Allez Hoops !

Les Londoniens retrouvent l’élite avec à leur tête un actionnariat très bling-bling composé de Flavio Briatore, Bernie Ecclestone et Lakshi Mittal, le roi de l’acier.

Le 15 mai dernier, Londres perdait un de ses représentants au sein de l’élite du football. West Ham, symbole de l’East End et école de jeunes reconnue dans toute l’Angleterre, glissait en Championship (la D2 anglaise). Pourtant, la capitale britannique ne comptait pas aborder la nouvelle saison de Premier League amoindrie. Comme si le coup avait été prévu d’avance. Quinze jours plus tôt, la montée des Queen’s Park Rangers confirmait le statut de Londres comme place forte du football européen, les nouveaux venus rejoignant au sein de l’élite les Tottenham, Arsenal, Chelsea et Fulham.

Si, au niveau national, cette promotion permet toujours à la capitale anglaise de compter cinq clubs en Premier League, elle n’en a pas moins modifié l’équilibre londonien. La domination, longtemps cantonnée à l’Est, bascule à l’Ouest. Si Chelsea avait rabattu ces dernières saisons sa rivalité de quartier sur Fulham, il va désormais pouvoir revivre les derbies d’antan face à ce qui constituait l’ennemi juré des années 80 et 90. Chelsea, la bourgeoise, face au quartier populaire de Shepherd’s Bush.

Mais la donne a cependant bien changé. Chelsea vit désormais sur une autre planète et ne considère plus son voisin comme un rival alors que QPR ne pense qu’à battre ce club honni (encore plus depuis l’arrivée de Roman Abramovitch). La date du 23 octobre a déjà été soigneusement cochée dans l’agenda. Ce jour-là, les riches de Chelsea se rendront à Loftus Road, l’antre de QPR. Pas question pour un habitant du quartier de rater cet événement.  » On se demande déjà comment les joueurs de Chelsea vont se rendre au stade « , rigole Ian Posley, président d’un des groupes de supporters de QPR.  » S’ils viennent en voiture, ils n’arriveront jamais au stade. Et s’ils viennent dans un bus siglé Chelsea, ils arriveront… mais en retard. Ce jour-là, tout le quartier voudra montrer que Chelsea ne fait pas vraiment partie du West End. A la limite, on tolère la présence de fans de Fulham, parce qu’ils n’ont pas la grosse tête. Pour nous, le West End rimera toujours avec QPR.  »

 » Ils n’ont jamais vraiment été pris au sérieux « 

Et pourtant, à l’instar des supporters de Manchester City qui se glosaient de la puissance financière de leur rival United jusqu’au jour où un cheik les obligea à ravaler leur parole, QPR a emprunté le chemin tant décrié de Chelsea. Comme les Blues, ils ont été rachetés par des étrangers. Et comme Stamford Bridge, Loftus Road est devenu un repère de jet-setters.  » Heureusement, les propriétaires n’ont pas injecté tout l’argent qu’ils avaient promis « , dit Posley sur le ton de l’ironie.  » Cela nous permet encore d’avoir une certaine fierté et de se reconnaître dans ce club. Mais certains ont déjà déchiré leur abonnement face à la tournure des événements et face au cynisme des dirigeants qui viennent juste d’augmenter considérablement le prix des places. D’un côté, on est fier d’avoir retrouvé l’élite mais de l’autre, on veut conserver l’esprit et l’âme de QPR.  »

Or, l’âme de QPR n’a jamais été de gagner ! Au niveau palmarès, le club, dont la date de fondation fait débat (entre 1882, 1885 et 1886) mais dont le blason mentionne 1882, soit 129 ans d’existence, n’a accroché qu’une modeste Coupe de la Ligue en 1967, en pleine Beatlesmania. Pour le reste, nada ! Une place de finaliste de la Cup en 1982 et de vice-champion en 1976.  » Parfois, on nous traite de loosers mais n’est-ce pas le summum du supporter que de soutenir un club qui ne gagne rien ? », interpelle Posley.  » Cela signifie que derrière notre support, il n’y a pas de calcul. On ne pourra jamais nous taxer d’être des supporters de la victoire !  »

