© BELGAIMAGE

Ambitions à l’horizon

Lancé à la poursuite des géants du pays, Charleroi a élaboré un plan pour se rapprocher des locomotives nationales. Plongée dans le cambouis des grands travaux carolos.

L’accouchement a connu quelques complications. Au point de devoir changer le nom du nouveau-né, initialement baptisé  » Horizon 2023  » par un Mehdi Bayat qui aimait parler de ce plan en cours de rédaction, créateur parfait d’un teasing lancinant autour du nouveau virage pris par  » son  » Sporting.

L’horizon pointe finalement jusqu’en 2024, et le projet a connu son coup d’envoi officiel en milieu de semaine dernière, sept ans après la reprise du club par le neveu de l’ancien propriétaire et son associé, Fabien Debecq.

Absent lors de cette présentation aux airs solennels, presque macroniens par la façon dont son administrateur-délégué s’était installé seul et incontournable face à la caméra, le président des Zèbres a une fois de plus confirmé sa discrétion presque légendaire, dans l’ombre envahissante de l’incontournable homme fort du Pays Noir.

Le cadet des Bayat aime rappeler son sens de la planification, seriné à coups d’évocations de son désormais célèbre  » plan 3-6-9 « , faisant de Charleroi un pionnier en matière de planification à long terme exposée aux yeux de tous les intéressés.

C’est dans le prolongement de ce premier plan, si réussi qu’il a vite semblé éculé, que l’administrateur-délégué des Carolos a décidé de présenter son nouveau bébé, arrivé plus tard que prévu suite à des palabres prolongés avec la Ville quant au lieu d’édification du nouveau stade des Zèbres, l’une des pierres angulaires du projet.

Marchienne emporte le morceau

 » On est déjà en retard, et nos supporters ont montré des signes de mécontentement « , explique d’ailleurs le boss du foot carolo, évoquant sans les détailler les protestations multipliées dans les tribunes lors de la préparation et du dernier mercato, quand les Ultras du Sporting reprochaient à leur patron le manque de planification de ses actes.

 » Tu nous enfumes depuis des mois avec ton Horizon 2023, pour lequel tu aurais dû t’exprimer depuis déjà douze mois « , devait encaisser Mehdi Bayat au pied de la T4, au bout d’un match amical à l’ambiance chahutée contre Troyes. Face à la presse, venue en nombre pour découvrir les contours du futur zébré, l’administrateur-délégué reconnaît qu’il  » aurait pu en parler il y a six ou sept mois, mais le site du stade était encore indéterminé.  »

L’objectif initial du club était d’installer sa future enceinte à Gosselies, au carrefour des axes autoroutiers les plus fréquentés de la région. Une énième reprise de l’exemple gantois, généralement cité sur le boulevard Zoé Drion à l’heure d’évoquer un exemple de club qui a réussi le grand saut vers les sommets du championnat.

Tout comme la Ghelamco Arena s’apprivoise depuis la E40, la E17 ou le ring de Gand, le stade carolo aurait attiré les regards depuis la E42, la E420 et le R3. Une position stratégique que le club était sur le point de ficeler quand la Ville a proposé une alternative, offrant par la même occasion de se charger de l’aménagement des alentours du stade.

Le nouveau Mambour prendrait donc plutôt la direction de Marchienne, là où Paul Magnette, toujours bien impliqué dans son rôle de bâtisseur du nouveau Charleroi, compte sur le stade des Zèbres pour porter l’étendard d’un quartier défraîchi qu’il souhaite redynamiser.

Un stade ouvert au foot et aux concerts

Désireux d’entretenir les relations positives avec la Ville, dans une entente redevenue cordiale depuis que Mehdi Bayat a mis un coup de balai sur la politique de la terre brûlée pratiquée par son oncle, le club s’est montré à l’écoute et s’est penché plus en détail sur sa nouvelle enceinte, dont les coûts sont évalués à 60 millions d’euros.

Un prix de stade aux airs low-cost, quand on sait que la Ghelamco Arena a été facturée au-delà des 80 millions. Là aussi, le plan carolo semble réfléchi. Pas question de céder au sur-mesure livré par un géant de la construction, qui augmente indéniablement les prix en optant pour certains matériaux.

