Accro aux buts, à l’alcool et à la coke

Wim Kieft (51 ans) s’est drogué et a bu durant vingt ans. Il a vu la mort. Michel van Egmond, un journaliste de l’hebdo VoetbalInternational, a écrit l’histoire de l’avant blond. Une histoire poignante, qui débute par sa troisième admission en cure de désintoxication.

« Après quelques jours, j’ai fui la clinique. J’ai commandé un taxi puis j’ai siphonné quatre Drambuie (une liqueur à base de whisky écossais, ndlr) au premier café, avec mes derniers sous. Puis j’ai pris le train d’Amsterdam. A mi-chemin, à Den Bosch, je suis descendu pour acheter une bouteille de vin. Je l’ai vidée bien avant d’arriver à destination. Puis j’ai acheté de la coke et je me suis enfermé dans une chambre d’hôtel.

Je ne sais même plus dans quel hôtel je suis descendu. Tout ce dont je me souviens, c’est que le réceptionniste m’a dit, à mon arrivée : -Ah, Monsieur Kieft, quel honneur que vous passiez la nuit chez nous. Nous pouvons vous proposer une suite. Je m’y suis retrouvé avec quatre bouteilles de vin de chez Albert Heijn et une montagne de coke.

Je n’ai fait que boire et prendre l’ascenseur pour faire le tour des dealers. J’ai vraiment pensé que je courais à ma fin. Que j’allais mourir dans cette chambre d’hôtel, tout seul. Pour la première fois, j’ai réalisé que j’étais impuissant face à ces drogues. J’ai compris à quel point j’étais tombé bas. Plus bas, c’était impossible, à part dans un cercueil.

Je suis parti après deux nuits. Je n’en pouvais plus. Parfois, on en a assez. Ce fut ma chance. Je suis retourné à la clinique, tête basse car ces gens avaient tout mis en oeuvre pour m’aider et je m’étais enfui. Sans payer, en plus. Ma personne de confiance paniquait. – Tu es impossible, Wim. Nous ne pouvons pas t’aider. Cette fois, tu es allé trop loin. C’est un miracle si tu es toujours en vie. J’étais mort de honte mais le personnel de la clinique avait raison.

Première biture à 17 ans

Wim Kieft a douze ans quand l’Ajax le repère chez les amateurs de Madjoe. C’est le club de ses rêves mais il est envahi par un étrange malaise au complexe de Voorland.  » La peur de l’échec constitue un fil rouge dans ma vie. Tous les garçons appelés par l’Ajax en étaient fiers, sauf moi. J’ai toujours eu un complexe d’infériorité. Très vite, je suis tombé amoureux du football. C’était une passion dévorante mais je n’en profitais déjà plus au moment où tout a vraiment commencé. Même plus tard, quand j’ai commencé à marquer, ce sentiment d’insécurité ne m’a plus quitté. Quand je trouvais le chemin des filets, les autres se réjouissaient plus que moi. C’est dingue.  »

Wim Kieft a 17 ans, en 1979, quand Leo Beenhakker le reprend dans le noyau A de l’Ajax. Le club fonce vers le titre et en automne, il organise sa traditionnelle journée de pêche. Tout le noyau va pêcher au Nord de la Hollande. Suit une soirée bowling. Kieft fume sa première cigarette à cette occasion.  » La plupart des joueurs plus âgés fumaient cigarette sur cigarette. Je ne sais pas pourquoi je les ai imités. Je n’ai pas réfléchi. J’ai fumé la moitié du paquet de Piet Schrijvers tout en m’enivrant. J’étais bourré.

