ADIEU SPIROU

Quadruple Joueur de l’Année, triple champion de Belgique, vainqueur de la Coupe, 116 matches internationaux, deux EUROS. Cette série impressionnante s’achèvera avec les play-offs : Roel Moors (36 ans), professionnel pendant 18 ans, deviendra entraîneur adjoint des Antwerp Giants. Monologue.

Roel Moors :  » Il n’est pas évident de renoncer à un sport que vous avez exercé avec passion pendant trente ans. J’ai hésité pendant des mois, j’en ai parlé à ma famille, à mes amis. Finalement, j’ai écouté ma raison et non mon coeur. Elle m’a dit d’arrêter. J’ai enchaîné les blessures cette saison : le cou, le genou, le pouce, la cheville, une côte… Parfois, c’était bêtement de la poisse mais d’autres fois, c’était un symptôme d’usure. J’ai rarement pu m’entraîner à fond et je n’ai donc plus atteint mon meilleur niveau en match. Mon inflammation au genou a nui à ma mobilité : je me suis fait battre trop facilement homme contre homme alors que la défense avait toujours été un de mes points forts. La phase suivante, mon adversaire me refaisait le même coup. C’était frustrant. Je n’ai pas non plus voulu prendre le risque de souffrir une saison de plus. Je suis trop fier pour entendre les gens dire : – Moors essaie de gagner encore un peu d’argent mais il est au bout du rouleau. J’espère donc pouvoir me livrer à fond dans ces play-offs, pour partir en beauté.

Je me suis fait à l’idée ces derniers mois mais mon ultime match sera très émotionnel. J’avais déjà la gorge nouée en annonçant ma retraite alors qu’est-ce que ce sera ! En plus, je risque d’être pris au dépourvu car en play-offs, on ne sait jamais jusqu’où on ira. Heureusement, je vais éviter le trou noir, puisque je deviens l’adjoint de Paul Vervaeck la saison prochaine. Cette opportunité a rendu ma décision plus facile mais les premiers mois seront quand même difficiles. Je n’aurai plus d’injection d’adrénaline, je ne jouerai plus tous les jours… C’est surtout ça qui va me manquer car le sport est une drogue. Même après une saison chargée, j’ai toujours recommencé à courir ou à taper dans un ballon au bout de quelques jours de repos. Je suis incapable de rester dans un fauteuil mais encore faudra-t-il trouver le temps de faire du sport. Je vais combiner une vie de famille, avec deux enfants en bas âge, avec le poste d’entraîneur… Je ne pourrai pas me mêler aux séances car un coach doit conserver une vision globale du jeu. Je devrai donc me faire transpirer avant ou après. Mais ce ne sera plus comme avant.  »

 » J’ai toujours été perfectionniste  »

 » La passion du basket m’a porté pendant 18 saisons professionnelles. J’en paie sans doute le tribut maintenant car j’ai parfois exagéré. Surtout quand je revenais de blessure mais je n’ai jamais supporté d’être spectateur d’un match ni même d’un entraînement. Quand mes coéquipiers gagnaient, j’étais content, jamais euphorique. S’ils perdaient, je me rongeais les sangs. Donc, je me torturais pendant mes revalidations. Après mes opérations au ménisque, je suis remonté sur le terrain respectivement après deux et trois semaines, pendant la préparation de l’équipe nationale. Au plus haut niveau, donc, mais je l’ai payé. Pendant ma première période à Anvers, je me suis occasionné une deuxième grave blessure au genou parce que j’avais voulu revenir trop vite. C’était plus fort que moi.

J’ai toujours été perfectionniste. Même pendant mes études, un régendat en économie, physique et mathématique, j’ai toujours voulu tout maîtriser, sans sauter un chapitre. Un sept ne suffisait pas, il me fallait un dix. Pareil en basket.

On n’a jamais pu me reprocher un quelconque manque de professionnalisme. Je peux compter sur les doigts d’une main mes sorties après un match de Coupe d’Europe. Je ne sortais jamais les trois jours précédant un match non plus. Je n’en avais pas besoin. J’ai toujours préféré lire tranquillement un livre dans ma chambre, afin d’être frais et dispos pour la partie suivante. Même plus jeune, j’ai toujours été calme : un cinéma, c’est tout. Je n’ai jamais bu d’alcool mais plutôt parce que je n’aime pas. Même quand mes amis m’y poussent, je refuse et je continue à boire de l’eau. Je suis immunisé contre la pression exercée par le groupe.

Durant ces 18 ans, je ne me suis jamais reposé sur mes lauriers, pensant toujours au lendemain. Un coureur qui ne remporte qu’une course, même si c’est Paris-Roubaix, peut difficilement dire qu’il a signé une belle carrière ? Moi, j’ai placé mon sceau sur une longue période. Quatre titres de Joueur de l’Année en l’espace de dix ans, c’est éloquent. J’en suis très fier, même si je n’ai pas besoin de la reconnaissance des autres pour me motiver. Après un match, contrairement à certains joueurs, je ne me suis jamais plongé immédiatement dans mes statistiques. J’ai aussi rarement pris quinze shots par match. Ce qui m’apporte le plus de satisfaction, c’est de gagner en équipe, d’être le ciment de cette équipe, du poste de distributeur.  »

 » Je n’ai pas de regrets  »

 » Aurais-je pu retirer davantage de ma carrière, individuellement ? Peut-être. Je n’ai pas joué à l’étranger, à part un bref intérim à Villeurbanne, en France. J’ai commis l’erreur de signer un beau contrat de cinq ans à Charleroi, à l’âge de 23 ans. Avec un bail de deux ans et un bon agent -je me suis toujours débrouillé seul, j’aurais certainement pu franchir ce cap après mes deux grandes saisons, en 2003 et en 2004, mais j’étais lié. M’y prendrais-je autrement si c’était à refaire ? Oui. Est-ce que je le regrette ? Non.