QPR n’a donc jamais marqué l’histoire du foot anglais.  » Ils vivent dans l’ombre des autres clubs de l’ouest de Londres et ils n’ont jamais vraiment été pris au sérieux « , ajoute Simon Johnson, journaliste au London Evening Standard. Et si QPR attire le regard, c’est davantage pour son ambiance que pour ses résultats. Depuis vingt ans, les Hoops (surnom de QPR) n’ont vraiment défrayé la chronique qu’à trois époques. Dans les années 70 d’abord lorsque les foules s’enthousiasmaient pour son beau jeu et que l’équipe nationale anglaise se fournissait là-bas. Le club comptait d’ailleurs sept internationaux à l’époque de Dave Sexton. Entre 1980 et 1984 ensuite, lorsque Terry Venables construisit une équipe qui allait décrocher un ticket en Coupe de l’UEFA. Venables, lui, obtenait, grâce à la performance de QPR, un contrat d’entraîneur à Barcelone. La troisième époque est bien plus brève. En 1992-1993, pour la première saison labellisée Premier League, les Rangers, entraînés alors par Gerry Francis finissaient cinquièmes, devant leur rival honni Chelsea mais également devant l’autre club de Londres, Arsenal.  »

Braquage, ennuis financiers, meurtre et accident de voiture

Depuis lors, le club n’a cessé de péricliter. En 1996, QPR quittait la Premier League et tombait rapidement dans les ennuis financiers. En 2001, le club était placé sous administration financière, ruiné d’avoir couru après une remontée devenue illusoire saison après saison. La même année, le club était même rétrogradé en League One (la D3), pour la première fois en 30 ans. Sur le terrain, l’équipe faisait peine à voir et en dix ans, pas moins de 19 managers se succédèrent.  » On a toujours eu la réputation d’un club instable « , dit Posley.  » A tous niveaux : on a connu 19 stades, record d’Angleterre, avant de se fixer à Loftus Road en 1917 ( NDLR : Queen’s Park Rangers évoluera par la suite à deux reprises au White City Stadium entre 1931 et 1933 et lors de la saison 1962-63). On a dû faire tous les stades de l’ouest de Londres. On a évolué sur des terrains d’athlétisme, sur des terrains de cricket. Et au niveau entraîneurs, je me demande si on ne détient pas le record d’Europe. Quand un manager reste plus d’une saison, on se demande tous pourquoi.  »

Le club pourrissait dans un certain anonymat et quand QPR se retrouvait à la une des journaux, comme en 2005, c’était parce que son directeur général Gianni Paladini, ex-agent, propriétaire de boîtes de nuit et toujours en place actuellement, s’était fait attaquer au siège du club par des bandits armés, ou qu’un des joueurs prometteurs s’était fait assassiner ( Kenyan Prince en 2006) ou s’était tué dans un accident de voiture ( Ray Jones en 2007).

Pourtant, dans l’ouest de Londres, les choses changent. En quatre ans, l’ambition a gagné les Queen’s Park Rangers et les a fait entrer dans le cercle restreint des clubs tendance. Ici, pas de Russes, ni de cheiks mais du lourd et du bling-bling. En 2007, alors qu’il croupit à la 18e place de la Championship et que les dettes s’élèvent à 25 millions d’euros, le club qui a sorti Stan Bowles, Rodney Marsh, Les Ferdinand ou David Seaman est racheté par Bernie Ecclestone. Grand argentier de la F1, sixième fortune de Grande-Bretagne, il s’associe à Flavio Briatore, play-boy et patron des écuries Benetton et Renault. Le prix de la reprise : 17 millions d’euros. Ecclestone acquiert 15 % des actions du club et Briatore 54 %. Les dettes sont effacées et les nouveaux propriétaires promettent 148 millions d’investissements sur trois saisons, dont 15 pour le premier mercato.

 » Je connaissais bien Loftus Road car je survole le stade avec mon hélico lorsque je quitte ma maison de Chelsea pour me rendre à Oxford « , explique Briatore pour expliquer sa passion soudaine pour QPR. Un club qui entre dans un nouveau monde bien éloigné des pintes et des hamburgers appréciés par les fans locaux.

Bras de fer entre Ecclestone et Mittal

Les tribunes de Loftus Road deviennent bien vite le lieu à la mode. On y croise les conquêtes de Briatore, comme Naomi Campbell mais également les habitués des paddocks de F1. Cette image bling-bling cohabite naturellement avec d’autres sociétaires du lieu. Car, depuis les années 70, Loftus Road a toujours attiré les musiciens. Robert Smith, le leader de The Cure, organise les tournées de son groupe en fonction du calendrier des Hoops. Pete Doherty, l’enfant terrible du rock britannique, ex-leader des Libertines, ne manque pas une rencontre et a même composé un hymne à la gloire des Rangers, qu’il dévoilera lorsque ceux-ci seront en finale de la Cup. Sans oublier Alan Wilder, l’ex-batteur de Depeche Mode. Du beau linge pour un club de loosers !

