AIMER LE BARÇA ET LEICESTER ? !

Depuis déjà quelques années, quand les footeux de chez nous oublient un moment d’idolâtrer leur club pour aimer le foot plus globalement, plus objectivement, ils sont nombreux à déclarer aimer surtout le style Barça : en s’émerveillant pêle-mêle du jeu offensif, de la possession/circulation de ballon, de la qualité technique des individualités, de la philosophie qu’aurait instillée Pep Guardiola, et bla bla gna gna : c’est tendance et c’est une profession de foi, une ode à ce que serait l’unique vrai beau foot d’aujourd’hui, légitimé parce qu’esthétique, quasi moral parce que voué à l’attaque.

Mais en même temps cette saison, nombre de ces amoureux-là ont follement souhaité, et maintenant se réjouissent du titre de Leicester en Premier League : l’inhabituelle victoire d’un second couteau, le surprenant triomphe d’un humble les amènent soudain à s’enthousiasmer pour un football à l’opposé de celui qu’ils entendaient imposer comme le vrai, le beau, l’unique ! Car Leicester joue bas, n’entend pas mobiliser le cuir, arrache bien plus qu’il ne construit, balance de longs ballons pour un lapin d’exception nommé Jamie Vardy. Ryad Mahrez y est le seul manieur de ballon, et leur duo d’arrières centraux à 181kg haut de gamme (Wes MorganRobert Huth) est tellement lourd et montagneux qu’on en rirait si Bruges ou Anderlecht en disposait ! Et pourtant elle tourne, cette équipe, se réjouit Claudio Ranieri quand il se prend pour Galilée…

En notant au passage qu’elle tourne sans que son coach fasse beaucoup tourner. Il a changé ses deux arrières latéraux après le 2-5 face à Arsenal lors de la 7e journée (exit Rit- chie De Laet pour Danny Simpson, exit Jeff Schlupp pour Christian Fuchs), et depuis lors, c’est un Never change a winning team comme au bon vieux temps : jetez un oeil sur mon p’tit tableau, aucune équipe d’aujourd’hui ne permet à ce point de distinguer 11 titulaires et des doublures !

J’en reviens à la question de mon titre. Ceux qui militent activement pour encenser mordicus le jeu offensif et léché à la barcelonaise, ceux que déprime à l’opposé l’Atlético-bunker de Diego Simeone, peuvent-ils sans se contredire applaudir la réussite de Leicester qui ne joue vraiment pas comme le Barça ? Et en les interrogeant par l’autre bout de la lorgnette, s’ils se réjouissent du sacre de Leicester parce que c’est celui d’un (plus) pauvre qui a niqué les (plus) riches, peuvent-ils sans vomir apprécier un Barça qui, partiellement au moins, doit ses individualités, son esthétique et son panache, à la puanteur d’un méga-budget ? Bref, peut-on vouloir le beurre, l’argent du beurre, et le sourire de la crémière par-dessus le marché ?

Oui. En foot, on peut, tout est permis : notre grand trip est d’y batifoler entre un plaisir sans morale quand ça nous arrange, et le plaisir d’une morale quand ça nous arrange mieux ! Le foot est un jeu où l’on jongle, et nous jonglons ici avec 3 alternatives : offensif/défensif, victoire/défaite et friqué/pauvre, qui engendrent schématiquement 8 profils. L’offensif-victorieux-friqué (Barça quand il gagne) subjugue par sa toute-puissance. Le défensif-victorieux-friqué plaît un moment par son courage intelligent (l’Atlético cette saison), mais finit par déplaire s’il accumule les succès par ce biais (Mourinho vainqueur). L’offensif-battu-friqué (Anderlecht si Bruges gagne, Bruges si Anderlecht gagne…) se verra reprocher ses transferts coûteux foireux. Le défensif-battu-friqué (Mourinho battu) est voué aux gémonies. Le défensif-victorieux-pauvre (Leicester) est porté au pinacle pour son héroïsme. Le défensif-battu-pauvre n’intéresse personne sinon ses supporters, il est dans l’ordre des choses. L’offensif-battu-pauvre peut se voir reprochée sa niaiserie. Reste l’offensif-victorieux-pauvre : en tant que vainqueur d’une compète, il n’existe pas, ce serait croire qu’on peut même s’offrir la crémière tout entière et toute nue.

PAR BERNARD JEUNEJEAN

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