Le marbre et le carrelage laisseront leur place au béton lissé, et le Sporting compte bien sur ce choix de design épuré pour diminuer la note au maximum, en menant lui-même les recherches et les devis afin d’épargner le plus d’argent possible.

Étalé sur trente ans, le prêt devrait être remboursé sans difficulté grâce aux trois à quatre millions de bénéfices dégagés par an par le club,  » intégralement reversés dans notre système de fonctionnement « , justifie Mehdi Bayat.

Amené à accueillir une quarantaine d’événements – majoritairement des concerts – par an, face à un public qui pourrait atteindre les 30.000 têtes pour l’occasion (contre 20.000 en configuration  » match de football « ), le stade doit être l’un des générateurs de revenus majeurs du nouveau Charleroi.

Construction d’un nouveau centre d’entraînement

L’ascension financière est le nerf de la guerre zébrée, et le carrefour de tous les projets annoncés dans le plan Horizon 2024. Arrivé aux portes du G5, mais doublé par l’Antwerp et son mécène Paul Gheysens après avoir déjà connu une situation comparable face au KV Ostende de Marc Coucke, Charleroi doit faire gonfler son portefeuille pour tenter de se rapprocher des locomotives du championnat, qui frappent de plus en plus fort à chaque mercato et ne manquent pas une opportunité de faire grandir l’écart avec le reste de l’élite.

Nous voulons pouvoir intégrer un à deux jeunes joueurs par saison dans notre noyau pro.  » Mehdi Bayat

Déçu par l’apport numérique des tribunes, avec une affluence moyenne qui stagne aux alentours des 10.000 spectateurs et semble en recul depuis la folle saison qui avait mené les Zèbres sur le podium au bout de la phase classique, le club mise sur l’attrait de la nouveauté pour augmenter son audience potentielle.

 » Toutes les études montrent qu’un nouveau stade attire un nouveau public. Si le Sporting veut devenir un grand club, il doit avoir un nouveau stade « , argumente Mehdi Bayat, ajoutant évidemment que  » le club devra assurer au niveau des résultats sportifs.  »

Pour mettre toutes les chances de leur côté sur le terrain, les Zèbres lancent un autre chantier en parallèle, avec l’édification d’un centre d’entraînement. Pointé du doigt par les joueurs comme le gros point noir du quotidien carolo, avec ces trajets en car entre les vestiaires du stade et les terrains d’entraînement de Marcinelle qui prennent une énergie précieuse au fil de la saison, l’absence d’infrastructures dignes d’un club de D1 est l’un des handicaps que le club veut pallier.

L’heure des Zébrions

C’était notamment dans cette optique que Mehdi Bayat avait placé le nom de Hein Vanhaezebrouck tout en haut de la liste des candidats à la succession de Felice Mazzù l’été dernier. À Gand, le coach avait joué les architectes pour la construction du nouveau cocon du quotidien des Buffalos.

Un profil de bâtisseur que l’administrateur-délégué des Zèbres souhaitait attirer dans le Pays Noir, mais qui a poliment décliné l’offre, ne souhaitant pas travailler en Belgique. Tout en soulignant que  » le projet qu’ils ont en tête pour le futur proche et plus lointain est vraiment ambitieux. Ils ont une bonne vision de la manière dont ils veulent évoluer.  »

Privé de l’aide de Hein l’architecte, Mehdi Bayat a annoncé qu’il allait  » faire travailler le staff et les joueurs  » pour esquisser les contours du projet. Sage du vestiaire, impliqué dans le quotidien du club au point qu’on lui ait proposé le poste d’entraîneur des gardiens l’été dernier après la fin de la collaboration avec Michel Iannacone, l’expérimenté Nicolas Penneteau aura certainement son mot à dire, lui qui a souvent souligné l’importance d’un centre d’entraînement de qualité pour améliorer les résultats et, par conséquent, accélérer la croissance du club.

