AIR FORCE

L’Ivoirien a mis du temps à éclater avant de s’imposer à Marseille et à Chelsea. Il ne lui reste que le peuple ivoirien à séduire complètement.

Il ne lui manque pas grand-chose. A 27 ans, Didier Drogba (1,8 m-74 kg) s’est imposé parmi les plus grands attaquants du monde. Il a pris le temps d’apprendre, de peaufiner son écolage avant d’éclater il y a trois ans à Guingamp. Il ne lui manque peut-être que le respect de son peuple ivoirien, qui lui préfère encore les stars du cru comme Aruna Dindane ou Bonaventure Kalou qui ont grandi en Côte d’Ivoire avant d’aller promouvoir aux quatre coins de l’Europe l’image des Eléphants. Drogba doit, lui, encore apprivoiser ce pays qu’il a quitté à l’âge de cinq ans. Ce défi-là, il est en passe de le relever après avoir eu une part prépondérante dans la première qualification de son pays pour une Coupe du Monde. A la CAN en Egypte et en Allemagne, Drogba compte bien parachever son adoption. D’ailleurs, il tient un discours très direct à ses compatriotes exilés tel le Nantais Emerse Faé, qui hésitent entre la France et la Côte d’Ivoire, à opter pour cette dernière.  » Sache que chez nous, il y a un bon groupe et un objectif – la Coupe du Monde 2006 – qui peut représenter quelque chose de grandiose pour nous, le pays et pour tout le continent africain. Si tu veux venir nous aider à atteindre cet objectif, tu es le bienvenu, tu seras bien accueilli et tu vas t’éclater parce qu’il y a une ambiance de folie « .

Qu’il le veuille ou non, Drogba est devenu un leader de la sélection d’ Henri Michel. Lui qui est parti pour rejoindre son oncle Michel Goba à Angoulême.  » Dans la tradition ivoirienne, ceux qui ont les meilleurs revenus ont le devoir de prendre en charge un enfant de la famille « , explique Michel Goba dans L’Equipe Magazine.  » Comme footballeur professionnel notamment à Brest et Dunkerque, je gagnais bien ma vie et j’ai choisi de m’occuper de Didier, le fils de mon frère « .

Le virus est donc venu naturellement. Quand on accompagne tonton dans toutes les étapes de sa carrière, on ne peut que mordre à l’hameçon et c’est ainsi que la prometteuse carrière du petit Drogba débuta. Ce fut Abbeville, Levallois, les années RER et l’adolescence.  » Ses énormes qualités sautaient aux yeux « , explique Jacques Loncar, un de ses premiers entraîneurs.  » Malheureusement, il les gâchait par insouciance. Il arrivait au dernier moment à l’entraînement, après avoir avalé un sandwich ou un hamburger « .

Malgré un transfert dans un cercle de L2 peu connu, Le Mans, son hygiène de vie et de nombreuses blessures (fractures du métatarse, du péroné, etc.) bloquèrent son élan. Sous la houlette de Marc Westerloppe, il mordit sur sa chique. Il n’était pas encore un buteur et tout le monde se demandait s’il allait percer un jour. Il dut se contenter lors de ses cinq saisons au stade Léon Bollée de bribes de notoriété comme lorsqu’il signa un doublé contre Cannes (2-1) en 1999. Pourtant en 2002, lorsqu’il marqua en onze minutes un doublé face à Saint-Etienne, l’entraîneur de la CFA de Rennes, Bertrand Marchand le remarqua. Le Mans demanda un million d’euros, une somme que les Bretons refusèrent de payer. Finalement, ce furent les voisins de Guingamp qui décrochèrent la timbale en janvier 2002 : il disputera onze matches et inscrira trois buts. Une bonne mise en jambes avant d’entamer la saison 2002-2003.

Le déclic

Sous la houlette de Marchand, devenu entraîneur principal de l’En Avant Guingamp, Drogba allait immédiatement marquer les esprits. Au mois d’août, face aux champions de France lyonnais qui menaient 3-1, Drogba monte au jeu. Vingt minutes plus tard, c’était 3-3. Entre-temps, l’Ivoirien avait délivré un assist et inscrit le but égalisateur.

Il devenait la pierre angulaire de la formidable année de Guingamp, la meilleure du stade du Roudourou. Les Guingampais, avec Florent Malouda et Didier Drogba terminaient septièmes. Un an plus tard, une fois les deux pièces maîtresses parties, c’est en Ligue 2 que plongèrent les Bretons.

Quant à Drogba, son puissant jeu de tête, son allure féline, ses démarrages et sa technique épatèrent les analystes du championnat français.  » Je n’ai pas de détente naturelle. Je domine dans les airs parce que je saute surtout au bon moment. Mais j’ai encore beaucoup de défauts. Devant le but, je ne sais pas encore quel geste tenter et à quel moment. Je me précipite trop. Je suis encore à l’état brut « , expliqua-t-il à l’époque. Depuis, le diamant a été poli et c’est désormais avec sang froid qu’il crucifie les gardiens adverses.

A Guingamp pour la saison 2002-2003, il inscrivit 17 buts en 34 matches. Pas mal pour un buteur à l’état brut.  » Depuis qu’il a compris que footballeur était un vrai métier, il a éclaté logiquement car il fait partie de ces garçons qui sont irrésistibles lorsqu’ils jouent sur leurs points forts « , confie Marc Westerloppe au magazine France Football.