Les étés 2006, 2007 et 2008 ont été bien plus frustrants. Suite aux troubles internes, j’ai dû chercher une nouvelle équipe à deux reprises et ça a duré longtemps. Compte tenu de mon passé au Spirou, j’avais l’étiquette d’un joueur cher et les clubs n’ont même pas pris la peine de se renseigner. En plus, il ne fallait que quatre Belges sur la feuille de match. Les équipes préféraient donc huit Américains, qui étaient fiscalement intéressants, à l’époque. Ce n’était pas marrant : à 28 ans, j’avais encore tant de belles années devant moi… Heureusement, Eddy Casteels, à Charleroi en 2007 puis à l’Antwerp en 2009, et Rudi Kuyl à Gand en 2008 ont volé à mon secours. Je leur en serai éternellement reconnaissant. Le fait d’être encore élu Joueur de l’Année à deux reprises m’a donc fait encore plus plaisir. J’avais montré que certains clubs s’étaient trompés.

Mon surnom, Jerommeke, ne m’a jamais dérangé. Je dois ma constitution – 1m90, 95 kilos – à Dame Nature. En plus, le drive est mon point fort, grâce à mon explosivité et à ma puissance. J’ai toujours usé spontanément de cette arme, bien plus que de mon tir. Donc, on m’a catalogué joueur robuste, dénué du flair et de la souplesse d’un Jean-Marc Jaumin ou d’un Jacques Stas. Cette image est partiellement fausse car ma technique est plus que correcte. Sinon, je n’aurais jamais pu effectuer de drive pour conclure des deux mains. C’est un peu comme Justine Henin et Kim Clijsters : le jeu de la première semble plus souple que celui de Clijsters, plus costaude, mais la Limbourgeoise était une fine technicienne. Sans ça, elle n’aurait jamais été numéro un.

Je n’ai jamais eu de constante dans mon shot, à cause d’une fracture du poignet, à l’âge de quinze ans. Je n’ai plus pu plier ma main droite à fond. J’aurais sans doute dû travailler cet aspect mais comme je passais toujours mon homme, je n’avais pas vraiment besoin de ce tir. J’aurais dû chercher un meilleur équilibre.  »

 » Je vais devoir canaliser mes émotions  »

C’est à Willy Steveniers que je dois le plus. J’ai pu m’entraîner deux fois une heure et demie par semaine avec lui, individuellement, de 14 à 18 ans, via le journaliste Bob Geuens, que mon père connaissait bien. Nous avons surtout travaillé ma technique, mon explosivité. Willy avait la cinquantaine mais il était plus rapide que moi sur les premiers mètres ! Il était très dur mais correct. Nous étions très différents. Lui, c’était l’Anversois typique, flamboyant, moi le brave garçon introverti de Lierre. Sur le terrain comme en dehors. Willy m’a appris à ne jamais me laisser intimider, à oser me faire valoir, à prendre des initiatives. Ça m’a déjà bien servi à 18 ans, quand j’ai passé un an aux Etats-Unis, seul, au collège de Stony Brook, Long Island. Je n’ai rien appris sur le plan technique mais j’ai dû me montrer car derrière moi, il y avait 25 Américains, sans bourse, qui ne demandaient qu’à prendre ma place.

Jacques Stas a également été important dans mon évolution, durant mes premières années à Charleroi. Nous partagions une chambre et nous avons beaucoup discuté du leadership, de la façon de poster mes coéquipiers, ce qui est crucial pour un distributeur. Maintenant, c’est naturel. Pourtant, dans le vestiaire, je n’élève jamais la voix. Je m’en tiens à l’essentiel et je montre l’exemple en m’entraînant de tout mon coeur. Après une défaite, je pratique l’autocritique. Je ne râle pas sur les autres, ce qui est malheureusement trop fréquent : je me regarde dans la glace : qu’aurais-je pu faire ?

Compte tenu de mon rôle de leader sur le terrain, je dois avoir des dispositions pour entraîner. Mes 18 saisons m’ont procuré un solide bagage tactique mais c’est l’aspect mental qui m’intéresse le plus. Il s’agit de passionner un groupe pendant toute une saison, de faire comprendre au porteur d’eau comme à la vedette en quoi ils sont importants. Ce n’est pas facile car beaucoup surestiment leur rôle. A force de côtoyer des caractères très différents, j’ai acquis une certaine psychologie. Je sais cerner les gens, je sais qu’il faut approcher chaque joueur différemment : il faut interpeller certains devant tout le groupe mais parler individuellement à d’autres.

Le principal défi sera de canaliser mes émotions pendant les matches. J’ai beau être d’un naturel paisible, je change sur le parquet. Or, je ne vais plus pouvoir me défouler, pas plus que je ne pourrai m’emparer des commandes. Le coach a beau dire aux joueurs ce qu’ils doivent faire, il dépend de la qualité de leur exécution. Comment vais-je réagir ? Je ne serai pas aussi émotif que Dario Gjergja, le coach du RB Ostende, mais rester impavide sur le banc comme Jan Ceulemans ? Non, ce n’est pas dans ma nature.  »

PAR JONAS CRÉTEUR – PHOTOS : BELGAIMAGE

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