Allons z’enfants

Les Zèbres ne chantent pas encore la Marseillaise mais l’accent français leur fait du bien.

A sa façon, le célèbre Ezzio Bucci, 75 ans, supporter des Carolos depuis 44 ans, avait tenu à rendre hommage au boulot abattu jusqu’à présent par Bertrand Laquait et Laurent Macquet. Ezzio a sorti son légendaire parapluie mais les deux joueurs français n’ont jamais eu peur de se mouiller depuis leur arrivée sur les rives de la Sambre.

Ils étaient en situation de défi chez eux. Leur sens du travail bien fait a tout de suite été très utile aux Zèbres. Bertrand Laquait était chômeur à Nancy et n’avait plus joué depuis des mois suite à une blessure au genou enregistrée à Gueugnon. Mogi Bayat, le neveu du président carolo, le contacta pour le compte de Charleroi et Christophe Dessy, qui s’occupe du centre de formation de Nancy, lui conseilla de répondre positivement à cet appel afin de se redéfinir. Une bonne affaire pour lui, certes, mais surtout pour Charleroi qui ne pouvait se contenter de n’avoir que deux gardiens de but, IstvanDudas et Wilfried Godart.

Arrivé en cours de premier tour, il fit preuve tout de suite d’une grosse présence dans le vestiaire. C’était vital pour des Zèbres paralysés par les échecs et sans personnalités marquantes dans le groupe. Petit à petit, le dialogue s’instaura à nouveau entre les hommes. Ce réveil verbal s’accentua avec la venue, plus tard, de Laurent Macquet. La french connection a fait du bien à tout le monde.

« Je savoure le plaisir de jouer après avoir traversé une mauvaise passe à Nancy », avance Bertand Laquait. « Sans contrat, je ne comptais plus. Je n’ai pas eu un seul coup de fil de mon ancien club durant mes dix mois de convalescence suite à mon opération aux ligaments croisés du genou. J’avais faim de football. L’offre des Zèbres tombait du ciel. Je ne connaissais pas le football belge. La situation était critique. J’ai été sidéré par le découragement et le manque de discipline dans la vie du groupe au quotidien. En France, le moindre détail est important. Je n’avais pas l’impression qu’il en allait de même à Charleroi. Des joueurs arrivaient en retard à l’entraînement ou au repas. Certains oubliaient de couper les portables et répondaient même aux appels dans le vestiaire. C’était significatif quant à la façon d’aborder le métier. En quelques mois, tout a changé et le coach, Dante Brogno, a instauré l’ordre et la méticulosité. C’est indispensable quand on veut garder sa place en D1. Les progrès sont sensibles et visibles. Il suffit de regarder le classement général: Charleroi était exsangue début décembre. Le deuxième tour nous a permis de sortir de l’ornière mais je ne veux pas en rester là. Je veux avancer. Si je reste ici la saison prochaine, c’est avec la ferme intention de batailler pour l’Europe ».

Laquait: « Ah, cette odeur de frites et cette ambiance de kermesse »

Optimisme béat? Discours positif surréaliste alors que Charleroi écope depuis des années pour ne pas couler à pic? « Non, il y a des richesses mais elles ne se révéleront que via une bonne méthode de travail », avance-t-il sans hésiter. « Nous sortons la tête de l’eau mais il ne faut pas dire ouf puis ne pas en tirer les conclusions pour la saison prochaine. S’il en allait ainsi, il faudrait tout recommencer à zéro. Or, il y a un acquis, des raisons de continuer sur cette lancée. Le coach a développé ses idées. Elles sont intéressantes et il s’agit maintenant, pour progresser, d’entrer dans la durée avec Dante Brogno. L’effectif doit être renforcé et si cela se fait de façon judicieuse, je ne vois pas pourquoi Charleroi ne pourrait pas être ambitieux ».

Bertrand Laquait se blessa à la main au Standard en fin janvier. Nouvelle tuile alors qu’il était lancé: opération, trois vis,… « Pas question de me laisser aller », dit-il. « Quand le moral est au rendez-vous, on revient plus vite. J’ai été bien soigné par le staff médical et le club a réglé tous les problèmes. C’était vexant dans la mesure où j’étais arrêté alors que j’avais trouvé mes marques. Je suis revenu avec la même envie. J’avais pris goût aux matches à la belge. Tout est tellement festif dans ce pays. Un match, c’est un événement. En France, à part à Lens et à Marseille, le public assiste au spectacle mais le vit moins avec ses tripes. Cette odeur de frites qui entoure les stades symbolise l’ambiance de kermesses typiquement belge ».

Bertrand Laquait est sûr de lui mais n’en est pas moins très sensible. Nancy a vécu un drame il y a un an avec la disparition du gardien de but Philippe Schuth au volant de sa puissante Corvette. Un accident stupide, la fin d’une vie mais pas d’une immense estime, celle de Bertrand pour Philippe. Sur son site internet (http://www.stevensports.com/laquait/html ) , le gardien de but publie une lettre ouverte à l’occasion du premier anniversaire de la mort de son ami. A lire car c’est très émouvant, tellement beau dans un monde pro où les estimes sont tellement passagères.

