Adios, Pep !

Aux commandes du Barça pendant quatre saisons, le coach tire sa révérence. Il a apporté 14 trophées dans la vitrine du club catalan.

Après quatre saisons à Barcelone, PepGuardiola se retire. Sa méthode requiert une telle énergie qu’il est constamment exposé à un burn-out. Prendre une année sabbatique ne lui ferait pas de tort.  » Mais Pep est un entraîneur-né « , a déclaré son ancien coach Lorenzo Serra Ferrer.  » C’est un maniaque dans l’analyse de ses adversaires. Son bureau est encombré de DVD, de livres et de magazines. Joueur, il s’intéressait déjà passionnément à la tactique. Il pouvait en parler des heures. Il suivait des débats nocturnes à la radio, il notait le nom des entraîneurs qui l’intéressaient ou, après un match de Barcelone, il se déplaçait pour les féliciter du football développé.  »

De solides amitiés sont nées de certains entretiens. L’une d’elles s’est amorcée le 1er septembre 1996. Ce jour-là, Barcelone s’est imposé 4-2 face au Real Oviedo. Guardiola s’est intéressé à l’homme qui avait conféré un jeu aussi soigné à Oviedo : c’était Juanma Lillo, alors âgé de 29 ans.  » Puis-je vous téléphoner dans le courant de la semaine ? « , a demandé Guardiola au terme de la partie.  » J’aimerais discuter de football avec vous, en toute franchise, tranquillement.  »

Guardiola a toujours cherché des solutions. Il partage l’obsession de Lillo pour le placement et la possession du ballon. Comme il souhaitait travailler une fois sous les ordres de l’Espagnol, Guardiola a signé un contrat au club mexicain de Dorados, en septembre 2005, à la surprise générale.  » Lillo est un de mes maîtres « , confirme-t-il.  » C’est lui qui m’a appris à lire le jeu et à le comprendre. « 

Guardiola éprouve le besoin de discuter avec ses pairs, comme il l’a encore prouvé durant l’été 2006, en restant à Madrid pour obtenir son diplôme d’entraîneur. Il ne s’est pas contenté d’un bout de papier : non, il voulait que sa formation soit parfaite. Le tacticien a donc contacté les entraîneurs qu’il admirait, il a analysé des situations de jeu avec eux et les a surpris par la qualité de ses analyses.

 » Les joueurs les plus habiles avec le ballon devraient être les défenseurs « 

Guardiola a toujours été différent. Pendant sa carrière de joueur, on l’a pensé homosexuel parce qu’il aimait les films alternatifs, allait au théâtre, lisait de la poésie et défilait pour le créateur de mode espagnol Antonio Miro. Guardiola n’a jamais réagi à ces insinuations, les jugeant trop ridicules. Il est marié à Cristina, avec laquelle il a eu trois enfants.

Sa philosophie du football est également différente. Un trophée l’intéresse moins que la façon dont il est conquis. Guardiola raffole des équipes qui osent jouer. Pendant le Mondial de 2006, il a rédigé des analyses remarquables pour le quotidien El Pais. Une seule formation l’a séduit pendant ce tournoi : le Mexique du sélectionneur Ricardo La Volpe. Dans un de ses articles, il écrit :  » Je me rappelle ce que nous expliquait Johan Cruijff : les joueurs les plus habiles avec le ballon devraient être les défenseurs. Johan estime que c’est le ballon qui assure l’équilibre d’une équipe. La Volpe veut que sa phalange trouve des solutions footballistiques, que joueurs et ballon se portent ensemble et en même temps vers l’avant. On m’a dit qu’à l’entraînement, il oblige ses défenseurs à courir pendant une demi-heure avec le ballon, sans interruption et qu’à la moindre faute, ils reprennent à zéro. Il les corrige, il crie et tout repart. Une fois et encore une fois, cent fois s’il le faut. Voir le Mexique jouer est fantastique.  »

