» ANDERLECHT A REÇU LA CHANCE DE SA VIE « 

En construisant la Ghelamco Arena, ce promoteur immobilier a fixé de nouvelles normes en matière de construction de stades en Belgique. Pour la première fois, il s’exprime en long et en large sur le controversé Eurostadium.

Ce n’est pas la modestie qui étouffe PaulGheysens.  » J’ose affirmer que nous n’avons jamais loupé un projet « , dit le concepteur de la Ghelamco Arena de Gand.  » Je ne vois d’ailleurs pas en quel point on peut l’améliorer.  »

L’entrepreneur yprois nous reçoit au troisième étage du stade qui porte le nom de son entreprise et où l’équipe de HeinVanhaezebrouck a été championne. Trois jours plus tôt, à l’hôtel de ville de Bruxelles, a eu lieu une conférence de presse concernant l’Eurostade, dont il se chargera également de la conception.

Mais, pour l’heure, l’homme est le plus actif en Pologne. Il s’épanche d’ailleurs volontiers sur ses futures réalisations à Varsovie et nous montre une vue du Warsaw Spire, appelé à devenir l’édifice le plus élevé de l’ex-Europe de l’Est.

 » Ce n’est pas rien « , dit-il. Au cours des dix dernières années, Ghelamco a conçu 34 % des nouveaux bureaux de la capitale polonaise, où le groupe est leader du marché.  » Il n’y a pas de différence avec les stades de football : un bureau difficile d’accès et qui n’a pas de catering ne fonctionne pas non plus.  »

Quel rôle avez-vous joué dans le titre de Gand ?

Paul Gheysens : Sans stade, Gand n’aurait sans doute pas été champion. Je dis cela en guise de boutade mais il y a du vrai. Disons que nous sommes une des pièces du puzzle et que nous avons amené le capital de départ. Mais évidemment, si les autres pièces ne s’étaient pas imbriquées, ça n’aurait pas marché. Sans un extraordinaire président, sans un grand entraîneur et sans les joueurs achetés par le manager, nous n’y serions pas arrivés non plus.

Vous savez, les jeunes aiment jouer dans un tel stade. C’est grâce à cela que MosesSimon est venu à Gand. Les gars de trente ans, forgetit. Mais un jeune qui passe chaque soir ici devant et voit toutes ces lumières bleues, ça le fascine. Pourtant, ce ne sont que des lampes LED. On ne fait rien de plus simple. C’est moi qui les ai imaginées, avec mes deux fils. Lorsque nous avons repris le projet précédent, nous avons tout changé. Même le permis de bâtir.

La devanture originale était en béton avec, deux mètres devant, une façade en acier perforé. Une catastrophe. Comment aurait-on pu rentabiliser ces espaces ? On ne peut pas gagner d’argent dans un truc qui ressemble à un garage avec une lampe. Il n’y avait même pas de fenêtre. A qui allions-nous louer cela ? A l’époque j’ai dit : ou bien nous arrêtons, ou bien nous faisons un projet de qualité au prix du marché. Aujourd’hui, les bureaux sont occupés par des start-up florissantes.

Nous avons construit quelque chose de beau, très attractif et transparent. La pelouse est au centre de tout, c’est le plus important. Mais pour attirer les gens, il fallait de la qualité. C’est pourquoi nous avons imaginé une entrée comme celle que l’on voit dans les hôtels, très lumineuse. Les gens veulent de la lumière pour se sentir bien. Des miroirs, aussi. Nous avons fait en sorte que toute la famille et les voisins viennent au stade. Nous avons créé une communauté, une ambiance de kermesse comme il en existait auparavant : les gens se rendaient sur le champ de foire pour se rencontrer. Nous avons combiné tout cela avec de la bière de qualité et un système de payement sans argent. Sans oublier les WC, beaucoup de WC.

 » Gand est un peu notre enfant  »

Revenons-en au rôle que vous avez joué dans la conquête du titre. Vous dites que, grâce au stade, certains joueurs viennent à Gand plutôt qu’ailleurs et que d’autres se surpassent ?

(imperturbable) Les gens viennent parce que nous avons amené de la vie ici. Jouer dans un stade comble, c’est important. Je ne vois pas comment on peut passer de 10.000 à 15.000 spectateurs en n’attirant que des hommes. C’est toute la famille qui doit venir. Ce stade est le meilleur lieu de rencontre qui soit. Et le problème de la mobilité est résolu puisque, comme il y a suffisamment de possibilités de restauration, les gens arrivent trois heures avant le match. De plus, comme ils se sentent bien, ils restent plus longtemps après le coup de sifflet final. Vous avez déjà vu une file pour arriver ici ? Mais si vous enlevez le catering et l’accueil ; il y en aura. En fait, nous aurions voulu davantage de restaurants encore, afin d’offrir plus de variété. Il n’y en a qu’un.

Pourquoi ne battez-vous pas le fer tant qu’il est chaud et n’agrandissez-vous pas immédiatement le stade de 4.000 places ?

