Améliorer l’insuffisant

Pierre Bilic

L’attaque des Zèbres est muette: son nouveau puncheur lui rendra-t-il la parole?

Darko Pivaljevic (26 ans) a signé au profit des Zèbres jusqu’à la fin de la saison. La terrible défaite encaissée samedi passé face à la puissante armada gantoise n’a pas entamé ses certitudes: « Il y a de très bons joueurs dans mon nouveau club ».

N’empêche, le bilan de ces dernières semaines est rachitique. Présent à Alost et contre Gand, le nouveau renfort offensif des Carolos doit encore trouver ses marques et les chemins qui mènent aux filets adverses. Les artilleurs de Charleroi n’ont que de la poudre mouillée. Le regard émacié, Darko Pivaljevic a beaucoup mûri lors de son année et demi passée en Bundesliga.

« Le plus facile serait de cracher dans la soupe mais ce ne serait pas correct », dit-il. « Même si je n’ai pas répondu à l’attente de Cologne, et à mes ambitions, ce club a sans cesse été correct. J’ai toujours été payé à heure et à temps. Je n’ai pas à me plaindre de l’aventure humaine vécue en Allemagne même si, sportivement, je m’attendais évidemment à autre chose. J’ai fait le point dans ma tête. Je n’ai pas échoué à Cologne. Je n’ai pas assez joué: c’est autre chose. On ne m’a pas fait suffisammant confiance et j’étais en attente de temps de jeu. J’ai réfléchi à tout cela. Finalement, j’en reviens plus fort dans mes certitudes. J’ai changé en Allemagne. J’ai mûri, j’y suis devenu plus pro, concerné à fond par tous les aspects de mon métier. Après ce que j’ai vécu, plus rien ne m’ébranlera. Je n’ai donc pas perdu mon temps même si ce ne fut pas agréable. Un moment difficile peut être plus utile que le succès. A condition de réfléchir sur ce qui est arrivé. Avant, je me rongeais comme un fou pour un petit souci, une mauvaise décision de l’arbitre, etc. Je me suis rendu compte que ça ne servait à rien si ce n’est à perdre de l’influx. En Allemagne, on ne peut pas se permettre d’égarer ses forces. J’ai réfléchi et je suis certain d’être plus fort qu’avant. Je dispose de plus d’armes que du temps où je jouais à l’Antwerp. Mais c’est d’abord sur le terrain que je le prouverai. J’ai 26 ans, le temps passe vite et je n’ai pas du tout envie que ma carrière se résume à une belle saison en D1 à l’Antwerp ».

Quatre opérations en un an

A cette époque-là, sous la gouverne de Georg Kessler, il frappe douze fois en D1 (97-98). Le Club Brugeois entend l’engager mais le président anversois exige un peu plus de cinquante millions de francs belges. Le club de la Venise du Nord recule tandis que l’Antwerp chute en D2. Le puncheur yougoslave reste à l’ombre du géant Brabo, domine les débats de la tête et des épaules mais quatre opérations en un an finissent par lui jouer de vilains tours. Elles peuvent expliquer en partie ses soucis à la sauce allemande. Son bras gauche cède lors d’une mauvaise chute en D2. L’homme en noir croit qu’il y a simulation: carte jaune. Le joueur est évacué et rapidement opéré. Le chirurgien barde son bras d’une plaque et d’une collection de vis.

Pivalejevic revient vite mais un autre accident, à l’entraînement cette fois, entraîne une nouvelle intervention chirugicale au même bras. Puis, il devra repasser sur le billard pour un problème tendineux au même endroit sans oublier une fracture du nez. Quatre opérations en un an, quatre anesthésies complètes, quatre retours précipités afin que l’Antwerp remonte en D1, c’est énorme. A la fin de la saison, Deurne retrouve sa place parmi l’élite et il a marqué 37 buts en deux ans d’antichambre. Cologne s’intéresse à lui durant l’été 2000. Les tractations s’éternisent.

Pivaljevic rentre en Yougoslavie et prend un peu de repos sur les plages du Montenegro. Il grossit de trois ou quatre kilos. Cologne trouve finalement un accord avec l’Antwerp et engagé « Pivo »: c’est le deuxième transfert le plus cher de l’histoire du club rhénan après celui d’ Henrik Andersen. Cologne monte en D1 et Darko ne devine pas ce qui l’attend en Allemagne. Il se repose après cette année marquée par ses séjours sur le billard. Le staff médical de Cologne ne lui remet pas de programme physique à suivre lors de ses vacances. Il galope un peu, sans plus.

« Là, j’ai commis une très grosse erreur et c’est pour cela que je dois assumer aussi une partie de mon échec allemand », raconte Pivaljevic. « Les Allemands ne se reposent pas beaucoup durant les congés. Ils préparent le championnat à venir. Je suppose qu’on a demandé aux joueurs de Cologne de mettre les bouchées doubles pour leur retour en Bundesliga. Quand je suis arrivé à Cologne, j’étais enrobé alors que mes équipiers mettaient le paquet. Ils étaient prêts pour la Bundesliga avant même que ne débute le premier entraînement. J’étais loin du compte et j’ai mis beaucoup de temps pour résorber ce retard. En Belgique, je l’aurais fait via la préparation car les équipes évoluent un peu plus lentement vers un bon rythme de croisière ».

