Ambitieux mais pas aveugle!

Avant d’affronter Getafe chez lui, le coach anderlechtois n’élude (presque) aucun sujet.

Au moment où, contraint et forcé, Ariel Jacobs prit la relève de Frankie Vercauteren, voici cinq semaines, les avis à son propos étaient pour le moins mitigés : un technicien des plus compétents, certes, mais ô combien barbant. Pour ne pas dire rébarbatif. Une image qui ne colle pas tout à fait à la réalité. Car en comité restreint, ou dans l’intimité du vestiaire, le Diegemois se révèle plus souvent un personnage des plus attachants, et à l’humour décapant. Une preuve parmi d’autres, sa réponse à la question d’un journaliste de savoir combien de temps duraient, chez lui, les leçons de théorie : neuf minutes. Trois en néerlandais, trois en français et trois en anglais.

Votre entrée en matière avec la presse était réussie. Vous étiez paré à toute éventualité ?

Non, c’est sorti du tac-au-tac car je ne m’y attendais pas du tout. Je ne comprends pas, d’ailleurs, pourquoi certains se focalisent sur cet aspect. La théorie doit durer le temps qu’il faut, histoire que le groupe et ses composantes sachent à quoi s’en tenir. Rien de plus, rien de moins.

Vercauteren exagérait-il en la matière, comme beaucoup le soutiennent ?

Je n’avais pas vraiment cette impression. Il décortiquait l’adversaire pendant que les images défilaient en slow-motion. Personnellement, je les fais passer à allure réelle. C’est un peu plus rapide mais qu’est-ce qui est préférable ? Je n’en sais strictement rien. Je pense que le problème se situe plutôt à un autre échelon : pendant qu’on traduit vers l’anglais, on perd automatiquement le contact avec les néerlandophones et les francophones et vice-versa. Alors que, pour bien faire, tout le monde devrait être concerné au premier degré du début à la fin. Pour éviter cette dissipation, j’utilise l’anglais comme langue véhiculaire, tout en insistant sur certains points en néerlandais et en français.

Après votre limogeage à Lokeren, vous aviez affirmé que les coaches paient de plus en plus souvent les erreurs de gestion de leurs dirigeants. Cette phrase est-elle d’application pour Vercauteren aussi ?

Que voulez-vous que je vous dise (long silence) ? Je constate simplement que les clubs, lisez les dirigeants, se chargent toujours plus de la composition du noyau avec lequel l’entraîneur va devoir travailler. A juste titre, parce qu’il est normal qu’ils aient le mot de la fin en la matière. Mais cette manière d’agir peut parfois entraîner des difficultés pour un coach avant qu’il n’entre dans le vif du sujet. Dans le cas présent, je n’ai pas la moindre idée de la manière dont mon devancier a été sollicité ou entendu sur le plan de la politique des transferts.

Absence de qualité ?

En interne, il se plaignait, dit-on, d’un manque de qualité.

Je pense, effectivement, qu’il s’en est ému en haut lieu. D’après lui, ça coinçait devant. Depuis mon arrivée, c’est un refrain que j’ai entendu régulièrement, en tout cas. Je présume qu’il s’en est ouvert à d’autres.

Selon ses dires, le groupe n’était pas compétitif non plus à l’échelon européen ?

Je ne l’ai pas démenti non plus. Cerner parfaitement ses ambitions est souvent la clé du succès.

Ou sa pierre d’achoppement ?

C’est dû au fait que les dirigeants s’éveillent souvent à de trop hautes ambitions, voilà tout.

A Saint-Trond, le banc anderlechtois était composé de cinq footballeurs qui n’avaient pas encore une seule minute de compétition dans les jambes. Et dans le onze de base figuraient trois éléments – Cyril Théréau, Mbo Mpnza et Walter Baseggio pour ne pas les citer – qui ne font certainement pas partie des priorités. Etonnant, non ?

Le club compose avec une kyrielle de blessés. Vu les impératifs du calendrier, certains ont brûlé les étapes dans leur processus de revalidation et ont fait des rechutes ou ont été sujets à d’autres bobos. C’est le cas de Nicolas Frutos, de Serhat Akin ou encore de Mbo Mpenza. Face aux Canaris, il y aurait aisément eu moyen de former une équipe des plus compétitives sur base de tous ceux qui manquaient à l’appel ce soir-là.

