ADIEU PETIT TSAR

Sergeï Omelianovitch, l’un des Zèbres les plus doués de sa génération, est décédé dans l’anonymat le plus complet et dans des conditions nébuleuses. Retour sur une trajectoire à l’issue dramatique.

Sergeï Omelianovitch n’est plus. L’Ukrainien aux pieds de velours s’en est allé au terme d’une nuit trop arrosée dans le courant du mois de juillet. Il aurait eu 38 ans le 13 août prochain. Après sept saisons passées au Mambourg, le natif de Louhansk, anciennement Vorochilovgrad, avait choisi de rester pour de bon en Belgique, histoire de ne plus basculer dans le désarroi et la misère de son pays d’origine.

Il a bourlingué. Noué de fortes amitiés. Mais ce sont désormais les souvenirs qui le décriront le mieux et l’incompréhension que nous partagerons. Le petit Tsar s’en est allé et une flopée d’anciens Zèbres veulent lui lancer une dernière gerbe d’au revoir. Pour que sa mémoire soit entretenue à jamais. Et éviter qu’on la salisse par mégarde.

A Charleroi, le jour de la Fête Nationale a eu un goût de tristesse. De pauvreté. D’humilité aussi. Sergeï Omelianovitch venait de s’éteindre dans des circonstances nébuleuses. On parle de coma éthylique, de chute aux enfers et de destin tragique. On évoque la classe folle et la gentillesse de l’Ukrainien qui était arrivé sur nos terres il y a deux décennies et qui va désormais y reposer pour l’éternité.

A l’occasion du premier match officiel des Zèbres cette saison, les supporters du Sporting n’ont d’ailleurs pas manqué d’entamer une minute d’applaudissements fournis en cours de rencontre. Malgré les années, pour tous ceux qui l’ont côtoyé, c’est un drame.

À LA CITÉ DE L’ENFANCE À MARCINELLE

Mustapha Douai est celui qui connaissait le mieux Omelianovitch. C’est d’ailleurs l’un des premiers à avoir appris la nouvelle de son décès. Aujourd’hui encore, il a la bouche pâteuse quand il doit l’évoquer :  » Je me souviens de notre première rencontre lors de la saison 1995-1996 comme si c’était hier « , explique le défenseur.  » Je venais d’arriver à Charleroi en provenance de Chapelle. Lui avait débarqué d’Ukraine, ne parlait quasiment pas français et comme moi, il ne connaissait personne. On a sympathisé dans un coin du vestiaire et appris à communiquer. Voilà vingt ans qu’on était amis. C’est dur…  »

Christ Bruno, qui a lui aussi fait ses classes au Sporting de Charleroi, a partagé le quotidien du jeune Sergeï au milieu des années 90.  » On logeait à la Cité de l’Enfance à Marcinelle « , rappelle-t-il.  » Plusieurs jeunes qui avaient rallié le club en provenance des quatre coins de Wallonie y vivaient. On allait à l’école en journée et à l’entraînement en début de soirée. Sergeï, lui, s’entraînait avec les pros mais une fois la nuit tombée, on se retrouvait tous ensemble. Il y avait aussi Fred Stilmant et plein d’autres gars. Souvent, après le souper préparé par le couple qui nous chouchoutait, on finissait devant un match de Champions League à la télévision ou à jouer des parties acharnées de ping-pong. Parfois, il arrivait même qu’on reprenne un ballon et qu’on aille shooter sur le petit terrain juste en face.  »

L’histoire de Sergeï Omelianovitch, petit prodige du club de sa ville, le Shakthar devenu Zarya, c’est une quête de reconnaissance et d’épanouissement. Une quête d’amour aussi même si l’Ukrainien était d’une profonde timidité. VictorHugo disait :  » On passe la moitié de la vie à attendre ceux qu’on aimera et l’autre moitié à quitter ceux qu’on aime.  » L’existence de l’ancien meneur de jeu semble suivre cette citation. Même s’il a quitté ce monde brutalement après avoir longtemps rêvé d’être adulé.