Techniquement, c’est réalisable mais ce n’est pas nécessaire. Attendons un an et voyons ce qui se passe. L’équipe doit confirmer. On peut peut-être avoir deux à quatre mille spectateurs de plus mais pas davantage. Les Gantois sont très homogènes mais ils aiment le changement. Nous pouvons agrandir le stade de 5.000 places. Voire plus, si on enlève le toit et qu’on ajoute un étage. On pourrait peut-être aussi envisager de diffuser le match sur un écran géant à l’extérieur du stade pour les gens qui n’ont pas trouvé de place à l’intérieur. A un prix inférieur, bien entendu.

Vous ambitionnez une place au sein de la direction du club ?

Non car je n’aime pas les réunions. Gand est un peu notre enfant, nos bureaux sont d’ailleurs installés au stade. Mais nous sommes des concepteurs. Une grande firme internationale. Cela, peu de gens le savent.

L’an dernier, pourtant, vous étiez prêt à financer l’arrivée à Gand de l’attaquant polonais Waldemar Sobota, qui était sur une voie de garage à Bruges.

Je suis très fort en Pologne. On m’a présenté le père de Sobotaet il voyait bien son fils à Gand (il rit). Je n’y connais pas grand-chose en football. Rien, même. Je ne le ferai donc pas. Je n’en ai ni l’ambition, ni le feeling. Le football, pour moi, est synonyme de détente. J’aime l’ambiance qui règne ici. Les Gantois sont des fêtards. Et il n’y a pas de violence.

Tout cela aurait-il été possible sans le soutien des autorités ?

Les autorités ne sont pas intervenues. La ville nous a concédé les terrains par le biais d’un bail emphytéotique. C’est elle qui est gagnante. La ville a acheté le terrain et les espaces y attenant. Par la suite, TMVW (une intercommunale qui gère l’eau potable et s’appelle désormais Farys, ndlr) a acquis des locaux susceptibles d’être loués. A un prix plancher. Elle a investi parce qu’il fallait des loges et des bureaux supplémentaires. Elle a loué une partie au club et le reste à des sociétés extérieures. Ce n’est pas du soutien des autorités, ça, c’est juste un bon investissement : dans deux ans, ils pourront vendre en réalisant une plus-value de vingt pour cent. Je me demande d’ailleurs si je ne vais pas le leur racheter.

 » Le stade n’est pas un centre commercial  »

Des gens très au fait du dossier nous ont dit que 70 % de la Ghelamco Arena avaient été financés par des deniers publics.

Il n’y a pas de deniers publics ici. Nous avons financé la construction jusqu’à ce qu’elle soit terminée. Et nous avons payé cash car les banques ne croyaient pas en nous. Personne d’autre n’a mis un euro. Une fois les travaux terminés, la ville a acheté la partie qui lui revenait. Le reste nous appartient. Nous savions que nous y arriverions. Si nous parvenions à créer une communauté, c’était une affaire en or. Mais il fallait que la façade soit transparente et attractive. Il fallait aussi surtout que le stade soit accueillant. Sans mobilité, sans infrastructures d’accueil et sans catering, nous pouvions l’oublier.

Vous avez tout de même eu besoin des autorités pour les voies d’accès.

Nous devons discuter avec elles de la mobilité en dehors de la propriété. Tout ce qui doit être fait sur nos terrains est à notre charge. C’est pourquoi je veux des bureaux, pas du commerce de détail ! Nous ne voulons pas faire du stade un centre commercial. Jamais. Car ce n’est pas complémentaire avec le football. Pour nous, les stades sont des produits d’investissement. Je n’ai donc aucune envie de collaborer avec les autorités : si j’obtiens un seul euro de subside, je ne peux pas vendre.

Pourquoi le dossier de l’Eurostadium à Bruxelles est-il plus difficile ?

Il n’est pas difficile mais sensible, en ce sens que de nombreuses parties sont concernées et qu’il implique plusieurs personnalités, dont des politiciens. Il faut donc informer tout le monde. En matière de mobilité, nous avons eu une idée phénoménale. Nous avons placé le chemin d’accès au parking au milieu et en sous-sol. Il servira donc également d’accès au centre-ville. Et tout, dans ce projet, est financé par nos soins. Cela va faire faire des économies incroyables à la population. Des dizaines de millions. Comme la prolongation du tunnel passera sous la Chaussée Romaine, il ne faudra plus construire de routes en surface. C’est phénoménal. C’est ce point qui nous a permis de convaincre tous les comités d’action. On sortira du ring sur deux étages et sur quatre bandes à partir d’Anvers et de Gand, sans que ces deux voies ne se croisent. Tout se passera en sous-sol, il n’y aura aucun problème de circulation car, grâce au catering, les gens viendront trois heures à l’avance. Et pareil pour repartir. Ce qu’on a vu lors de la finale de la Coupe de Belgique n’arrivera plus.

Pourquoi fallait-il 62.500 places ?

Nous avons ramené la capacité à 60.000 places car cela suffit pour l’UEFA et nous avons redéfini certains espaces. Cinquante mille places suffisent sans doute à accueillir de grands événements comme un match d’ouverture de championnat d’Europe ou une finale de Coupe d’Europe. Mais si le stade devait s’avérer trop petit, on l’aurait construit pour rien.