Il en va dans la plupart de ces cas de blessures musculaires. Le mal est, dès lors, peut-être plus profond ?

Nous en avons déjà parlé souvent. Il en ressort que bon nombre de ces indisponibilités concernent des éléments qui sont actifs aussi en sélection nationale. Ce n’est toutefois pas le cas de Frutos ou de Mbark Boussoufa, il n’y a donc pas lieu de généraliser. Quand je regarde ce qui se passe ailleurs, je me fais la réflexion que nous ne sommes pas les seuls à payer un lourd tribut aux affections de toutes sortes. La défense de Tottenham, par exemple, a dû faire face à une avalanche de blessures, qui a nécessité chez elle un remodelage constant. L’équipe londonienne est cependant tellement riche en profondeur qu’elle trouve la parade à ces absences, aussi nombreuses soient-elles. D’autre part, quand Liverpool a des problèmes à la conclusion, son coach, Rafael Benitez, ne manque pas de solutions de rechange avec les Dirk Kuijt, Ryan Babel, Fernando Torres voire le longiligne Peter Crouch. Le groupe du RSCA est autrement plus limité.

N’empêche : le Sporting a-t-il oui ou non un problème au niveau de l’antenne médicale ?

Dans tous les clubs, l’aspect médical constitue toujours un aspect sensible. Ici comme ailleurs.

Au Staaienveld, vous ne disposiez pas d’un seul attaquant dans le dug-out. Où reste donc le jeune talent offensif du plus grand club du pays ?

( il réfléchit). Tout entraîneur qui se respecte aurait placé au moins un attaquant sur le banc anderlechtois chez les Canaris.

Ces attaquants n’étaient quand même pas blessés ?

Les deux doublures, chez les Espoirs, qui auraient pu entrer en ligne de compte, étaient blessées. Mais pour être titularisé à ce niveau, il faut avoir une certaine maturité. Ceci dit, faut-il vraiment attendre la blessure d’un autre pour qu’un joueur doué ait enfin sa chance ? Ou bien doit-il se profiler sur base de ses seules qualités ? C’est un sujet de discussion, pour l’heure, au Sporting. Vadis Odjidja Ofoe en est une illustration. J’ai eu récemment un long entretien avec lui, sans compter d’autres échanges verbaux très animés encore, aussi bien sur le terrain qu’en dehors des grounds. Il sait à quoi s’en tenir. Mais je ne lui ai rien promis. Je ne le fais pas non plus avec mes enfants ou mes petits enfants quand d’aventure ils sont sages. Je préfère ne pas faire de promesses mais récompenser quand on le mérite. Celui qui fait des promesses doit les respecter. Et ce n’est pas possible comme entraîneur.

Chez les jeunes, Vadis Odjidja Ofoe est actuellement la seule lueur dans la grisaille. Reste : un suivi médical entouré d’un énorme point d’interrogation, un scouting abominable et une politique des jeunes plus qu’approximative. On oublie encore quelque chose ?

( sec). Autre question.

Pseudo-vedettes ?

Vous n’avez jamais regretté de ne pas avoir rempilé à Mouscron ?

Oui et non. D’un côté, je m’étais fait progressivement à mon rôle d’adjoint au RSCA. Si, lors des négociations, j’avais su que je devrais reprendre les rênes de la Première après quatre mois, j’aurais réfléchi à deux fois.

Vous avez dit un jour que vous n’aviez jamais travaillé avec un aussi bon effectif que celui des Hurlus ?

