Pierre Bilic

Pour avoir une équipe nationale performante, il faut soit des joueurs qui vont loin en coupes d’Europe des clubs… soit un coach qui voit clair.

Samedi passé, face à l’Espagne, les Diables Rouges ne présentaient pas un seul joueur ayant vécu une demi-finale ou une finale de coupe d’Europe avec son club. Une pauvreté de palmarès qui a vraisemblablement provoqué la lamentable campagne de l’équipe nationale en Coupe du Monde. Surtout que, sur le banc, Aimé Anthuenis n’a pas plus trouvé la solution qu’il y a deux ans en qualifications de l’Euro portugais.

Euro 1980 et Mondial 1982(Thys) : parfaite gestion du stress

En 1982, lors de la grande ouverture du Mundiespaña, face à Diego Maradona et au tenant du titre mondial, Guy Thys aligna des joueurs dotés d’un sacré palmarès avec leur club respectif. Ils avaient pris part à 11 finales ou demi-finales de coupes d’Europe avant le Mondial 82. Cela signifiait que les joueurs de Guy Thys avaient l’habitude de gérer le stress, l’obligation d’être performant. Ce vécu constituait un plus très important.

Michel Renquin était resté sur le banc ce soir-là mais participa à cette campagne espagnole. N’a-t-il pas l’impression que le brio des clubs belges sur les scènes européennes était le meilleur des terreaux pour les Diables Rouges ?

 » Je note que tous les joueurs alignés par Guy Thys contre l’Argentine portaient les couleurs de clubs belges « , dit Michel Renquin.  » Guy Thys avait effectué une revue des troupes en succédant à Raymond Goethals avant d’opter pour un groupe. Au départ, nous n’avions pas de palmarès. Guy Thys nous a aidé à en avoir un. Ce n’est pas le cas d’Aimé Anthuenis avec son noyau. Ce n’est pas une critique à l’égard de cet homme que je ne connais pas mais un simple constat. Il y a du talent dans le groupe actuel mais Anthuenis n’a pas su le mettre en lumière. Chaque coach doit aller chercher la dernière parcelle d’énergie et de volonté dans la tête de ses joueurs. Guy Thys l’a fait à sa façon. Anthuenis, lui, a échoué où Robert Waseige avait réussi. C’est un double échec lamentable. En 1980, la Belgique s’est qualifiée pour la finale de l’Euro car elle était parfaitement organisée. Personne n’a jamais rien lâché. François Van der Elst jouait déjà au Cosmos de New York mais tous les autres bossaient en Belgique. Quelque chose se mit en place. C’était l’envie de vivre de gros trucs. En 1982, le Standard avait disputé une finale de Coupe des Coupes contre le Barça au Nou Camp. Les Rouches connaissaient ce stade, les frissons qu’on peut y ressentir. C’est appréciable mais c’est surtout le mental qui est décisif et nous étions tous décidés à nous défoncer sans respecter l’adversaire. On n’en avait rien à cirer de Diego Maradona, de Daniel Passarella ou d’ Osvaldo Ardilès : il fallait les surprendre, les piéger, les exploser, les bouffer « .

Cette génération n’aurait pas accepté de propos élogieux après une défaite en coupe d’Europe comme ce fut le cas, récemment, à Anderlecht et à Bruges :  » Nous nous sommes faits nous-mêmes. Quand on est animé par cet état d’esprit, rien n’est impossible. En équipe nationale, il y avait aussi beaucoup d’intelligence : de nombreux joueurs de cette époque sont devenus des entraîneurs. C’était un avantage car cela réfléchissait dans tous les secteurs. Nous nous trouvions les yeux fermés mais les phases de jeu n’ont pas été répétées des milliers de fois. Le courant passait car l’envie était là. Il y a eu un effet d’entraînement. Le football a certes changé mais, en 2002, la Belgique a pris part à la Coupe du Monde. Lors des tests matches, était-elle plus douée que la Tchéquie ? Je ne crois pas. Comme d’autres, je constate que le groupe n’est pas animé par cette grinta. Or, il faudra la retrouver. Je crois plus à la puissance des projets et des idées qu’à celle de l’argent. En 1982, les clubs belges ne roulaient pas sur l’or, qu’est-ce que vous croyez. Après, ils se sont peut-être endormis sur leurs succès. Si on ne raisonnait que par les budgets, Porto n’aurait jamais gagné la Ligue des Champions. Un exemple dans un autre domaine : les grosses productions devraient remporter chaque année la Palme d’Or au Festival de Cannes. Les frères Dardenne n’avaient qu’une caméra mais ils ont battu tout le monde « .