La Volpe est un des entraîneurs auxquels Guardiola a rendu visite pendant son voyage d’étude à travers l’Argentine, en 2006. A Santa Fé, il a aussi frappé à la porte de Marcelo Bielsa, son dernier adversaire en Copa del Rey que le Barça a gagné contre Bilbao. Pendant douze heures, les deux hommes ont discuté, autour d’un barbecue argentin, abordant des matches, des situations de jeu. Finalement, lasse de ces palabres, l’épouse de Bielsa leur a demandé s’il n’était pas temps d’aller se coucher. Les deux hommes éprouvent un profond respect l’un envers l’autre, comme on l’a encore vu en novembre dernier. Leur match a été un spectacle formidable, qui s’est achevé sur un nul 2-2 grâce à un but tardif de LionelMessi. Guardiola a félicité Bielsa et lui a confié s’être régalé du spectacle offert par son équipe : au Camp Nou, pendant 90 minutes, Bilbao a joué homme contre homme. Là où la plupart des équipes reculent, Messi, Xavi et Iniesta ont été confrontés à un garde du corps permanent. Guardiola a savouré la situation, même si elle a coûté deux points précieux à son équipe.

 » La défense et l’attaque ne peuvent être distantes de plus de 25 m « 

Comme Bielsa, Guardiola joue pour gagner et non pour ne pas perdre. Quel que soit le résultat, il refuse de sombrer dans le cynisme.  » Je ne pense jamais à miser sur le contre quand je compose mon équipe. C’est la possession du ballon qui compte à mes yeux. Si nous pouvons conserver le ballon, pourquoi le céder ? Une grande équipe ne se laisse pas influencer par son adversaire. Il est crucial d’occuper le terrain, de posséder un bloc au sein duquel défense et attaque ne sont pas séparées par plus de 25 mètres. « 

Pour atteindre son objectif, il dispense des entraînements minutieux. Il interrompt fréquemment un exercice dont il juge l’exécution imparfaite. Il prend un joueur à part pour lui exposer l’idée qui sous-tend une passe ou son mécontentement quant à son engagement. Il répète les exercices jusqu’à ce qu’il soit impossible de faire mieux. Le credo de Guardiola est simple : on joue comme on s’entraîne. Perfectionniste, il exige donc le meilleur de sa sélection, en frôlant la maniaquerie. Celui qui ne suit pas les règles ou s’exclut du groupe peut s’attendre au pire. Guardiola aime se mêler aux joueurs mais il sait aussi s’en distancier et faire preuve d’autorité. Ses explosions de colère sont légendaires et n’ont rien à envier au hairdryer treatment de Sir Alex Ferguson à Manchester United.  » Quand Pep s’énerve, personne ne peut le retenir « , a déclaré l’arrière GerardPiqué à propos de son entraîneur.

Durant l’été 2008, lors du premier entraînement de l’équipe-fanion, Guardiola s’est adressé en ces termes à ses joueurs :  » Je ne vous promets pas que nous allons remporter un trophée mais nous allons essayer. Préparez-vous car cela va être très dur. « 

Il n’hésite pas à prendre des mesures. A peine entré en fonction, il a décrété que Ronaldinho, Deco et Eto’o devaient quitter le Camp Nou. Les deux premiers avaient fait leur temps et le caractère difficile du Camerounais suscitait des problèmes. Après quelques semaines, Guardiola a malgré tout accordé un an de plus à Eto’o, qui avait fait bonne impression à l’entraînement et possédait un talent utile cette saison-là. Ce fut la bonne décision. Eto’o a joué un rôle décisif durant la première saison de Guardiola. Il a ouvert la marque contre Manchester United (2-0) en finale de la Ligue des Champions et a eu une large part dans le triplé, par ses buts. Barcelone a quand même pris congé de lui ensuite.