Pourtant, il n’était pas logé à très bonne enseigne au moment où je l’ai repris. Comme quoi, les qualités footballistiques ne suffisent pas, il faut aussi un moral à toute épreuve. Je me souviens que lors de mon premier match, contre Beveren, l’équipe était menée 0-2 au repos. J’ai profité de la mi-temps pour troquer un défenseur contre un autre et, en deuxième période, nous avons scoré à quatre reprises. Du coup, la confiance est revenue et les joueurs sont repartis du bon pied. Il ne m’appartient pas de me prononcer sur le rôle que j’ai joué dans ce rétablissement, je laisse ça à d’autres. Avant le début de la saison, j’ai envoyé un sms au capitaine des Frontaliers, Steve Dugardein. Parce que j’étais intimement persuadé, et je le suis d’ailleurs toujours, que Mouscron pouvait être l’une des révélations de la présente campagne. C’est pourquoi j’ai quand même hésité au moment où Anderlecht m’a proposé le poste de T2. Mais dès l’instant où une décision est prise, je l’assume.

Vous avez entraîné jadis le RWDM, La Louvière, Mouscron et Lokeren. Autrement dit des clubs modestes. A cette époque, vous vous demandiez s’il n’était pas plus facile de diriger un ténor, en ce sens que la qualité y est davantage représentée. Quel est votre avis, à présent que vous travaillez au RSCA ?

Ma première expérience européenne, c’était avec La Louvière contre Benfica. David contre Goliath. Avant de défier Tottenham, qui n’occupait qu’une mièvre 16e place en Premier League, j’étais convaincu que mes joueurs pouvaient lui offrir une réplique valable, ce qu’ils ont fait d’ailleurs. C’est là toute la différence.

Les joueurs comprennent-ils ce que vous attendez d’eux ? On vous voit souvent gesticuler le long de la ligne de touche.

Quand vous restez impassible, les gens disent que vous dormez. Si vous vous levez à tire-larigot, ils soutiennent que vous êtes nerveux ou excité, ce que je ne suis nullement. Ma vision est simple : une équipe peut se passer d’un entraîneur mais pas l’inverse. A choisir, je préférerais toutefois rester assis.

Herman Van Holsbeeck s’est ému un jour en parlant de pseudo-vedettes à propos de certains au Sporting.

Je m’en suis servi également lors d’un laïus. Personnellement, je suis d’avis qu’un groupe doit applaudir des deux mains la présence d’une vedette en son sein. Une vraie vedette est effectivement celle qui confère un plus à l’ensemble tout en se fondant dans le collectif.

Hassan ?

Une vedette sait qu’elle a besoin de porteurs d’eau, sans quoi son rendement est insignifiant. Mais les porteurs d’eau ont souvent des difficultés à admettre que certains ont plus d’aptitudes qu’eux. Ils sont dès lors touchés dans leur ego. Tout le monde veut jouer à Anderlecht. Pour l’aura, l’argent, les titres, le football européen, etc. Mais la concurrence ? Non, très peu pour eux ! Pourtant, ils doivent dès le départ pouvoir l’admettre. Quand j’ai signé à Anderlecht, l’été passé, c’était pour y occuper un rôle de T2. C’était ma concession, alors que j’étais coach principal à Mouscron. Si je ne l’avais pas admis, j’aurais eu un problème.

Vercauteren, directeur technique ?

Pourriez-vous assumer les fonctions de directeur technique à Anderlecht ?

Le seul qui est taillé sur mesure pour occuper ce rôle est Vercauteren. A mes yeux, il aurait déjà dû combiner cette fonction au moment où il était encore lui-même adjoint au RSCA. A l’époque, il était parfaitement en mesure d’évaluer les besoins de l’équipe à court et plus long terme. Il lui eût été loisible, ce faisant, de rectifier le tir ou d’apporter les correctifs nécessaires. A présent, je ne sais trop comment la situation va évoluer. Des deux côtes, club et individu, on sent bien que le sujet est sensible. N’est-ce pas le cas partout, en définitive ? Marc Degryse a-t-il eu la vie facile à Bruges ? Et Michel Preud’homme s’est-il toujours senti heureux au Standard ? Je n’en ai pas du tout l’impression, sans quoi il ne serait pas revenu au terrain. Si j’ai délaissé Genk, où j’occupais les fonctions de directeur technique, c’est parce que le terrain me manquait. A présent que je l’ai retrouvé, il serait sot que j’aspire à nouveau à cet autre rôle. Je suis entraîneur et jusqu’à nouvel ordre, je le reste.

Vercauteren aurait aimé pouvoir poursuivre son travail avec Glen De Boeck. Vous lui avez été imposé par la direction. Etait-ce difficile à encaisser pour lui ?