Mondial 1986 (Thys) : la dictature des vieux pirates

En 1986, les Diables Rouges ont enrichi la liste de leurs succès avec leurs clubs : les demi-finalistes du Mondial ont 14 finales ou demi-finales de coupes d’Europe à leur palmarès. Deux d’entre eux jouent à l’étranger : Jean-Marie Pfaff (Bayern Munich) et Eric Gerets (PSV Eindhoven). Guy Thys a même réexpédié deux joueurs au pays : René Vandereycken et Erwin Vandenbergh. Enzo Scifo était un jeune du groupe :  » Que ce soit à Anderlecht ou en équipe nationale, j’ai été pris en mains par les vieux pirates. Ce fut parfois très dur car ils n’ont pas cessé de mettre le doigt sur ce qui n’allait pas, sur ce que je devais travailler : l’engagement, le replacement défensif, etc. Ils avaient tout vécu et je n’étais encore nulle part. Avec le recul, je peux dire que j’en ai tiré un gros profit. Quand Vandereycken disait quelque chose, il était écouté. Un groupe a besoin de leaders. Mais ce n’est pas tout : il faut du talent, un projet collectif, une vision. Si tout le monde est réceptif, c’est plus facile « .

Mondial 1998 (Leekens) : la barre reste très haut

Douze ans plus tard, en 1998, Georges Leekens est à la tête des troupes belges en France. Il mise sur l’expérience et ses joueurs ont un énorme vécu : 13 demi-finales ou finales de coupes d’Europe. Stéphane Demol ne fait alors plus partie du noyau des Diables Rouges depuis 1991. Cette période faste est-elle à jamais révolue ?

 » Je ne crois pas. « , raconte-t-il.  » Par rapport aux jeunes de la génération présente, j’ai eu de la chance. J’étais à Anderlecht qui avait l’habitude de vivre des grands moments. Les piliers de l’équipe n’avaient peur de rien. Cela m’a permis, je crois, d’avancer plus vite. Je me suis indiscutablement inspiré de leur exemple. C’est une source d’encouragement. Ils placent la barre très haut et les jeunes doivent suivre. Lors de mes débuts, j’ai disputé une demi-finale de Coupe des Champions contre le Steaua Bucarest, la meilleure équipe européenne du moment, puis j’ai enchaîné par les tests matches pour le titre contre Bruges et la Coupe du Monde 86. Anderlecht était une école du succès. Il n’y avait qu’une chose qui comptait : la victoire. Nous emmenions cet état d’esprit dans nos bagages avec l’équipe nationale. Le football belge peut revivre cette époque mais ça passera par des succès d’Anderlecht, du Standard et de Bruges sur la scène internationale. A mon avis, même si c’est difficile, ces clubs sont sur la bonne voie « .

Mondial 1998 (Waseige) : l’exception avec Wilmots-Verheyen

Après la Coupe du Monde française, le ton change du tout au tout. Au Japon, Robert Waseige ne compte plus dans son groupe qu’un joueur ayant disputé de grands rendez-vous européens : Marc Wilmots. Il s’appuie sur le Hesbignon et Gert Verheyen afin d’affûter les ambitions de son groupe.

 » Ce sont deux personnalités différentes mais complémentaires « , explique Robert Waseige.  » Marc est extraverti et Gert a la puissance de l’homme tranquille. Le premier a acquis toute sa plénitude à l’étranger mais Gert n’a pas eu besoin de cela pour accéder aux postes de responsabilité en équipe nationale. A chacun son chemin. Cela ne doit pas nécessairement passer par un séjour dans un autre pays. Pour moi, le mental fait partie de la panoplie du bon professionnel, au même titre que la technique, le physique ou la tactique. Il y a, au top, ou dans les clubs moyens, des caractères forts, moyens ou normaux. L’équipe nationale est forcément le reflet de ce qui passe en championnat, même si le footballeur belge s’exporte et vit des moments forts à l’étranger : Emile Mpenza, Daniel Van Buyten, etc. Si ce dernier était resté en France, il aurait disputé une finale de Coupe de l’UEFA avec Marseille. Il a choisi d’autres défis et est une valeur sûre en Bundesliga. Il sait gérer la pression. Eric Deflandre a été trois fois champion de France avec Lyon : cela réclame aussi du jus sur le plan mental. Ce sont des plus. Un joueur talentueux sans qualités mentales ne peut pas s’inscrire dans la performance. Dans ce cas-là, il sera battu par celui qui en veut plus. C’est cet état d’esprit qui avait permis aux clubs belges de réussir de belles campagnes européennes dans les années 70 et 80. Cela dit, depuis l’arrêt Bosman, les moyens financiers des clubs belges ne sont plus les mêmes par rapport à la concurrence. C’est un problème qui a forcément un impact sur la qualité des noyaux de nos clubs « .

PIERRE BILIC

 » RIEN À CIRER DE MARADONA, PASSARELLA OU ARDILèS : IL FALLAIT LES BOUFFER  » (MICHEL RENQUIN)

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