« Anderlecht a des regrets… »

Le Belge du Mans racle le fond du classement de la Ligue 1 mais le sourire reste : retour honnête sur ses expériences.

Jouer au foot au Mans, c’est un peu comme disputer une course de karting à Wembley ou participer à un tournoi de pétanque dans les allées de Roland-Garros. Une activité atypique dans un univers qui ne s’y prête pas. La Sarthe, c’est le pays des rillettes mais surtout des 24 Heures du Mans. Ici, tout rappelle qu’on est dans la plaine de jeux des plus grands cracks mondiaux de l’endurance automobile. Entre le centre-ville et le complexe d’entraînement situé à une dizaine de kilomètres plus loin, on emprunte un morceau de la légendaire ligne droite des Hunaudières. On découvre aussi le Technoparc des 24 Heures, l’Auberge des Hunaudières, la Piste de Karting Alain Prost, le Golf des 24 Heures, etc. Même notre taximan s’y met :  » Vous êtes au pays du sport auto et du basket, pas du foot. Il souffre, notre MUC – NDLA : Le Mans Union Club. On est occupé à lui construire un tout nouveau stade dans l’enceinte du circuit, juste à côté de la salle de basket. La concurrence est inégale. Les sponsors locaux et régionaux choisissent leur camp et le foot est rarement ce qui les intéresse le plus. L’idée qui perturbe tout le monde c’est que l’inauguration du nouveau stade se fasse en Ligue 2 l’été prochain !  »

Le MUC 72 (numéro du département, la Sarthe) souffre peut-être mais paie sûrement son homme. Il suffit de voir les gros bolides français et allemands qui garnissent le parking de la Pincenardière, le centre d’entraînement aux mensurations Ligue 1, c’est-à-dire moderne, parfaitement équipé et planté en pleine verdure. Le Belge est là : Roland Lamah, 22 ans fin décembre, Diable Rouge depuis quelques semaines. Pour une interview claire et nette !

La grippe A tracasse tous les footballeurs de Ligue 1 ?

Roland Lamah : Alors là, pas du tout. (Il rigole). Qu’est-ce qu’on fait comme foin autour de cette grippe ! Tout ça parce que des joueurs du PSG ont été frappés. Il y avait déjà d’autres pros avant eux qui en souffraient mais il a suffi que ça monte jusqu’à Paris pour qu’on annule carrément un match. Un choc, en plus. Imagine : le match à Marseille que tout la France attendait.

On parle de suspendre le championnat si l’épidémie progresse…

S’ils font ça, je ne sais pas où ils vont caser les matches remis. Le calendrier est déjà méchamment encombré. Mais on n’en arrivera pas là. Chacun prend des précautions de base, nous n’arrêtons plus de nous laver les mains par exemple. Je ne nous imagine pas encore avec un masque.

 » Tout le monde se pose des questions sur cette saison « 

Ton équipe tire la langue en championnat.

Oui, le début de saison n’a pas été super. Mais l’ambition est limitée : le MUC vise simplement le maintien. C’est difficile de regarder plus haut quand il y a un nouveau coach (Paulo Duarte) et quand on a perdu deux joueurs hyper importants : Gervinho est parti à Lille et il y a surtout eu le départ de Mathieu Coutadeur à Monaco. C’était notre maître à jouer, il dictait le rythme, faisait jouer toute l’équipe, tirait les corners, les coups francs,… Il est parti le dernier jour du mercato et la direction n’a plus eu le temps de se retourner.

La saison passée, vous vous êtes sauvés lors du tout dernier match : vous risquez encore de vivre le même stress !

C’est évident. Ici, tout le monde se pose des questions sur cette saison. Il faudra se défoncer chaque semaine, encore plus contre les équipes de notre standing. Nous savons que ce n’est pas gagné. La pression est là. La construction du nouveau stade ne fait que l’augmenter encore un peu plus. Les hauts cadres du club ne veulent pas avoir une équipe de deuxième division sur la pelouse pour une inauguration en grande pompe devant 25.000 personnes. Pour eux, ce serait une honte que le MUC ne soit pas en Ligue 1 à ce moment-là.

Montpellier est dans le peloton de tête sans être un grand du foot français : qu’est-ce que ce club a de plus que Le Mans ?