A terme, les Zèbres sont appelés à quitter leur Mambour fétiche.
A terme, les Zèbres sont appelés à quitter leur Mambour fétiche.© BELGAIMAGE

Invité à relever les points de travail du projet zébré voici deux ans, Penneteau avait également mentionné l’importance d’avoir un centre de formation performant :  » L’aspect financier, je pense que le club veut d’abord le développer à la base, avec l’école des jeunes. Parce que ce sont eux qui, à un moment, vont t’apporter un réservoir que tu pourras peut-être vendre après, et faire des plus-values.  »

La puissance de la concurrence

Si le nouveau centre d’entraînement, qui doit être sorti de terre d’ici deux ans, accueillera également les élites de la formation zébrée, d’autres investissements conséquents ont été consentis au sein de l’École des Jeunes, afin de faire éclore les Zébrions vers le noyau pro.  » Depuis 2012, nous avons investi énormément d’argent dans notre formation. Et on le fait parce que nous voulons pouvoir intégrer un à deux jeunes joueurs par saison dans notre noyau pro « , détaille l’homme fort du Sporting, alors que le directeur de l’École des Jeunes Alain Decuyper se trouve au fond de la salle. Quelques jours plus tard, l’homme est également aux côtés de Mehdi Bayat et de son père Nader dans les tribunes de Sclessin, comme un signal visuel de son importance croissante au sein du club.

L’absence d’infrastructures dignes d’un club de D1 est l’un des handicaps que le club veut également pallier.

Pas toujours sur la même longueur d’ondes que Felice Mazzù quant aux profils de joueurs à promouvoir, Decuyper a vu l’intérêt du staff professionnel pour les jeunes croître quand le club a attiré Samba Diawara, intégré en tant que T3 chez les pros tout en prenant la tête de l’équipe U21, porte-drapeau de la formation carolo. Si aucun Zébrion n’a encore été véritablement intégré dans l’équipe de Karim Belhocine, les entraînements du noyau pro accueillent désormais l’ailier Ken Nkuba, le milieu de terrain Malick Keita, ainsi que les gardiens Joachim Imbrechts ou Boris Ngoua, premiers signes de l’essor progressif de la formation zébrée, amenée à porter ses fruits dans les années à venir pour enfin offrir aux dirigeants carolos un retour sur leurs investissements.

L’objectif, à long terme, est qu’une qualification pour les play-offs 1 ne s’apparente plus à un exploit. Si toutes les pièces du puzzle s’emboîtent comme prévu, le seul obstacle à la croissance zébrée sera la puissance de la concurrence. Car si les marches pour passer de la lutte pour le maintien à celles pour le top 6 étaient plus nombreuses à gravir, le haut de l’escalier est rempli d’adversaires prêts à vous faire trébucher en un croche-pied.

L’horizon de Mehdi

Personnage principal de la présentation du futur des Zèbres, Mehdi Bayat semble avoir fait taire ceux qui murmurent, en coulisses, qu’il est désormais plus intéressé par son ascension personnelle à Bruxelles que par celle de son Sporting, et que la mise en vente du club ne serait plus qu’une question de temps. Pourtant, certains indices peuvent encore faire penser que ce quinquennat annoncé jusqu’en 2024 serait son dernier à la tête du projet carolo.

Longtemps refermé autour d’un petit groupe d’hommes de confiance, le comité d’administration des Zèbres va ainsi s’ouvrir vers l’extérieur, pour accueillir  » trois top chefs d’entreprises « , présentés comme un indispensable soutien de l’extérieur pour aider le club à grandir en apportant  » leur know-how et leur vision critique « , et qui seront probablement autant de successeurs potentiels dans quelques années.

Difficile d’imaginer Mehdi Bayat quitter le boulevard Zoé Drion sans avoir laissé une marque indélébile de son passage, lui qui veut  » vraiment marquer l’histoire de Charleroi « , comme nous l’avait confié Damien Marcq voici quelques mois. La quête du premier trophée du club, incarnée par cette poursuite presque obsessionnelle de la Coupe de Belgique, pourrait être un premier moyen de laisser une trace. Associée à l’érection d’un nouveau stade et d’un centre d’entraînement, elle pourrait bien couronner le scénario espéré d’un quinquennat idéal, au terme duquel l’homme fort des Zèbres pourrait, à 45 ans seulement, s’envoler l’esprit libre vers ses ambitions personnelles.

Alain Decuyper, directeur d'une Ecole des Jeunes qui prend de l'ampleur à Charleroi.
Alain Decuyper, directeur d’une Ecole des Jeunes qui prend de l’ampleur à Charleroi.© BELGAIMAGE

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire