Adios VP?

Le Lituanien d’Ostende a été fabuleux. Trop pour rester.

D’où il vient, le basket est roi. A l’image du foot dans les pays latins ou du rugby en Nouvelle-Zélande, le ballon orange y est un objet de culte. A Kaunas, sa ville natale, ou à Klaipeda, sa terre d’adoption, les enfants s’en délectent. Passage obligé dans l’éducation de la jeunesse, il a presque des vertus religieuses.

« En Lituanie, le basket est le sport numéro 1 », confirme Virginijus Praskevicius (27 ans). « Je ne connais personne qui ne s’y soit essayé au moins une fois. » Logique, dès lors, que ce pays ait acquis ses lettres de noblesse par la voie sportive. « Il y a deux centres de formation très poussés. L’un se trouve à Kaunas et porte la griffe de Marciulonis. Sabonis est l’initiateur de l’autre, à Vilnius. Avec ces figures de proue à leur tête, ils ont une terrible réputation. »

Tout produit estampillé en Lituanie a bonne presse à l’étranger quand il s’agit de ballon orange. Jadis considéré comme aussi mystérieux qu’efficace, le joueur lituanien est, aujourd’hui, une denrée de plus en plus prisée de par le monde. Tel est sans aucun doute le résultat immédiat de l’ouverture des frontières consécutive à l’arrêt Bosman.

« Avant que ne soit instaurée la libre circulation des joueurs, la Lituanie était fermée sur elle-même. Et ses meilleurs joueurs devaient profiter des compétitions internationales pour séduire un observateur américain. Arvydas Sabonis a su saisir sa chance. Il a montré la voie à suivre à la génération dont je fais partie. »

Aujourd’hui, les basketteurs lituaniens dispersés aux quatre coins du vieux continent sont légion. Et profitent directement du sacre continental décroché à la surprise générale au printemps 1999 par le Zalgiris Kaunas.

« Kaunas méritait bien cette reconnaissance », explique Praskevicius, qui quitta le club durant l’été… 1998. « Car les gens mettent tout en oeuvre pour y bâtir quelque chose de solide. Ce titre fut perçu en Europe comme une énorme surprise. Mais pas pour ceux qui connaissaient le Zalgiris. Son collectif était énorme et ses deux Américains, Edney et Bowie, irrésistibles. Moi, je n’étais pas de cette aventure puisque j’avais rejoint Istanbul. Voir ce que mes anciens équipiers venaient de réaliser m’a rempli de joie et de fierté. »

Virginijus Praskevicius se forge sa réputation lors du Championnat d’Europe des moins de 22 ans, en 1996. Cette année-là, avec ses partenaires de l’équipe nationale, il asseoit son hégémonie sur l’Europe. Cela permet à cet intérieur polyvalent de se révéler aux yeux du monde entier. Il séduit les Minnesota Timberwolves. Il est alors promis à un grand avenir. Il doit cependant vite renoncer à ses rêves de NBA.

« Je rêvais d’évoluer dans le meilleur championnat du monde. Mais j’ai vite compris qu’il ne servait à rien de forcer les choses. »

Après quelques matches d’avant-saison avec la franchise américaine, l’international lituanien tourne définitivement la page et rejoint les Bobcats de La Crosse, en CBA. « Je ne suis heureux et efficace que si je peux disposer d’un important temps de jeu. J’ai besoin de me sentir en confiance et je ne peux pas l’être si je ne passe qu’un quart d’heure par match sur le parquet. Or, je connais ma valeur et je sais que je ne peux pas espérer davantage au sein d’une équipe de NBA. Alors, je préfère trouver mon bonheur ailleurs. »

Le regard sombre, le sourire timide, Praskevicius impressionne autant qu’il fascine. Certes, il n’apprécie pas trop les interviews. Son terrain d’expression, c’est le parquet. Ce fils unique n’apprécie pas trop que l’on parle de lui. « L’équipe est bien plus importante que le joueur. Cela a été la clé de ma réussite à Ostende. J’ai pu m’appuyer sur un collectif très solide. »

Modeste, « VP », comme l’ont surnommé les partisans ostendais, en oublierait presque sa faculté à faire pencher la balance en faveur de ses couleurs. De l’avis de tous, il fut la clé du succès flandrien.

« Je suis flatté de tels compliments mais j’essaie juste de faire du mieux que je peux. Si le coach veut que je sois surtout performant en défense, je le serai. A Ostende, il s’est avéré que l’on me demandait de prendre énormément de responsabilités offensives. C’est donc ce que j’ai essayé de faire. »

Et avec brio, puisque, dans le sillage de son Lituanien, Ostende a retrouvé la joie d’un titre de champion, six ans après le précédent.

