Alexandre-le-bienheureux

Le jeune Liégeois a explosé avec Genk et les Espoirs en fin de saison.

Au fil de sa jeune carrière, Alexandre Di Gregorio a mesuré la minceur de la membrane séparant l’euphorie du doute. Aujourd’hui, paraphrasant Rudyard Kipling, l’attaquant de Genk fait sien ce vers qui dit que pour devenir un homme, il faut pouvoir rencontrer le triomphe après la défaite et recevoir ces deux menteurs d’un même front.

A 17 ans, une voie royale se dessinait devant ses pas. Repéré très tôt par Raphaël Quaranta puis chouchouté par Zvonko Varga, connaisseur en attaquants, il s’est vite imposé au sein d’un RTFCL ayant fière allure. Son transfert à Genk s’inscrivait dans la continuité d’une progression que rien ne pouvait entraver. Les choses allèrent-elles trop vite?

Ce pur produit de l’école des jeunes du FC Liège connut un creux vertigineux avant de refaire surface. A la fin de cette saison, trois buts en trois matches, contre Mouscron, à Lokeren, et surtout face au Standard suffirent à faire oublier sa location visétoise ainsi qu’un automne-hiver 2000 passé dans un anonymat des plus sombres. En l’espace de 270 minutes, il est devenu le chouchou du Fenixstadion.

« Invraisemblable! », reconnaît-il. « Durant ces rencontres, nos supporters scandaient mon prénom. En semaine, le quotidien Het Belang van Limburg a réalisé un sondage. Il est apparu que j’obtenais les préférences du public. Je revenais de très loin! »

Alexandre Di Gregorio est intelligent. Vraiment malin. Aux grandes tirades futiles, nombrilistes, il préfère le silence. Il écoute. Analyse. Jauge son interlocuteur. Après de brillantes études en humanités, le citoyen de Nandrin, commune rurale du Condroz, se destinait au droit. Durant un an, il suivit les cours dispensés à la faculté de l’Université de Liège.

« Malheureusement, j’ai arrêté. Les déplacements auxquels je devais m’astreindre me pompaient trop de temps. J’ai décidé de me lancer à fond dans l’aventure du foot. Je n’ai que 21 ans. Si je devais me rendre compte que je fais fausse route, je reprendrais les cours. Je préfère un banc de cours à un banc de touche! »

En deux ans, cette triste latte de bois, véritable barque de la déprime pour certains, il l’a souvent lustrée. Expédié vers le noyau B sous l’ère Boskamp, il lui est arrivé d’être « réserve de la Réserve ».

Durant l’éclipse, Alexandre eut la chance de pouvoir compter sur sa fiancée. Julie Debatty est numéro 1 mondiale de karaté chez les Juniors. Elle compte 16 titres de championne de Belgique. Dont un Toutes Catégories conquis alors qu’elle venait à peine de fêter ses 16 printemps.

Quatre ans plus tard, personne n’est arrivé à lui ôter la couronne. Elle raconte: « J’ai parlé à Alexandre de ma propre expérience. Dans ma discipline, il est toujours malaisé de combattre quelqu’un d’un niveau inférieur. On ne progresse qu’au contact des meilleurs. » Julie en profita pour lui enseigner les rudiments de son art martial, estimant, à juste titre sans doute, que la base de ce sport complète harmonieusement le football. « Au plan tactique, stratégique, le karaté offre des enseignements déterminants. Notamment amener un adversaire sur un terrain moins propice. Lorsque nous rencontrons un attaquant, nous ne devons jamais nous transformer en défenseur. Au contraire. Nous allons de l’avant, obligeant l’autre à défendre, à l’encontre de sa nature. Ce n’est pas tout. Nous développons l’explosivité et la frappe. Des atouts dont un joueur de foot, offensif de surcroît, a besoin. »

Ce soutien s’avérait nécessaire. En semaine, il n’était guère question de dialogue. « Pas une seule fois, Boskamp ne m’a adressé la parole », affirme Alexandre. « Je me demande même s’il est capable de mettre un visage sur mon nom. Il ne s’est pas montré correct envers moi. C’était pourtant bagatelle comparé au comportement qu’il a adopté vis-à-vis de Domenico Olivieri et Daniel Kimoni. Incroyable. C’était simplement scandaleux. S’il existe deux types honnêtes, corrects, c’est bien eux. Or, il les a éjectés sans la moindre reconnaissance pour leur passé. »

Pendant ce temps, Boskamp réalisait transfert sur transfert. Le résultat de ces multiples opérations est connu. Les espoirs sportifs du club s’en trouvèrent ruinés. Parallèlement se creusait un gouffre financier. Si le Racing n’avait pas thésaurisé en vendant Strupar, Oulare, Clement, Gudjonsson, voire Goor et Haeldermans, ce court laps de temps aurait causé des dommages irréversibles.