Notre problème, ce n’est pas seulement un nouvel entraîneur et des joueurs partis : nous continuons sans doute à traîner aussi les traces de la saison dernière. Trois coaches ont défilé, chacun avait sa vision, il fallait chaque fois se faire à de nouvelles idées : ça te marque un joueur. Le début de calendrier ne nous a pas aidés non plus. Lors des cinq premières journées, nous avons affronté le Paris-SG, Lyon et Marseille. Bonjour le programme ! Pour réussir un bon départ et prendre confiance, il y avait mieux.

Tu sens une grosse rivalité entre Le Mans et les clubs du même coin, comme Rennes et Lorient ?

Pas du tout. C’est très calme, ici. C’est bien pire ces derniers temps en Belgique ! Chez nous, les supporters ne bronchent pas, la presse est relax : il n’y a pas de haine.

Cela ne fait peut-être que confirmer que Le Mans n’est pas une ville de foot ?

Euh… C’est clair que par rapport au sport auto…

 » Ne me demande pas pourquoi les Français sont aussi frileux « 

Tu n’as marqué que trois buts la saison dernière, tu n’es pas mieux parti dans ce championnat : pour un attaquant, ce n’est rien du tout !

Tout à fait d’accord. Mais il ne m’a pas fallu tout ce temps-là pour comprendre qu’en France, les obstacles pour un attaquant sont bien plus nombreux et difficiles qu’aux Pays-Bas. Tout le championnat hollandais est plus offensif et j’avais aussi un rôle moins défensif à Roda. En venant en France, je suis passé du blanc au noir. J’ai deux objectifs personnels cette saison : jouer beaucoup de matches et marquer plus que l’an dernier. Mais je sais que je n’arriverai pas à 11 buts comme je l’ai fait avec Roda. Et je ne peux pas non plus tout mettre sur le dos de la Ligue 1. L’effort doit aussi venir de mon côté. Il faut que j’arrive à tirer plus souvent au but. C’est un déclic qui doit encore se faire, c’est dans la tête autant que dans les jambes. Bien souvent, quand je m’approche du but avec le ballon, je regarde s’il y a un coéquipier bien placé avant de fixer le cadre : c’est une réaction naturelle.

La France, ce n’est pas ennuyeux pour un attaquant ?

C’est clair qu’on ne s’amuse pas chaque week-end. Ne me demande pas pourquoi les Français sont comme ça. Le foot moderne, c’est quand même produire du spectacle, pas viser des 0-0 ou se replier en bloc dès qu’on a marqué… Pour moi, ce n’est pas du football ça. Avec Le Mans, nous essayons de faire des beaux trucs mais nous perdons : alors, nous allons probablement faire comme les autres.

Les autres grandes différences entre les Pays-Bas et la France ?

C’est beaucoup plus chauvin ici : un Français reste un Français, hein ! Il veut prouver que le meilleur, c’est lui. Il fait tout à 300 % pour qu’on le remarque. Mais ce n’est pas désagréable. Il y a aussi l’enthousiasme du public, qui est plus fort qu’en Hollande. Et au niveau du salaire aussi, j’ai fait un pas en avant.

Si tu faisais toute ta carrière en France, tu n’auras pas un goût de trop peu ?

Pfft… C’est déjà beau. Je me dirais que c’était mon destin et je ne serais pas déçu. Mais bon, je vise quand même un plus grand pays de foot. Quand j’étais gosse, mon objectif ultime était la Ligue 1. C’était la compétition qui me faisait rêver parce que c’était celle que tout le monde suivait en Côte-d’Ivoire. J’étais fou de Marseille, du PSG, de Jay-Jay Okocha, d’Abedi Pelé,… Mais entre-temps, j’ai encore pris de l’appétit.

Ex-Ivoirien, tu ne flashais pas sur les Ivoiriens de la Ligue 1 ?

Il n’y en avait pas beaucoup. Il a fallu attendre Didier Drogba.

 » Anderlecht a agi dans l’urgence « 

L’été dernier, Mönchengladbach aussi te voulait absolument : c’était quand même plus sexy que Le Mans, non ?