Peut-être, mais je présume quand même que dans ce cas, il me l’aurait fait savoir. Or, il n’a jamais abordé ce sujet à l’occasion des deux entretiens individuels que j’ai eus avec lui avant mon engagement. D’autre part, nos visions respectives sur ma future tâche au Sporting correspondaient à 99 %. Mais je comprends qu’il ait eu une relation d’un autre ordre avec De Boeck qu’avec moi. Normal, il l’avait vécue de près pendant près de dix ans.

Boeckie a mal digéré qu’il ait dû céder sa place au soi-disant ami d’Herman Van Holsbeeck.

Que les choses soient claires : il n’y a pas de relation de cet ordre entre nous. Herman et moi avons appris à nous connaître – et à nous apprécier – à l’époque où nous étions tous deux au RWDM. Le club vivait à cette époque une situation très délicate et nous avions fait cause commune pour le sortir de cette impasse. Il en a résulté une profonde estime et un profond respect entre nous. Rien de plus. Glen De Boeck m’a téléphoné un jour pour me dire qu’il n’avait jamais tenu ce langage. Dans la foulée, il m’a avoué qu’il avait la possibilité de signer au Cercle Bruges. Je dois avoir été le tout premier à avoir été mis au parfum. Il m’a demandé ce que je ferais à sa place. Je lui ai répondu qu’il m’était impossible de répondre à cette question. Si je lui avais préconisé de signer, c’est comme si j’avais voulu le pousser vers la porte de sortie. Dans le cas contraire, il y aurait eu tout autant à redire. Je lui ai toutefois signalé que les places sont chères dans le milieu et que s’il avait effectivement été contacté, il se trouvait dans une situation de luxe par rapport à la plupart des entraîneurs en quête d’un club.

Quel impact ont eu sur vous ces six premiers mois au Parc Astrid ?

Je me suis parfois demandé si je devais avoir plus de charisme ou si je devais davantage bluffer. Mais dans ce cas, je sortirais de mon rôle. Je suis quelqu’un qui insère très souvent un élément ludique dans les entraînements. Dans les clubs où je suis passé, bien peu le savaient, hormis les joueurs. Au Sporting, ce genre d’info est répercutée dès le lendemain, via les journaux. Une gueulante aussi fait automatiquement la une, alors que je la poussais aussi à La Louvière sans autre forme de procès. C’est nouveau pour moi, mais je ne vais pas, pour autant, changer d’attitude en raison de cet impact.

Entraîner au Sporting, c’est plus éreintant qu’ailleurs ?

Ni plus ni moins. Je me suis toujours investi à fond dans ce que je fais. Ce qui est différent, c’est la pression. Celle-là, on la ressent tous les jours. En ma qualité de coach, j’essaie toujours de relativiser un certain nombre de choses. Il est difficile de faire complètement fi du football. Car il vous tient toujours. Regarder un match à la télé n’est jamais un délassement, même quand mon équipe n’est pas concernée au premier degré. Je me surprends toujours à griffonner des choses sur un papier, même au moment où je vais me coucher. Tout cela ronge son homme et vous coûte sans doute quelques années de votre vie. Mais je ne vais pas me plaindre.

Vous avez 54 ans. Sans avoir fait une brillante carrière comme joueur, vous voilà devenu entraîneur du club-phare du pays. Quelles ambitions nourrissez-vous à présent ?

Je suis mû par le désir de faire le mieux possible tout ce que j’entreprends. Par respect pour mon employeur mais aussi par pure satisfaction personnelle. Je me donne toujours à 200 %. Je suis ambitieux mais nullement prétentieux. Si d’aventure la réussite me sourit ici, je ne me vois pas dire subitement : -J e vais à Barcelone. Ce qui compte pour moi, c’est mettre tout en £uvre pour le bien du Sporting.

Etre confirmé dans vos fonctions, c’est un autre objectif ?

Je n’ai jamais fait un plan de carrière. Il y a d’ailleurs eu déjà tant de soubresauts, chez moi, en la matière, que j’ai appris à ne plus jurer de rien.

par jan hauspie – photos: reporters/ gouverneur

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