 » QPR a toujours eu cette image, mélange de hype et de loose « , explique Johnson,  » Et jusqu’à la reprise du duo Ecclestone-Briatore, le public se partageait entre l’artiste qui se voulait un peu poète-maudit et qui choisissait sciemment de supporter ce club pour son manque de résultats, et le terreau local, très populaire.  »

Quelques mois après leur arrivée, Briatore et Ecclestone sont rejoints par un autre poids lourd. Mais d’un genre complètement différent. Le roi de l’acier. Lakshmi Mittal qui acquiert 20 % du club. Avec Mittal, QPR perd un peu de bling-bling mais gagne en capitaux : l’Indien, c’est la sixième fortune mondiale ! Mais trois ans plus tard, ceux qui espéraient rivaliser avec Chelsea grâce à la force financière des patrons ont vite déchanté.  » L’image de Briatore et Ecclestone n’a jamais été très bonne car ils ne donnent pas l’impression de s’intéresser véritablement au club « , dit Johnson,  » Ils n’ont pas investi les sommes promises. On estime que l’équipe qui a décroché le titre n’a coûté que 2 millions de livres (3 millions d’euros).  »

Même chose pour Mittal, qui a décidé de se lancer dans l’aventure uniquement pour son beau-fils, Amit Bathia pour lequel il a exigé la présidence. Si sa fortune lui permet de rivaliser avec le cheik Mansour de Manchester City, la prudence reste son maître-mot, même s’il peut se laisser gagner par la folie des grandeurs comme en témoigne le mariage de sa fille qui a coûté 43 millions d’euros. Tant qu’il ne sera pas actionnaire majoritaire, Mittal ne déboursera pas de sommes folles pour QPR. C’est pour cette raison qu’une fois la montée actée, Mittal a tenté de racheter les parts d’Ecclestone, devenu l’homme fort en décembre après avoir acquis celles d’un Briatore décidé à se limiter à un pouvoir d’influence. Bien que d’accord sur le principe, les deux parties n’ont jamais réussi à s’entendre sur le prix du rachat.  » C’est un peu comme les hommes de Rupert Murdoch qui disent partout qu’ils vont acheter les droits de la F1 mais qui oublient de demander s’ils sont à vendre « , déclara Ecclestone devant la presse, se défendant de vouloir vendre QPR, critiquant Mittal pour son OPA mais menant secrètement des négociations pour se débarrasser d’un investissement peu rentable, lui qui demeure surtout un supporter d’Arsenal.

Le duo dirigeant a déjà consommé sept managers

Depuis l’accession en Premier League, les différents actionnaires se regardent donc en chiens de faïence. Chacun avance ses pions. Au milieu du jeu de quille: le président Bathia qui a démissionné, officiellement pour marquer son désaccord avec les choix du conseil d’administration d’augmenter de 57 % le prix des places (106 % pour les places supérieures !), officieusement parce que ses décisions n’étaient plus appliquées. Cette guerre d’influence a également failli atteindre le domaine sportif. Les noms de Claudio Ranieri et Marcello Lippi, voulus par Briatore et Ecclestone, ont circulé pour remplacer Neil Warnock, défendu par Mittal qui a voulu doter QPR d’un management à l’anglaise. Les rumeurs ont enflé jusqu’à ce que Warnock lui-même les fasse taire, en affirmant qu’il serait bien sur le banc pour la reprise du championnat.

L’homme compte quand même sept promotions avec six clubs différents. A 62 ans, celui qui avait repris le club à la 20e place pour le conduire 13 mois plus tard au titre de champion, n’avait pas l’intention de laisser filer l’occasion de retrouver le plus haut niveau du foot anglais, qu’il avait quitté en 2007 avec Sheffield United.  » C’est sans aucun doute le meilleur travail que j’ai effectué dans ma carrière « , a-t-il d’ailleurs reconnu au soir de la montée.

Pourtant, la qualité de son travail pèse bien peu face au jeu de stratégie auquel s’adonnent les actionnaires. Depuis la reprise en 2007, le duo Ecclestone-Briatore a déjà consommé sept managers et rêve d’un grand nom. De plus, Warnock a montré dans la presse des signes d’inquiétude quant au manque de fonds alloués pour renforcer l’équipe. Ce qu’Ecclestone apprécia modérément puisqu’il demanda à son manager de ne plus s’épancher dans les médias. C’est donc dans des conditions délicates que Queen’s Park Rangers s’apprête à renouer avec le plus haut niveau, quinze ans après l’avoir quitté.

PAR STÉPHANE VANDE VELDE

 » N’est-ce pas le summum du supporter que de soutenir un club qui ne gagne rien ? » (Ian Posley, supporteur de QPR)

 » Je connaissais bien Loftus Road pour l’avoir survolé avec mon hélico.  » (Flavio Briatore)

La prudence financière reste le maître-mot : l’équipe qui a décroché le titre n’a coûté que 3 millions !

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