Son aventure carolo lui permet-elle d’évacuer cet épisode et ses soucis nancéens? « Non, on ne peut pas tourner la page et ne plus penser du jour au lendemain à un proche », certifie-t-il. « Je n’oublierai jamais Philippe Schuth. Mais je suis heureusement lancé dans une histoire qui m’intéresse: celle de Charleroi et de tout notre collectif ».

Laquait devrait rester à Charleroi la saison prochaine. Mais avant d’officialiser un accord, le gardien de but français cherchera à avoir des garanties sportives. La licence de D1 sera-t-elle bien accordée aux Zèbresle 15 mai prochain? Dante Brogno restera-t-il et aura-t-il l’autorisation de coacher Charleroi même s’il ne dispose pas encore de tous les diplômes requis? Qui renforcera le groupe?

Macquet: « C’est pas la presse qui fait les joueurs »

Laurent Macquet se pose aussi toutes ces questions même s’il a donné un accord moral à Mogi Bayat. « Je ne suis pas venu à Charleroi pour m’en aller par la petite porte après six mois », certifie le numéro 8 du Sporting de Charleroi. « Mogi Bayat, Raymond Mommens et Dante Brogno m’ont accordé leur confiance: je veux en être digne ».

Laurent Macquet a été recruté, après Laquait, afin de régler le jeu des Carolos. Depuis que l’ancien Cannois s’est installé au centre de la ligne médiane, le jeu zébré est nettement plus fluide. Ravitaillé par Badou Kere ou Thibaut Detal, il a très vite intégré les réalités de notre D1.

« Charleroi est désormais un bloc », certifie-t-il. « Je ne regrette absolument pas d’avoir tenté ma chance en Belgique. J’y relance ma carrière. Nous travaillons beaucoup et cela se ressent lors de nos matches. Avant, personne n’osait prendre le moindre risque. C’était statique. Les deux attaquants ne permutaient jamais. Tout se figeait d’entrée. C’était dû à la peur paralysante de perdre. Chacun s’occupait uniquement de son job dans sa zone. Personne ne s’avançait plus loin que son petit secteur habituel. Or, pour bien tourner, une équipe doit bouger. Il y avait trop de relâchement tactique. S’il le faut, le médian droit peut et doit aussi prononcer un effort à gauche en fonction de la vie du match. Mais il doit être couvert par ses équipiers. Les attaquants ont pour obligation de décrocher et les médians peuvent aussi finir une action. Charleroi a opté pour un 4-4-2 à domicile et un 4-5-1 à l’extérieur. Mais il faut s’adapter comme nous l’avons fait lors de notre voyage à Bruges.Tout le monde y a misla main à la pâte. C’est la seule façon de progresser, de travailler dans le plaisir et la certitude de pouvoir résoudre ses problèmes ».

Laurent Macquet est l’un des nombreux fruits des centres de formation français. Cannes (où est passé Zinedine Zidane ) est, avec Nancy, Nantes ou Auxerre, une des références en la matière chez nos voisins. Il y a côtoyé en équipes nationales de jeunes des promesses qui sont devenues des stars à l’image d’un StéphaneDalmat à l’Inter. Derrière lui, d’autres vagues ont occupé le terrain. Y aura-t-il encore de la place pour lui un jour en France? La presse tricolore s’intéresse-t-elle à ses expériences dans le cadre du championnat de Belgique? Il a la même réaction que Bertrand Laquait et un nom ourle tout de suite ses lèvres: Jean-Pierre Papin. Venu de Valenciennes à Bruges en 1985, JPP ne tarda pas à devenir incontournable chez les Bleus. Il ne reste plus aux Carolo-français qu’à signer des macquinades et des laquinades« .

Pas évident. Macquet ne rêve pas de l’équipe nationale française mais il affirme comme son compatriote: « Il ne faut pas voir les choses à l’envers. Les médias ne font pas les joueurs. Si un footballeur se débrouille bien, il attire le regard des journalistes. Papin a finalement fait courir toute la presse française qui ne le connaissait pas lors de son arrivée à Bruges.Si un club français s’intéresse à moi, il faudra réfléchir mais la priorité, c’est Charleroi ».

En attendant, les Zèbres fredonnent « Allons z’enfants »… Les supporters des Zèbres ne connaissent pas toutes les paroles de la Marseillaise de Rouget de Lisle mais le bleu-blanc-rouge a donné un coup de fouet à leur Sporting. Laquait et Macquet sont intrigués par la stabilité tactique du Lierse mais s’en voudraient de ne pas citer Mons qui présente un jeu bien léché, proche de celui pratiqué dans leur pays. Il est vrai que les Dragons apprécient, eux aussi, la cuisine française.

Pierre Bilic

« En arrivant, j’ai été sidéré par le découragement et le manque de discipline » (Bertrand Laquait)

« On joue en 4-4-2 à domicile et en 4-5-1 à l’extérieur » (Laurent Macquet)

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