« Vous semblez tous étonnés que j’aie lié ma destinée à celle de ce club, mais pour moi, c’est un choix assez logique. Je restais sur une campagne difficile au Besiktas Istanbul, où je m’étais sérieusement blessé à la cheville gauche. » Ce mal l’obligera d’ailleurs à délaisser son pays le temps des Jeux de Sydney. Une décision forcée qui provoque quelques pincements au coeur chez son auteur mais guère de regrets pour autant.

« Ayant pris part aux Championnats d’Europe 1997 et 1999 avec la Lituanie, je connais le bonheur de prendre part à de tels événements. Les Jeux, ce devait être encore plus fabuleux, surtout au vu de ce que mes équipiers y ont réalisé. Derrière ma télévision, j’ai eu quelques moments difficiles. Quand votre équipe joue la victoire contre les Etats-Unis, vous voulez en être. Mais je savais que ma décision était la bonne. Je n’étais pas en pleine possession de mes moyens et je tenais à soigner ma cheville pour être compétitif avec mon nouveau club. »

C’est donc en Belgique qu’il atterrit. Une transaction qui n’est pas facile à réaliser. S’il vient, c’est pour plus d’un million de francs par mois. Astronomique sur le marché belge. Mais sous l’instance de Johan Vande Lanotte, son vice-président, Ostende finit par délier les cordons de la bourse et renvoie le Macédonien Dusan Bocevski, à qui un contrat (deux fois moins élévé) avait été offert un peu plus tôt.

« Je suis le joueur le plus cher qu’il y ait eu en Belgique? Soit. Cela ne m’inspire rien de particulier si ce n’est que je dois me montrer à la hauteur de ma tâche. Je ne ressens pas une pression supplémentaire sur mes épaules. »

Virginijus Praskevicius n’a pas trouvé son bonheur au Besiktas Istanbul. « J’y ai joué deux saisons mais je tenais à arrêter les frais à ce moment-là. La Turquie, et Istanbul en particulier, ne correspondent pas à mon tempérament. Je suis calme de nature. Or, Istanbul offre tout le contraire. En outre, le niveau du championnat n’est pas plus élévé qu’en Belgique. »

Une remarque formulée d’autant plus facilement que le joueur sait, désormais, de quoi il parle. « Quand j’ai signé à Ostende, je me suis dit qu’un club qui évolue en SuproLigue ne devait pas être mauvais. Je n’avais, par contre, qu’une fausse idée de la valeur du championnat belge. Ma surprise fut très agréable en constatant qu’il est d’un très bon niveau. Difficile, en voyant certains joueurs, de comprendre comment la Belgique ne participe pas plus souvent aux Championnats d’Europe. Du talent, il y en a et, à part à deux ou trois reprises, il a fallu demeurer concentré tout le match pour ne pas être piégé par l’adversaire. »

Retourné en Lituanie le 31 mai, Praskevicius portera-t-il encore le maillot flandrien à la reprise? Les prosnostics vont bon train et la saison qu’il a fournie fait de lui un élément très convoité de par l’Europe. Malaga et Udine sont prêts à lui faire un pont d’or. Des offres sur lesquelles Ostende ne pourrait pas s’aligner. L’artiste n’aura-t-il brillé qu’une campagne en Belgique?

« Je vais prendre le temps de réfléchir à mon avenir. Plusieurs paramètres m’aideront à décider. L’aspect financier demeure essentiel au même titre que mon temps de jeu. Et je ne pense pas que je disputerai les Championnats d’Europe. Je ne sais pas si on fera appel à moi car mon pays compte énormément de basketteurs de très haut niveau. » La vérité tient plutôt en cette cheville gauche qui, même si elle n’a guère eu d’influence sur son rendement ostendais, le pousse à demeurer vigilant. Et à mettre en pointillés une carrière internationale qui recense également une médaille de bronze ramenée des Goodwill Games en 1998.

Une heure après la fin de la campagne belge et alors que ses équipiers trônent sur un podium improvisé à l’Arena Mister V, il commande des pizzas à emporter dans un restaurant situé à plus de deux kilomètres de l’arène. L’homme est comme cela. Le bonheur de ses amis lituaniens venus pour l’occasion passe au premier plan.

A Ostende, il a croisé deux mentors: Lucien Van Kersschaever et Aaron McCarthy. Il garde, surtout, un souvenir impérissable du premier. « Il est sans conteste le meilleur coach que j’aie eu jusqu’à présent. Avec lui, on sait où on va. Tout est clair. Je n’ai pas compris les raisons de son éviction mais il ne m’appartient pas de les juger. Je suis payé pour jouer, pas pour parler. » D’Ostende, le surdoué dit beaucoup de bien. Même si… « S’il veut grandir, ce club doit se construire un noyau dur. Ce qui n’est pas facile sans délier les cordons de la bourse. Cela dit, l’équipe que nous avions cette année aurait, sans difficulté, figuré parmi les huit premières du championnat espagnol. Il faut arrêter de sous-estimer les formations belges. »

Jean-Paul Van de Kepelaere

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