamo Moscou n’est pas un tout grand nom mais il a remporté six victoires en poule, dont deux contre le PSV. C’est donc une formation de qualité et une élimination n’est pas impossible. Si Séville atteint la finale et Bâle les demis, nous devons pouvoir y arriver aussi, avec un brin de chance. Nous avons fait nos preuves contre Arsenal et Dortmund.

Vous pensez à une finale européenne ?

La Ligue des Champions est inaccessible. Je m’y suis résigné. Le top 16 a des revenus de 400 à 500 millions et en dépense encore plus. Nous en sommes à 40-50 millions, un peu plus si nous jouons la Ligue des Champions. Par contre, en Europa League, nous pouvons rêver.

Le fair-play financier n’a pas apporté ce que vous en espériez ?

Non. Cerains clubs utilisent des arrière-portes. Platini fait ce qu’il peut et il faut le soutenir. Il a déjà réalisé beaucoup de choses pour les clubs issus de pays comme la Belgique. Sans lui, les vingt plus grands clubs se seraient peut-être déjà emparés du pouvoir et disputeraient un championnat d’Europe.

L’UEFA ne peut-elle aller plus loin et créer un level playing field ?

Elle oeuvre à un meilleur équilibre financier entre ses deux compétitions. Pour le moment, le pot du bal des champions est six fois plus élevé que celui de l’Europa League. Elle tend à un rapport d’un à quatre.

 » Je ne vendrai pas mes parts  »

On spécule sur l’avenir d’Anderlecht puisqu’à partir de la semaine prochaine, les actions de la société anonyme peuvent être vendues.

Je n’ai pas d’explication à ça. Peut-être quelqu’un a-t-il relu par hasard les statuts du club. Il y est stipulé que pendant les cinq premières années, personne ne pouvait vendre ses parts. C’est un délai aléatoire. Ça aurait aussi bien pu être dix ans. Je ne crois pas que quelqu’un veuille vendre et je suis convaincu que nous travaillons toujours bien tous ensemble.

Rien ne va changer à court terme ?

Je pense à ma succession depuis quelques années. J’aurai bientôt 73 ans et je veux assurer l’avenir, pas à pas. Anderlecht doit rester Anderlecht. On ne va pas faire de folies.

Vous ne pensez pas que des actions vont être vendues et que 2015 soit l’année d’un revirement ?

Pas du tout. Je ne vois pas qui vendrait ses parts et je suis le premier à dire que je ne le ferai pas. Certainement pas.

Vous ne renoncez pas non plus à la présidence. Vous dirigez Anderlecht depuis près de 19 ans, votre père a été à sa tête pendant 25 ans. Est-ce le chiffre que vous avez en tête ?

La tradition du club veut que chaque président reste en poste au moins vingt ans. Je vais la respecter et je resterai vraisemblablement plus longtemps encore. Mais il faut veiller à ce qu’Anderlecht puisse être dirigé de la même façon et continuer à exister s’il m’arrive quelque chose.

Pensez-vous à un président de l’ombre, à un vice-président ?

Le know-how footballistique est l’aspect le plus important. Herman Van Holsbeeck connaît le football. Il sera plus difficile de le remplacer que d’assurer ma succession. Je vais m’occuper de moins en moins du cours quotidien des choses mais tout en veillant au respect de la philosophie du club.

Va-t-on découvrir quelqu’un d’autre ?

Oui et ce ne sera sans doute pas un Vanden Stock. Mes filles ne sont pas intéressées, même si elles disent  » peut-être  » en en parlant. J’ai le sentiment qu’elles n’en ont pas vraiment envie. En Belgique, d’ailleurs, une femme à la tête d’un club de football, ce n’est pas si évident.

On parle beaucoup du rôle d’Alexander Van Damme.

Il restera toujours dans l’ombre. La grande question, c’est : peut-on diriger un club de cette façon ?

Mais il devient l’homme fort d’Anderlecht ?

Je pense que oui. Il possède les qualités requises mais il sait qu’il ne s’y connaît pas en football. Il est un homme d’affaires de grand format, qui peut assurer la continuité du club. Le Sporting a toujours eu un homme fort. Il y a eu Albert Roosens, mon père et moi, je pense.

Conclusion : à terme, Van Damme sera le grand patron, sans qu’on sache s’il se placera à l’avant-plan ou si une autre personne remplira ce rôle ? On avance le nom de Michael Verschueren, le fils de Mister Michel.

C’est toujours un point d’interrogation car il faut absolument quelqu’un qui connaisse le football. C’est la question centrale à l’avenir. Van Holsbeeck a 60 ans et peut encore travailler cinq ans. Le président aussi. Mais après ?

Vous pensez donc à un délai de cinq ans ?

Oui.

 » Le club se porte mieux qu’avant mon entrée en fonction  »

Vous aimeriez sans doute être encore à la présidence quand le Sporting aura un nouveau stade ?

En effet. Ce serait un atout fantastique pour notre avenir. Si nous devons rester à Anderlecht, dans une arène de 21.000 places, nous allons reculer sur le plan national aussi. Nos adversaires le savent et c’est peut-être pour ça qu’ils sont si opposés à ce nouveau stade.

Avez-vous atteint vos objectifs ?

J’ai commencé en 1996. Je n’ai fêté mon premier titre qu’en 2000. Depuis, j’en suis à neuf.

Le club se porte-t-il mieux qu’avant votre entrée en fonction ?

Puis-je le dire ? Je pense que oui. Nous vivons une période magnifique. Je raffole de cette équipe avec tous ces jeunes joueurs issus de notre propre école. C’est ce qui me fait dire que nous nous portons mieux. Nos jeunes n’ont jamais été aussi bons et ils sont certainement meilleurs qu’à mes débuts.

C’était juste après l’arrêt-Bosman. Tout le monde, Anderlecht en tête, s’y est opposé. Dans ces conditions, former des jeunes revenait à gaspiller l’argent. Est-ce la plus grande erreur de l’histoire de notre football ?

Peut-être. Nous avons acheté des étrangers qui ne valaient pas leur prix.

Et nous avons attendu douze ans avant de rejouer une Coupe du Monde ?

En effet. Bien sûr, un petit pays dépend énormément du talent présent.

Les fils de pères célèbres veulent prouver qu’ils sont aussi bons que leurs géniteurs ?

J’ai dit que c’était impossible quand j’ai repris le flambeau. Il a gagné trois Coupes d’Europe. Ce n’est plus possible. Mais je suis très satisfait. Anderlecht reste le numéro un en Belgique, en gagnant un titre sur deux, depuis 60 ans. En plus, nous avons préservé la philosophie du club.

Et l’avenir semble assuré ?

Oui, même si c’est de plus en plus difficile. Tout tourne autour de l’argent, de plus en plus. Ce n’est pas une conclusion agréable mais c’est la réalité. Nous avons perdu l’émotion inhérente au football. Je la ressens toujours mais de moins en moins de dirigeants sont dans ce cas. L’argent, l’argent et encore l’argent. C’est ce qui me heurte le plus dans le football contemporain. J’en souffre beaucoup, peut-être parce que je vieillis. L’attribution du Mondial au Qatar résume tout. ?

PAR FRANÇOIS COLLIN – PHOTOS: BELGAIMAGE/KETELS

 » J’ai parfois l’impression que nous sommes les chevaliers blancs de notre football.  »

 » Il sera plus difficile de remplacer Van Holsbeeck que d’assurer ma succession.  »

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