ACCROCHE-COEUR

Pierre Bilic

Crochetto affole ses adversaires des deux pieds.

Totalement inconnu au bataillon au moment de débarquer sur nos pelouses de D1, Grégory Christ, 22 ans, a une arme redoutable dans son arsenal : le crochet.

Le Zèbre l’utilise avec une telle maîtrise que Dug Out, revue des techniciens du football de chez nous éditée en collaboration avec l’Union Belge, lui consacrera un reportage dans son prochain numéro. Et c’est vrai que cette race de funambules est en voie de disparition comme le sont les léopards ou les rhinocéros blancs. Il faudrait lancer une grande action  » sauvez les crocheteurs  » avant que le dernier spécimen ait quitté la planète foot, victime des tsunamis tactiques qui emportent tous les talents sur leur passage.

Sans le savoir, Grégory Christ est un des derniers acrobates des pelouses, un spécialiste du dribble pour le dribble, un expert du crochet. Frans Masson, le directeur de l’école des entraîneurs du Heysel, ne manque pas d’éloges quand il parle de cet artiste pas encore assez connu.

 » Je l’ai bien observé lors du match de championnat Charleroi-Standard « , explique-t-il.  » Son don était déjà connu. Mais, là, j’ai découvert que ce gaillard détenait un double crochet des deux pieds. C’est extrêmement rare. Wilfried Puis, Jef Jurion, Pierre Hanon et Robby Rensenbrink crochetaient bien mais cela ne date pas d’aujourd’hui. Pour le moment, je n’en connais pas deux comme lui en Belgique. Sur les flancs, les crocheteurs sont de redoutables créateurs d’espaces. Ils peuvent déposer leur adversaire direct et disposent alors de temps et de profondeur afin de ravitailler leurs attaquants. Il est difficile de neutraliser correctement de tels phénomènes. On tartine beaucoup pour le moment sur le passement de jambes. Cette feinte est bien plus facile à enrayer que le crochet : il suffit de fixer le ballon et de ne pas regarder le dribbleur. Dans le cas du crochet, c’est presque du poker menteur. Dans ce duel d’homme à homme, l’arrière ne sait jamais quand il sera crocheté. Sa seule chance réside dans le fait de prévoir la trajectoire de la balle. Pour cela, il est intéressant de noter la position de la pointe du pied d’appui qui indique toujours la direction du crochet. A la sortie de cette phase, le dribbleur doit agir très vite et être concret, sans quoi ses efforts sont vains. On devine tout de suite que Grégory Christ est un surdoué issu de l’école française. Quand on détient un tel talent, on lui permet d’utiliser son don. J’ai remarqué qu’il ne tenait pas encore le coup durant 90 minutes. Il doit s’habituer au rythme de la D1, garder assez de lucidité afin de tenter le crochet qui tue au bon moment, parfois à la 90e minute de jeu. Il a la chance de travailler sous les ordres de Dante Brogno qui sait ce qu’est un bon crochet « .

Le successeur de Dante Brogno

L’adjoint de Jacky Mathijssen partage globalement le même avis que Frans Masson.  » Grégory Christ doit exploiter sa botte secrète le plus judicieusement possible « , avance-t-il.  » Il a indiscutablement du culot et c’est une force que personne n’a le droit de museler. Grégory Christ crochète toujours vers l’avant, jamais latéralement. Sa frappe est bonne mais il ne l’exploite pas assez à la sortie de ses crochets. Greg signe ses trouvailles techniques des deux pieds. Il a tendance à enchaîner les crochets. C’est magnifique mais le problème de l’efficacité peut alors se poser. Contre Bruges, il a déposé la défense adverse sur le derrière mais, sur son élan, notre artiste a tenté un deuxième crochet au lieu de terminer son action par un plat du pied victorieux. En se compliquant la vie, il a permis à la défense de Bruges de trouver la parade et d’éviter un but. Cette phase de jeu l’a fait réfléchir. Il doit parfois être égoïste à la percussion. Grégory alterne les crochets courts et longs sans le moindre problème. Nous l’incitons à varier ses coups. S’il sort sans cesse son crochet, l’efficacité laissera à désirer. Il vaut mieux en tenter cinq ou six qui font la différence que toute une batterie qui n’étonne plus personne. Je lui conseille de se rapprocher de la zone de vérité. A 30 mètres du but, ou carrément dans le rectangle, un bon crochet fait des ravages. Cela se prépare. Il doit cacher ses intentions en combinant avec la ligne médiane, en simplifiant son jeu, en se contentant d’une ou deux touches de balle, avant de frapper. Balle au pied, ce technicien progresse très vite. Dans un registre différent, il me fait penser à Christian Wilhelmsson. Actuellement, Grégory Christ est un crocheteur-passeur, et il doit ajouter le mot efficacité à son vocabulaire. S’il travaille, ce joueur sera encore bien plus impressionnant dans un ou deux ans. C’est un diamant comme tous les crocheteurs, n’est-ce pas ? »

Capitaine Crochet connaît évidemment son sujet. Sans le mesurer, le Christ est un de ses apôtres. Fils d’une maman réunionnaise et d’un papa de lointaine origine égyptienne, ce pharaon du crochet a un frère, Karim, qui fut une des promesses du football français et joua au Stade de Reims.  » Dante Brogno me conseille sans cesse et j’ai besoin de ses tuyaux, de son expérience « , dit-il.  » Je dois être plus concret à la finition. Je suis le prototype du jeune footballeur des quartiers. A Beauvais, on jouait un peu partout, que ce soit sur les places publiques, dans la rue, au pied des HLM, etc. Là, on n’a pas d’espaces. Tous les joueurs sont obligés de dribbler sans cesse, jusqu’à l’étourdissement. Cela a marqué à jamais mon style. Les idoles des jeunes de quartiers sont forcément des dribbleurs. J’adore Rivaldo : il est unique, personne ne crochète de la même façon que lui. Et, à la fin de son action, il sort souvent une petite balle bien placée ou un tir canon. Les Brésiliens font rêver les cités. Ils ont une autre dimension. Au centre de formation de Beauvais ou, un peu plus tard, au Racing Club de France, mon crochet a souvent fait la différence. Il m’a permis d’aligner les passes décisives mais il y a une grande différence entre la CFA, quatrième niveau du football français, où le Racing jouait la saison passée, et la D1 belge. En D1, le jeu est forcément plus engagé et j’ai dû gérer la différence de niveau technique et tactique. Rien n’est facile en Belgique « .

Pierre Bilic

 » J’ADORE RIVALDO : il est unique, personne ne crochète de la même façon que lui « 

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