J’ai visité les installations de Mönchengladbach : un truc de fou. Mais les négociations traînaient alors que Le Mans faisait un forcing d’enfer. Je n’ai plus voulu attendre et j’ai signé ici. Je n’ai pas de regrets. Depuis un an, on me montre qu’on compte beaucoup sur moi. J’ai été désigné troisième capitaine : à mes yeux, c’est plus qu’un rôle symbolique, ça prouve qu’on me voit comme un joueur important. Je suis très fier aussi qu’on me considère comme la troisième trouvaille ivoirienne du club sur le marché belge après Romaric et Gervinho. Il y a longtemps que Le Mans craque pour les Ivoiriens : il y a aussi eu Drogba, Dagui Bakari et Jean-Jacques Domoraud. La référence, ça reste évidemment Drogba : il continue à faire la fierté du club, même s’il a beaucoup souffert ici. Il a eu pas mal de blessures et on disait qu’il sortait beaucoup. Il était toujours célibataire…

Comment ce club s’est-il retrouvé sur ta trace alors que tu jouais aux Pays-Bas ?

Non, ils ont commencé à me visionner avant mon départ à Roda. Alain Pascalou, le directeur technique qu’on appelle ici le papa des Africains, est venu me voir pour la première fois en 2007. C’était lors d’un match amical des Espoirs contre les Pays-Bas. Des Africains, il en a vu passer un paquet, et il a estimé que j’en valais la peine.

Avec le recul, tu te dis qu’Anderlecht a fait une grosse erreur en laissant partir un futur titulaire de la Ligue 1 ou une bonne affaire en encaissant 3,5 millions pour un joueur qui avait seulement fait une bonne saison aux Pays-Bas ?

Une erreur, je pense. Si le Sporting a touché trois millions et demi il y a un an, il aurait peut-être pu en prendre 10 ou 15 dans le futur. Mais le club était pressé et il a agi dans l’urgence. Il venait de se faire éliminer de la Ligue des Champions par BATE Borisov et il a cherché à remplir dare-dare ses caisses. Il m’a vendu, il a aussi fait partir Cheik Tioté à Twente pour deux millions et demi. Tant pis pour eux… Mais de toute façon, je ne voulais pas rester. J’avais vécu trop de mauvaises expériences à Anderlecht. Comme quand Vercauteren m’avait fait revenir d’un tournoi de jeunes très prestigieux en Italie. Je cassais la baraque mais il m’avait rappelé en urgence parce qu’il y avait des blessés en Première. Le voyage : Pise-Francfort-Bruxelles. Je ne me suis même pas échauffé et j’ai raté la demi-finale du tournoi contre l’AS Rome. Quand Bart Goor était blessé, il n’y avait plus de joueur pour le flanc gauche mais je ne recevais toujours pas ma chance. Quand Ariel Jacobs m’a parlé à mon retour de Roda, j’ai cru entendre le discours de Vercauteren. Lui aussi, il croyait en moi. Mais lui non plus, il ne me faisait pas jouer. Il était devenu hors de question que je reste. Je sais qu’Anderlecht a des regrets aujourd’hui : ça se voit comme le nez au milieu du visage. Ils n’ont toujours pas de pur flanc gauche. Mbark Boussoufa y joue mais c’est contre-nature. Je pense que j’aurais pu les dépanner, quand même !

Je ne veux pas me vanter mais j’ai assez de qualités pour une équipe du top en Belgique. Et quand Anderlecht zappe un jeune comme moi pour donner la priorité à un ancien comme Goor, j’ai du mal à comprendre. En signant au Mans, je me suis mis un objectif précis : prouver à la direction du Sporting qu’elle s’était trompée sur mon compte. J’estime que j’ai déjà fait 50 % du chemin.

Vadis Odjidja est le nouveau patron du Club Bruges, Dieumerci Mbokani est une star du Standard, tu as ta place en Ligue 1 : aucun de vous trois n’avait la confiance de Vercauteren. C’est le fossoyeur d’Anderlecht.

Moi, je ne dis pas ça. Des gens de l’extérieur s’en chargent. Et je les suis un peu dans leur raisonnement… Le Standard a lancé combien de gamins qui ont éclaté pendant que le Sporting avait peur d’aligner les siens ?

« Je ne dis pas que Vercauteren est le fossoyeur d’Anderlecht. D’autres s’en chargent. Et je les suis… »

« Un Français reste un Français. Il veut prouver que le meilleur, c’est lui. »

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