 » Il a envoyé Messi aux Jeux contre l’avis de son président « 

Guardiola motive ses joueurs de manière subtile. Il s’est acquis la loyauté de Messi en lui permettant de participer aux Jeux olympiques de Pékin en 2008. Encore joueur, Guardiola avait participé aux Jeux de Barcelone en 1992 et il ne voulait pas priver son Argentin de l’événement, même si son club pensait exactement le contraire. Joan Laporta, le président d’alors, avait même porté le sujet devant le tribunal international du sport et avait obtenu gain de cause mais son propre entraîneur a pris la décision inverse. Il a ainsi fait d’une pierre deux coups : il a gagné la confiance de son joueur le plus important tout en montrant qui était le patron.  » Nous dépendons tous de sa crédibilité « , a déclaré Messi.

Guardiola a aussi pêché des idées chez Louis van Gaal, même s’il n’était pas toujours d’accord avec lui. Dans sa biographie, La meva gent, el meu futbol (Mes gens, mon football), parue en 2001, Guardiola déclare :  » L’aisance avec laquelle l’Ajax de Louis van Gaal construisait le jeu, la vitesse des ailiers et leur façon de se passer le ballon au sol, dans les airs… Ils prenaient tous les risques possibles et imaginables. Cet Ajax avait quelque chose qui me surprenait, qui m’épatait. La discipline dans l’occupation du terrain, la possession du ballon, ce jeu en soutien constant, les mouvements si bien coordonnés, le tout avec simplicité. L’Ajax exécutait parfaitement ce que je trouve qu’une équipe doit faire. Cet Ajax a donné des leçons à ceux qui connaissent le mieux le football.  »

A l’automne de sa carrière active, Guardiola a porté le maillot de l’AS Rome et de Brescia en Serie A. il y a découvert une autre culture, dont il a aussi tiré profit ensuite, surtout en matière de suivi médical et de préparation physique. Il est revenu sur son épisode italien plus tard, dans un éditorial du journal El País.  » L’Italie m’a expliqué que je devais oublier le football de combinaisons car son jeu offrait moins d’espaces. Je n’ai jamais compris ça. Le terrain a les mêmes dimensions partout. J’ai surtout constaté que beaucoup de joueurs bougeaient mal par rapport à ceux qui les entouraient. Les footballeurs étaient donc la cause de ce manque d’espaces.  »

On s’est souvent demandé si la méthode de Guardiola était viable à Barcelone. Pep a toujours observé d’autres championnats, au-delà des frontières ibériques. Joueur, il aurait aimé évoluer en PremierLeague. En août 2005, il a d’ailleurs effectué un essai comme coach à Manchester City mais le budget du club ne lui permettait pas de l’enrôler. God sait ce que l’avenir lui réserve dans les Iles…

Et le Barça ?

Carles Rexach, ancien joueur et entraîneur de Barcelone, estime que les Catalans doivent être en mesure de poursuivre sur leur lancée sans lui :  » On le regrettera mais son départ n’est pas non plus le drame qu’on dépeint actuellement. Barcelone s’appuie sur une philosophie, il ne dépend pas d’une seule personne. Quand Cruijff et moi avons entamé notre mission au Barça, nous avons voulu y implanter un style qui nous avait inspirés. Nous avons fait progresser les joueurs mais nous avons aussi modifié la vision qu’avaient les supporters. C’est la base sur laquelle l’équipe actuelle s’appuie toujours. Guardiola a parfaitement traduit notre vision. Comme Cruijff, il est convaincu que les postes-clés d’un club doivent être occupés par d’anciens joueurs. Je ne serais d’ailleurs pas surpris qu’un homme tel que Xavi devienne un jour entraîneur de Barcelone.  »

PAR SÜLEYMAN ÖZTÜRK (ESM) – PHOTOS: IMAGEGLOBE

Guardiola attache plus d’importance au style qu’au titre.

 » En Italie, on m’a dit d’oublier les combinaisons parce qu’on a moins d’espaces. Je n’ai jamais compris ça. « 

Pep Guardiola

 » Quand Pep s’énerve, nul ne peut le retenir.  » Gerard Piqué

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