Cela n’a-t-il pas rendu les négociations avec Anderlecht plus compliquées ? Le Sporting se satisfait de 45.000 places et il ne veut pas payer une location pour 15.000 places dont il n’a pas besoin.

Nous n’avons pas beaucoup discuté, vous savez. Le dossier était énorme mais nous sommes des concepteurs et nous sommes habitués à cela. Nous pouvons vous dessiner un bâtiment en cinq minutes, avec ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. C’est notre knowhow. Le problème d’Anderlecht sera résolu grâce à un éclairage LED ou à d’autres systèmes placés dans la tribune supérieure et qui créeront un rideau lumineux permettant de projeter davantage de publicité.

 » Le catering, c’est la base de tout  »

Il y avait trois candidats constructeurs : vous, Denys et Besix. Et vous étiez le plus cher.

Encore fallait-il voir ce que les autres proposaient : les structures d’accueil étaient-elles comprises ?

Qu’avez-vous convenu à ce sujet avec Anderlecht ?

Je ne m’exprimerai jamais à ce sujet. Si Monsieur VandenStock veut le faire, il peut. Nous avons pratiqué les prix du marché. Je suis content et lui aussi. Pourquoi ? Parce que nous sommes professionnels et que nous offrons un rendement élevé tandis qu’il va bénéficier d’un produit qui n’existait pas. Je suis sûr que, dans peu de temps, le stade sera comble. Grâce à l’accueil. Les autres en pensent ce qu’ils veulent.

Vous avez acquis trois maisons à côté du parking C. Les mauvaises langues affirment que vous saviez que vous enlèveriez le marché et que, si cela n’avait pas été le cas, vous auriez introduit un recours au Conseil d’Etat avec les riverains mécontents.

Nous avons acheté bien plus de trois maisons dans le quartier. C’est une leçon que j’ai tirée de la construction d’IKEA en Europe de l’Est. Quand on l’a construit, des édifices ont poussé tout autour. Pour moi, il était trop tard. J’ai compris plus tard qu’Ikea avait tout acheté en même temps. C’est ça, être concepteur. Si nous construisons le stade et qu’il amène du monde, la valeur de tout ce qui l’entoure va doubler. Si nous sommes les premiers sur l’affaire, les autres ne pourront plus acheter et il y aura, du même coup, moins d’entraves.

Vous continuez à parler de stade national. Pourquoi ?

Anderlecht y jouera un rôle important mais partiel. Pour nous, les possibilités de recette en matière d’accueil les jours où il n’y aura pas de matches sont incroyables. Les gens n’imaginent pas. Le catering, c’est la base de tout. Imaginez : on peut servir des repas à 10.000 VIP. Grâce à cela et au parking, un ticket qui coûte normalement 70 euros vaudra 250 euros. Et le catering ne coûte que 30 euros. Nous allons donc gagner 150 euros. Fois 10.000 = 1,5 million d’euros ! Et c’est dans la poche car, en matière, d’accueil, le stade Roi Baudouin n’offre aucune possibilité. En cinq matches, cela fera dix millions d’euros de différence. C’est pourquoi il est très important que l’équipe nationale joue là-bas.

Tout le monde pense que, sans Anderlecht, ce stade n’est pas rentable.

Je n’en sais rien. C’est un projet qui offre énormément de possibilités. Mais c’est bien qu’Anderlecht en fasse partie. Et c’est normal car le Pajottenland commence après le Parking C et c’est de là que viennent la plupart des supporters du Sporting. De là à dire qu’Anderlecht a reçu le cadeau de sa vie, non. C’est juste la chance de sa vie. J’espère une chose : que dans cinq ans, il y ait cinq nouveaux stades en Belgique et que cela nous permette de conserver nos jeunes. Je veux apporter ma pierre à l’édifice. On me téléphone beaucoup et nous allons encore construire un ou deux stades en Belgique. Mais pour le moment, je me concentre sur celui de Bruxelles ainsi que sur ceux de Varsovie et de Londres, que nous allons construire également.

Vos fils, Michaël et Simon, ont-ils de l’ambition en football ? Michaël est un fervent supporter d’Anderlecht.

A l’âge de quatre ans, déjà, il avait une écharpe du Sporting. Ça met de l’ambiance à la maison et au sein de l’entreprise. Mais ces gars-là n’ont pas le temps de diriger un club, ils bossent jour et nuit. Donner un conseil par-ci, par-là, ça ne me dérange pas mais je ne veux pas qu’ils investissent dans le football. Le football est une question d’émotion et ses dirigeants doivent s’y connaître en la matière. C’est aussi pour cela que Gand a réussi.

PAR JAN HAUSPIE ET FRÉDÉRIC VANHEULE – PHOTOS : BELGAIMAGE / KETELS

 » Pour le moment, je me concentre sur le stade de Bruxelles ainsi que sur ceux de Varsovie et de Londres.  »

 » Les stades sont des produits d’investissement. Je n’ai donc aucune envie de collaborer avec les autorités.  »

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