En parachevant sa saison bretonne par un 4-1 face aux Lyonnais, sacrés une semaine auparavant, il attirait la convoitise du président lyonnais Jean-Michel Aulas, qui demanda à la direction combien coûtaient Malouda et Drogba. Aulas débaucha Malouda mais pas l’Ivoirien, qui préféra le volcan marseillais :  » Si j’avais signé à Lyon, j’aurais inscrit plus de buts qu’à Marseille car il y a là-bas une belle qualité de jeu. En revanche, je suis sûr que je ne me serais pas éclaté autant qu’à l’OM. J’avais le sentiment que je vibrerais davantage sur la Canebière et je crois que je ne me suis pas trompé « .

Comme à Guingamp, en un an, il allait marquer l’histoire du club de 2003 à 2004. Pas en championnat (malgré ses 33 rencontres et 17 buts puisque le club phocéen ne finissait que septième) mais en Coupe de l’UEFA. Sous la conduite de José Anigo, l’OM échoua en finale face à Valence après un parcours jalonné notamment par un match parfait en demi-finales contre Newcastle (0-0, 2-0). Contre les Anglais, Drogba inscrivit un but magnifique :  » Au moment où je reçois le ballon de Camel Meriem, je sais que je vais marquer parce que le défenseur est à ma hauteur et ne peut plus me passer devant. Quand je fais le crochet, je suis certain que je dois le faire à ce moment-là pour que le défenseur ne puisse pas toucher le ballon. Dans ces instants-là, je réfléchis à tout, le temps s’arrête « . Au bout d’un raid solitaire, Drogba qualifiait l’OM pour la finale.

Pourtant, les débuts marseillais furent poussifs :  » Ce n’était pas terrible. J’entendais les supporters dire que j’étais le nouveau Bakayoko, qui s’était planté à l’OM « . Mais tout cela n’était qu’une question de temps et après quelques rencontres, Drogba donnait la pleine mesure de son talent. Pour la première fois de sa carrière, il électrisait les foules :  » Je ne pouvais pas comprendre qu’on me regarde avec des yeux grands ouverts. J’avais du mal à réaliser mais j’ai compris que je devais assumer car c’est moi qui l’avait voulu, cette gloire « .

Un choix de Mourinho

Sa relation avec l’OM fut très forte et pourtant, l’Ivoirien était déjà devenu trop grand pour la France. Courtisé par tous les grands clubs, il fit front et maintint son envie de rester à Marseille, pour ramener le titre sur la Canebière et resituer Notre-Dame-de-la-Garde sur la carte européenne :  » Il existe des liens énormes qui me retiennent à l’OM. Je suis vraiment tombé sous le charme de ce club et de cette ville « .

Pourtant en coulisses, les négociations allaient bon train. Dés son arrivée à la tête de Chelsea, José Mourinho avait repoussé les noms de Ronaldo et Roberto Carlos pour y placer en tête de liste des transferts ceux de Paulo Ferreira et de Drogba. Finalement, la transaction aboutissait autour d’une somme de 37,5 millions d’euros. Durant l’été 2004, Drogba devint le transfert le plus cher de l’ère Roman Abramovich. Personne ne demanda l’avis du principal concerné. Certes, lorsqu’il doutait sous le maillot du Mans, ses rêves le portaient dans de tels grands clubs mais la chaleur marseillaise l’avait ensorcelé. Les propos tenus lors de son départ de la Canebière –  » Je reviendrai  » – confirmaient son attachement au club. Désormais, Drogba fait partie des légendes vivantes de l’OM. Comme en témoignent son retour provisoire et triomphal lors du jubilé de George Weah ou les rumeurs incessantes de retour à la maison.

Est-ce à dire que l’Ivoirien n’a pas réussi son intégration londonienne ? Que du contraire mais la vie à Londres ne dégage pas les mêmes charmes pour lui que les sifflements du mistral provençal.

Sous le maillot des Blues pourtant, Drogba a peaufiné son statut de star. Ses premiers pas furent époustouflants, avec cinq buts lors des premiers matches de Premier League 2004-2005. Une blessure à l’aine le stoppait dans sa course folle et l’obligeait à rester sur le flanc durant sept semaines. La suite fut moins grandiose. Au bout du compte, 16 buts, dont 10 en championnat, toutes compétitions confondues et un titre de champion pour sa première saison en Angleterre.

A Chelsea, Mourinho a opté pour un seul attaquant axial, attisant la concurrence. Ils sont quatre (Drogba, Eidur Gudjohnsen, Carlton Cole et Hernan Crespo) pour une place :  » La concurrence est constructive quand elle est saine et quand un entraîneur me dit clairement qu’il compte sur moi, je n’ai aucune raison de douter. Je serai utilisé. Et puis, être sur le banc ne signifie pas être absent du match. Il est toujours concevable de rentrer et de faire la différence « .

Une fois cette conception du turnover ancré, Drogba (qui avait pourtant le blues au mercato d’été au point que la rumeur le désignait comme monnaie d’échange pour le transfert de Michaël Essien) est revenu plus fort pour le début de la saison. Au point de porter une première banderille en faisant tomber Arsenal par deux fois ( Community Shield et championnat). Le félin a de nouveau montré ses griffes. Depuis lors, Chelsea surfe sur le succès au point de compter une solide avance en championnat.

STÉPHANE VANDE VELDE

 » IL EST TOUJOURS CONCEVABLE DE RENTRER ET DE FAIRE LA DIFFÉRENCE « 

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