« Je rageais, sans pour autant renoncer. En Réserve, je marquais énormément. Roland Janssens, notre entraîneur, ne cessait de m’encourager. L’équipe Première boitant bas, je me disais que mon heure finirait par sonner. Les semaines passaient. Rien ne venait. J’ai compris qu’il ne servait pas à grand-chose de m’entêter. Trop d’intérêts unissaient Boskamp aux joueurs qu’il avait amenés. Je le voyais s’entretenir avec leurs managers. Ils rigolaient bien, ensemble. Tout devenait clair dans mon esprit. C’est cela aussi, le monde du foot. A ce moment, j’ai repensé aux longues conversations en compagnie de Czerniatynski. Un gars bien, Alex. Il m’avait mis en garde contre différentes choses: la jalousie des partenaires, les magouilles, les luttes d’influence. J’ai eu l’occasion de vérifier combien son expérience s’est révélée utile. Finalement, on avait peut-être trop évoqué ma personne. Raison pour laquelle je tenais à me faire oublier. Je sentais qu’il fallait que je change d’air, même si je trouve la mentalité limbourgeoise fort saine. On a dit que je suscitais la convoitise de La Louvière, du GBA, de l’Olympic. Uniquement des rumeurs. Seul Maasland s’est montré pressant. J’ai également noué des contacts fructueux en France. Le Havre était prêt à m’accueillir. Je devais juste satisfaire aux examens d’usage. Cela, personne ne l’a su. Tandis que je me trouvais dans le TGV, un copain m’a appelé pour me dire que Boskamp venait de se faire virer. Je n’avais plus envie de quitter Genk. Au contraire! Je suis rentré. J’ai mis les bouchées doubles. Pierre Denier l’a remarqué. Il m’a invité à participer à un stage de préparation durant la trêve hivernale. Voilà comment s’est effectuée ma réapparition chez les pros. »

Alexandre Di Gregorio paraît à présent installé sur des rails solides. On le sait, tant concernant un ensemble qu’un individu, il s’avère important de bien terminer un championnat. Psychologiquement, on aborde l’épreuve suivante en totale confiance. L’entente l’unissant à Wesley Sonck constitue probablement la plus souriante indication qui soit.

Di Gregorio: « Sur les six dernières rencontres, je n’ai loupé que le déplacement à Bruges. J’étais prévenu. La direction tenait à mettre en vitrine les joueurs dont elle souhaite se séparer. Alors que nous venions de réaliser de bonnes performances, nous avons été atomisés: 6-0. Notre président est venu me trouver et m’a dit: -On voit que tu n’as pas joué, aujourd’hui. J’ignore si ma présence sur le terrain aurait modifié quoi que ce soit. Toutefois, cette remarque m’est allée droit au coeur. Maintenant, il faut voir de quelle manière Sef Vergoossen, notre nouvel entraîneur, dessinera sa formation. Avant de me faire une idée précise, j’attends de connaître quels transferts il va réaliser. Etant donné qu’il a insisté pour obtenir le concours d’ Anastasiou à Roda, je pense que notre nouveau patron attirera un pivot. Le cas échéant, Wesley et moi-même compléterons-nous la division offensive? Me verra-t-il en doublure de Sonck? Mystère! Je veux juste dire ceci: avec Wesley, nous sommes complémentaires. Nous adorons jouer ensemble. Il est même devenu un ami en dehors du terrain. L’imagerie populaire prétend qu’un duo performant se compose d’un grand et d’un petit. Parce que le tandem KollerRadzinski a craché le feu, la donne est à la mode. Je ne suis pas d’accord. A ce que je sache, Owen et Fowler ne sont pas des géants! La taille n’est pas déterminante. Wesley ne fait qu’un mètre 72, mais il s’appuie sur une détente verticale prodigieuse. Son timing est parfait. Et puis quelle puissance! Lorsque j’ai su qu’il était retenu en sélection nationale, je l’ai évidemment appelé afin de le féliciter. Il m’a dit que cette sélection, il me la devait en partie. C’est depuis que nous oeuvrons de concert qu’il a retrouvé toutes ses sensations. Il est devenu indiscutable. Si une grosse pointure prend place à ses côtés, je ne ferai aucun scandale. Je continuerai à me battre. A apprendre.

Genk a la chance de posséder un international A de 23 ans en plus d’un international Espoir de 21 ans à la pointe de son attaque. Tous les clubs belges ne peuvent pas en dire autant. Je serais surpris que ce capital soit dilapidé. Je jouis encore de trois ans de contrat. Le temps joue en ma faveur. Certes, je songe à l’avenir. Et plus j’y pense, plus je me dis qu’une carrière « à la Dante Brogno » ne me déplairait pas. Si on me prédit aujourd’hui que j’effectuerai l’entièreté de ma carrière à Genk, je ne serai pas déçu. J’aime ce club. Il possède le plus beau stade de Belgique. Et il est encouragé par le meilleur public du pays. Pour exemple, je retiens la visite de Mouscron. Il neigeait. Nous venions de nous faire sortir sans gloire de la Coupe de Belgique par Lommel. Je pensais que les gens allaient nous bouder. Ben non! Ils étaient 20.000 sur les gradins. Positifs. Enthousiastes. A croire que nous disputions une rencontre pour le titre. Ce potentiel représente une richesse extraordinaire. »

A 21 ans, on s’extasie vite. On voit la vie en rose. Insouciance de la jeunesse? Pas forcément. Alexandre fait partie d’une famille riche de cinq enfants. Depuis son plus jeune âge, il a appris à composer.

« J’ai la faculté de relativiser. En regardant autour de soi, on voit des sans-abri. Des malades. Des jeunes gangrenés par la drogue. Tout cela est quand même plus préoccupant que les états d’âme d’un footballeur. Il convient de remettre chaque pièce à sa place. Gamin, j’ai goûté au foot avec pour but de m’amuser. Maintenant, on me rémunère pour que je continue à assouvir ma passion. De quel droit pourrais-je me plaindre? Lorsque ça ne tourne pas rond, on ne m’entend pas me lamenter. Quand ça rigole, je reste les pieds sur terre. Je retiens en priorité ce qu’il y a de positif. Et je me sers du négatif à la manière d’un levier. »

Daniel Renard

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