L’émoi qu’a suscité son envol, à Charleroi particulièrement, a réveillé la mémoire de nombreuses personnes qui n’avaient plus vu Sergeï depuis longtemps mais qui ne sont pas près de l’oublier. Raymond Hens fait partie de ceux-là :  » Je me souviens du jour où le gamin a débarqué. Il venait pour faire un test et ce soir-là, nous affrontions Farciennes en match amical. Gaston Colson avait été averti qu’un joueur doué allait venir aux côtés de quelques espoirs du club. A la mi-temps, je me rappelle encore mieux de Jean-Paul Spaute qui descend dans le vestiaire et qui dit au coach : –N’aligne plus Sergeï en deuxième mi-temps sinon on va nous le piquer ! Il avait été brillant et tout le monde venait de comprendre que nous tenions une perle.  »

Raymond Hens est président de l’école des jeunes de Charleroi depuis 1984, activité qu’il doublait d’une fonction à haute responsabilité en tant que directeur de la prison de Jamioulx, à un jet de pierre de la Cité Noire. Autant dire que des stars en herbe et des starlettes, il en a vu passer des dizaines. Mais Omelianovitch, c’était différent :  » Il dégageait une classe folle mais c’était un insoumis. Il était têtu et réticent à faire tout ce qu’on lui demandait. Mais dans le fond, c’était vraiment un bon gars.  »

AUSSI BON VIVANT QUE FOOTBALLEUR

Fabrice Silvagni n’est pas de la même génération que l’Ukrainien mais il se souvient de son arrivée dans l’effectif des Zèbres et surtout, de l’année durant laquelle il l’a coaché à Walhain, dans les confins du Brabant wallon.  » C’était en 2008 quand le club était en Promotion. Sergeï avait encore beaucoup de bonnes choses à donner et je le voulais pour qu’il encadre les jeunes. Sa saison fut toutefois moyenne, notamment à cause de blessures.  »

On y vient : les blessures. L’un des fils rouges de sa carrière malheureusement. Les mauvaises langues diront que le second, c’était l’amour qu’il portait à la vie avec un grand V : les sorties, les femmes, le reste.  » Il aimait boire un coup, c’est vrai « , assure Mustapha Douai.  » Mais comme plus de la moitié des joueurs de foot. Aimer boire un verre et faire une sortie ne signifie pas qu’on est alcoolique. Ces dernières années, Sergeï avait quelques problèmes de genou et de foie mais contrairement à ceux qui disent qu’il était ivrogne, moi je vous affirme que c’est faux.  »

Les blessures, l’Ukrainien les a multipliées au cours des saisons passées à Charleroi et plus tard, dans les autres clubs où il a transité : Westerlo, Geel, Tubize et Liège entre autres. Il n’a d’ailleurs disputé que 83 matchs pour les Zèbres, une broutille en autant d’années. L’époque des faits d’armes d’Omelianovitch, c’est celle d’un Sporting qui séduit et dont on parle encore aujourd’hui en le comparant à l’équipe de Felice Mazzu. Il y avait Dante Brogno, Alex Teklak, Marco Casto, Laurent Wuillot et consorts.

Fabrice Silvagni :  » Sergeï était très pote avec le fils de Luka Peruzovic. Un soir, ils avaient fait une guindaille tous les deux avec la voiture du coach et ils avaient eu un accrochage. Rien de grave mais l’entraîneur n’avait pas manqué de le rappeler à l’ordre le lendemain matin dans le vestiaire. Et on avait tous ri, évidemment.  » Omelianovitch était aussi bon vivant que footballeur. La question continue de brûler les lèvres de beaucoup de monde : A-t-il brûlé la chandelle par les deux bouts ?

