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Aleksandr Vlasov, le nomade taiseux

A 26 ans, il peut devenir le premier « athlète neutre » à terminer dans le top 5 du Tour de France. Il aurait bien espéré un podium en début d’épreuve, mais on ne saura jamais à quel point son infection à la covid lors d’un Tour de Suisse dont il était le leader aura impacté son niveau sur les routes de l’Hexagone.

« Si je lui pose une question, il répond. Mais si je ne dis rien, on peut très bien se regarder pendant un quart d’heure sans dire un mot. » C’est le premier jour de repos au Giro 2021 et Giuseppe Martinelli, directeur sportif d’Astana, décrit son chef de file dans les colonnes de La Gazzetta dello Sport. Il est tout sauf bavard, mais travailler avec lui est fantastique. Il suit à la lettre les conseils. Ainsi, un jour, il a demandé à Martinelli des renseignements sur Marco Pantani, l’homme qui a vaincu tous les cols d’Italie. « Je lui ai raconté que le matin de chaque étape importante, il voulait des spaghetti à la confiture. Je vous laisse deviner ce qu’il a commandé au petit-déjeuner de l’étape de montagne suivante. »

Aleksandr Vlasov, à propos duquel le quotidien aux pages roses interrogeait Martinelli, était alors troisième du classement général. Le podium, dont le Russe rêvait à l’occasion de son troisième grand tour, lui échappera finalement d’une place, à Milan.

Tenges kazakhs > dollars australiens

En 2018, Vlasov exposait déjà ses objectifs à U23 Cycling Zone, un site web de référence en matière de cyclisme espoir: « Il n’y a rien de plus prestigieux qu’un grand tour. Je veux donc m’en adjuger un. » Ses débuts professionnels se font au service de l’équipe procontinentale Gazprom-RusVelo, mais c’est durant une « excursion » en Espoirs qu’il se distingue. Il remporte le Baby Giro, puis termine le Tour de l’Avenir en troisième position, à un peu plus d’une minute et demie d’un certain Tadej Pogacar.

Les sceptiques attendent encore un peu avant de chanter ses louanges. Trop de cyclistes russes ont été impressionnants en U23 sans parvenir ensuite à répondre aux attentes. Sergeï Chernetski, Aleksey Rybalkin et le champion du monde espoir contre-la-montre 2012, Anton Vorobyev, pour ne citer qu’eux, n’ont été que des étoiles filantes.

Vlasov, lui, confirme. En 2019, il accumule les places d’honneur, entre autres au Tour de Slovénie et au Tour des Alpes, malgré de superbes plateaux. Il est champion de son pays et pendant que le monde entier suit le Tour, il remporte l’étape-reine du Tour d’Autriche. Plusieurs formations essaient de l’attirer. Michelton-Scott veut l’embaucher mais les tenges kazakhs l’attirent plus que les dollars australiens. Gazprom, le rival d’Astana, auquel il est encore lié un an, n’est pas du tout content du choix du talentueux natif de Vyborg.

Déception au Giro

Aleksandr Vlasov a vu le jour le 23 avril 1996, en Carélie russe, une région située entre Saint-Pétersbourg et la Finlande. Viatcheslav Ekimov et Evgeni Berzin sont également originaires de Vyborg, mais ce ne sont pas ces monuments du cyclisme russe qui l’inspirent. C’est un entraîneur de cyclisme local qui le persuade, à huit ans, de délaisser le terrain de football et le dojo pour les routes de l’oblast.

Comme la région est plate, il ne se découvre un talent pour la grimpe que quand il obtient une sélection nationale. Junior deuxième année, il laisse un groupe restreint sur place dans la dernière étape du GP Général Patton, qu’il remporte. C’est une épreuve de deux jours qui attire les meilleurs coureurs de son âge. Il envisage un instant de fêter son succès en imitant le rituel de son idole absolue, El PistoleroAlberto Contador, mais modeste, il s’en tient finalement au geste traditionnel.

La Russie devient trop petite pour Vlasov. Il est toujours Espoir quand il émigre en Italie. Il dépeindra ensuite les trois années passées chez Viris Maserati, aux côtés de Matteo Moschetti et Jacopo Mosca, maintenant pros chez Trek-Segafredo, comme « une période durant laquelle je suis surtout devenu un coureur plus complet. » Il ne gagne aucune course en U23, mais suit les meilleurs en montagne. Il n’en faut pas plus pour que GazProm-Rusvelo lui offre un contrat de trois ans. Il ne l’honorera donc pas jusqu’à son terme, grâce à la formation kazakh du WorldTour.

Vlasov entame sa première saison chez Astana en soutien de Jakob Fuglsang dans un grand tour, mais d’aucuns accordent plus de chances au jeune homme qu’au chevronné Danois. La pandémie a bouleversé le calendrier et durant les mois précédant le Tour d’Italie, Vlasov a éclos. Il remporte le Mont Ventoux Dénivelé Challenge et le Tour d’Émilie, puis est troisième du Tour de Lombardie. Malheureusement, malade, il doit abandonner dès le deuxième jour du Giro. « Je ne trouve pas de mots pour décrire l’ampleur de ma déception », déclare-t-il.

Athlète neutre

Après une belle Vuelta 2020, qu’il achève juste au-delà du top dix après avoir décroché une jolie deuxième place dans la terrible ascension de l’Angliru, et sa quatrième place au Giro 2021, Vlasov vise carrément le podium du prochain Tour. Il a souligné ses ambitions dans les courses par étapes du printemps, en particulier grâce à son impressionnante victoire au Tour de Romandie. Il est le seul Russe actif en WorldTour, puisque Pavel Sivakov a été naturalisé français, mais l’UCI l’autorise à courir. Elle refuse les équipes russes depuis le début de la guerre en Ukraine, mais Vlasov peut s’aligner « en tant qu’athlète neutre qui ne se produit pas pour une formation russe ». Pour le plus grand soulagement de son nouvel employeur, BORA-hansgrohe.

Durant l’intersaison, Vlasov a changé d’équipe mais aussi de domicile. Après avoir vécu plusieurs années dans la Botte, d’abord à Vigevano, au sud-ouest de Milan, puis près du lac de Garde, et à Andorre, il s’est installé à Monaco. Il parlait déjà russe, anglais, italien et espagnol et a sans doute appris quelques mots de français. Même si peu de gens entendent le son de sa voix.

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