Contacté par le Lierse

Une saison passe très vite. La presse allemande le critiqua et les caps tactiques de l’entraîneur, Edward Lienen, ne semblaient pas du tout lui convenir. « L’entraîneur était obsédé par la récupération de la balle », dit-il. « Quand je jouais, je ne vivais plus dans le rôle d’un attaquant. Je me sentais bien plus milieu défensif et je devais chasser le porteur du ballon jusque devant notre rectangle. On ne m’avait pas acheté pour cela. Quand je me pointais à la conclusion, je manquais de dash. La moindre perte de balle était sanctionnée: le coupable ne jouait pas huit jours plus tard. Ma première saison allemande se termina dans la banalité pour les chiffres mais, moralement et physiquement, j’avais repris le dessus. J’avais plus de problèmes avec le gestion de groupe du coach de Cologne. Lienen me félicitait en semaine mais je jouais peu alors que j’avais besoin d’une série de matches. Je ne comprenais pas très bien son double langage. Il lui arrivait de me citer en exemple mais cela n’allait pas plus loin. Je ne pouvais plus croire en lui.

Pour moi, c’était très incohérent et cela manquait de franchise. J’aurais préféré qu’on me dise ce qui clochait à partir du moment où j’avais retrouvé une bonne condition physique. Je n’ai jamais eu droit au moindre éclairicissement à ce propos. Il y a quelques mois, le Lierse m’a contacté. A mon grand étonnement, Lienen préférait que je reste et Cologne fut trop exigeant. Regi Van Acker m’avait entraîné durant deux saisons à l’Antwerp. Il estimait que je pouvais relancer toute la division offensive au Lierse. Plus tard, il y eut cette offre des Zèbres. Lienen me demanda une fois de plus de bien réfléchir. A son avis, j’étais prêt pour la Bundesliga. Je n’en pouvais plus de ronger mon frein sur le banc des réservistes ».

Le chiffre de six millions a circulé en ce qui concerne son salaire. Darko Pivaljevic dément cette information: « Je suis venu à Charleroi pour aider le groupe et me relancer. Le reste suivra et je ne sais pas ce qui se passera en fin de saison. J’ai faim de foot. En été, il me restera un an de contrat à Cologne. Je n’y retournerai pas si Lienen reste en place. Je dois jouer, me montrer, marquer des buts comme du temps de l’Antwerp ».

Alors que les Carolos broient du noir, Darko positivise. Sérieux contraste par rapport aux réalités du classement où les Carolos d’ Enzo Scifo s’enfoncent. Quand se redresseront-ils? Pour lui, un des facteurs les plus importants de la réussite d’un joueur réside dans la qualité de son mental: « A l’Etoile Rouge de Belgrade, j’ai connu des jeunes dix fois plus doués que moi: ils ne jouent plus au football. La tête, c’est au moins 30% de la réussite du sportif. Si elle ne suit pas, le talent ne suffit pas. J’ai 26 ans et je veux vivre une belle carrière. On m’a dit que Neba Malbasa est le dernier grand buteur étranger de ce club. Dante Brogno m’en a parlé et c’est un exemple à suivre. Il a laissé une trace et c’est que je veux réussir aussi. A l’Antwerp, je transformais trois occasions de but sur quatre. J’étais libéré, il ne pouvait rien se produire de négatif: c’était but. Cela vous donne un avantage par rapport aux défenseurs. Ils savent que la moindre attaque peut être très dangereuse. J’étais en confiance à Deurne où Kessler et Van Acker savaient exploiter mon potentiel. A Cologne, j’étais écrasé par le stress, la peur de mal faire. L’incertitude me minait intérieurement. Tous les attaquants de Cologne se plaignaient de ce problème. Finalement, je n’ai joué que huit matches en un an et demi en Allemagne. Je n’ai marqué qu’un seul but. J’y suis devenu un sprinter et un marathonien. Sur ce plan-là, je n’aurai pas de problème à Charleroi. J’ai un physique en béton: je peux enchaîner trois matches sans me reposer. Il s’agira simplement de bien calibrer mon jeu, de trouver mes sensations et mes automatismes. Et mes joies de buteur. Je regarde, je me situe et on retrouvera vite le Darko de l’Antwerp: maintenant ou au plus tard dès la reprise. Et le Sporting s’en sortira ».

Etudier le français

Darko Pivaljevic loge encore à l’hôtel et cherche un appartement qui ne soit pas situé trop loin du stade: « Je ne pourrais pas passer plusieurs heures par jour dans ma voiture pour me rendre à l’entraînement. C’est une habitude bien belge mais cela n’existe pas à l’étranger. Le joueur s’énerve et perd de l’influx dans les embouteillages. J’ai été superbement accueilli dans ce club. Mon manager, Ranko Stojic, connaît bien les Zèbres et m’avait parlé de leur passion pour le football. Charleroi n’avait pas, en tant que cité, une image de marque positive quand je jouais à l’Antwerp. Or, j’ai découvert une ville agréable. Le club dispose d’un magnifgique stade. Je vais me mettre au plus vite à l’étude du français. Cela facilitera forcément mes échanges avec le groupe. Même si la situation n’est pas brillante pour le moment, j’ai constaté qu’il y a du talent dans ce groupe. Nous avons dix jours pour préparer le prochain match au GBA. Ce que nous avons montré contre Gand était insuffisant ».

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Pierre Bilic

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