 » Ce que je sais en tous les cas, c’est qu’il n’a pas eu la carrière qu’il méritait. La faute à qui ? Je n’en sais rien. Je pourrais le comparer à Alin Stoica « , détaille Christ Bruno.  » Qu’il boive volontiers un verre, je ne dirai jamais le contraire. Mais ne croyez pas que c’était le gars qui roulait en voiture avec des Carapils sur le fauteuil passager. Je pense qu’il ne faut pas perdre de vue ce qu’il a enduré pour essayer de réussir. De nos joueurs, les jeunes footballeurs sont protégés et choyés mais à l’époque, ce n’était pas le cas. Il est venu sans attache, sans repères. J’avoue que quand j’ai reçu un SMS de RochGérard m’annonçant sa mort, ce fut un coup de fouet. Je garderai indéfiniment l’image d’un mec respectueux.  »

PhilippeDewitte, journaliste pour les quotidiens du groupe Sudpresse, est plus synthétique dans son analyse :  » S’il n’a pas réussi, c’est en partie de sa faute « , dit-il.  » Et l’autre partie, c’est la malchance. Il avait une qualité technique d’exception et je pensais qu’il deviendrait un très grand joueur. Bien qu’il ait arrêté le football, il s’était intégré à la région de Charleroi et avait décidé d’y vivre, comme d’autres anciens Zèbres venus de loin avant : Tibor Balog, Bertin Tokéné, Kevin Pugh,… Tout le monde savait qu’il avait un penchant pour l’alcool mais personne ne devinait que cela se finirait de la sorte. C’est triste parce que c’était quelqu’un de profondément chaleureux et un grand timide.  »

ABANDONNÉ PAR LA VIE

Off the record, quelqu’un nous dit :  » La nuit précédant sa mort, il avait beaucoup bu. Il avait une nouvelle copine depuis peu. Parfois, dans certaines circonstances, on oublie ou on néglige les limites…  » Sans ami et loin des rares membres de sa famille, Sergeï Omelianovitch s’est éteint dans l’anonymat. Mustapha Douai l’évoque :  » Dès que j’ai appris son décès, je me suis rendu au funérarium le plus proche et le voir comme ça, posé sur un brancard dans une petite pièce, comme abandonné par la vie, ça m’a fait mal. Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose. J’ai décidé de lui offrir un départ digne de ce nom. Avec quelques anciens, on a donc organisé ses funérailles à l’église orthodoxe de Montignies-sur-Sambre ainsi qu’un enterrement à Lobbes, où il vivait.

Il faut savoir que sa mère et son frère, ses plus proches parents, vivaient dans un coin dangereux à l’Est de l’Ukraine et qu’ils ont fui sans le sou. Malgré ce que nous avons tenté, ils n’ont pas su être présents en Belgique. Notre souhait est que nous récoltions assez de fonds pour qu’ils viennent un jour se recueillir sur sa tombe et éventuellement rapatrier le corps auprès d’eux. Sergeï était un mec en or. Il ne méritait pas de disparaître dans l’oubli comme un malpropre et je remercie du plus profond du coeur MehdiBayat pour le grand geste qu’il a eu au nom du Sporting de Charleroi (voir cadre ci-dessus) « , conclut son pote de vingt ans.

 » Plus je pense à lui et plus je me dis qu’il était plein de contradictions « , explique encore Christ Bruno.  » Autant c’était une crème au quotidien, autant il était dur sur le terrain. Il savait mettre le pied alors que c’était un artiste. A côté de cela, je l’ai toujours trouvé froid mais humain. C’est paradoxal, je le sais, mais il était ainsi.  »

PAR DAVID DUPONT – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Il était plein de contradictions mais je garderai indéfiniment de lui l’image d’un gars respectueux.  » CHRIST BRUNO, ANCIEN COÉQUIPIER

 » Lors de son test, l’ancien président Jean-Paul Spaute avait interdit au coach de l’aligner en 2e mi-temps. ‘Sinon, on va nous le piquer’ avait-il affirmé.  » RAYMOND HENS, PRÉSIDENT DE L’ÉCOLE DES JEUNES DU RCSC

 » Le voir comme ça, posé sur un brancard dans une petite pièce, comme abandonné par la vie, ça m’a fait mal.  » MUSTAPHA DOUAI, ANCIEN COÉQUIPIER

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