Le lendemain, Beenhakker me convoque. -Alors, raconte. Que t’arrive-t-il ? As-tu engrossé la femme du voisin ? Ta femme est-elle incurable ? Raconte, Witte. Il n’y a rien à dire. J’avais bu et je trouvais ça génial. Beaucoup trop chouette.  »

L’année suivante, il est titulaire et il est meilleur buteur européen avec 32 goals à l’issue de sa troisième saison, un fait unique pour un avant qui n’a même pas vingt ans. Kieft est un des premiers footballeurs à faire la une des magazines féminins, l’ultime rêve de sa génération. Les garçons imitent les trucs de Gerald Vanenburg et les filles veulent embrasser Kieft.  » Elles faisaient la file, elles ont commencé à me poursuivre. Elles me suivaient jusqu’au seuil de ma maison. J’étais devenu l’idole des adolescentes néerlandaises alors que je n’avais encore jamais embrassé une fille.  »

La position des extrêmes

 » Je n’avais pas envie de sortir, de m’entendre dire que tout allait bien. Plutôt me cacher ! Il n’y avait rien de pire que d’inscrire trois buts puis de devoir entrer dans le foyer des joueurs de l’Ajax. Je détestais ça. En fait, jouer en attaque de l’Ajax était trop facile. Je n’avais qu’à attendre une passe, aller au premier poteau et mettre le ballon dedans.  »

Wim Kieft est passé maître dans l’art de relativiser.  » Il n’y a qu’une position intéressante : l’attaque. Car on peut y être décisif. Car c’est tout ou rien. C’est passionnant. L’euphorie et la valorisation sont énormes en cas de succès, la déception et la honte aussi grandes dans le cas contraire. C’est la position des extrêmes. C’est pour ça qu’elle me convenait si bien. Je cherchais le stress, le kick d’adrénaline, la délivrance. Je veux dire que certaines personnes sont dépendantes avant même de commencer à se droguer. Je crains d’être de celles-là.  »

Kieft se rappelle l’automne 1982. Il a 19 ans. En compagnie de son amie Sylvia, âgée de seize ans, d’Aad de Mos et d’une délégation d’Adidas, il prend place dans un avion privé. Il va recevoir le trophée du meilleur buteur européen au Lido mais il n’en a pas la moindre envie.

 » On le comprend en voyant les photos. Il y a Michel Platini de la Juventus, Falcao de l’AS Rome, Zico et puis un minable en cravate dont personne n’a jamais entendu parler. Moi. J’ai été soulagé quand on m’a permis de descendre du podium. Je suis allé me cacher aux toilettes.  »

En été 1983, le moment est venu de toucher les dividendes de son succès. Trois titres et une Coupe avec l’Ajax, le titre de meilleur buteur européen, international. Un contrat plantureux l’attend à Pise : 136.000 euros par an plus au moins 53.000 euros de primes, un appartement de luxe et une voiture. Kieft gagne sa vie.  » Savez-vous ce que j’en pense ? Qu’après l’Ajax, je suis devenu le spectateur de ma propre carrière.  »

Conversation avec une souris

Dans le courant des années 90, après ses adieux au football, il sniffe sa première ligne de cocaïne dans une discothèque d’Amsterdam, avec la même insouciance qu’autrefois, quand il a fumé sa première cigarette.  » Je ne me souviens pas de ce qui m’y a poussé. C’est bizarre car je n’avais encore jamais vu cette saloperie et je n’y avais même jamais pensé. En même temps, dès que j’ai vu la drogue, elle m’a fasciné. Et après avoir essayé, j’en suis devenu fou. D’emblée. Dès la première fois, j’ai été perdu.

J’ai consommé de la coke pendant vingt ans mais les cinq dernières années ont vraiment été atroces. Au début, on en prend parce qu’on trouve ça bon mais on dépasse vite ce stade. Problèmes d’argent, problèmes mentaux, ennuis de santé, problèmes relationnels… Votre vie s’effondre. A la fin, ça n’a plus rien d’une jouissance. Vous ne faites plus que vous anesthésier car une fois sobre, vous vous sentez terriblement abattu. Vous voulez l’éviter à tout prix. Donc, vous en reprenez. Vous tombez dans un cercle vicieux. J’ai fait les pires conneries. La nuit, j’ai passé des heures assis dans l’escalier, un couteau de cuisine en main, parce que je croyais entendre des gens chez moi.  »

La consommation de drogue le ronge. Dans sa maison, Rooseveltlaan, il parle souvent à une… souris.  » J’étais convaincu que l’animal et moi nous comprenions. Tôt ou tard, la drogue vous rend paranoïaque. Vous voyez des choses qui n’existent pas. Dans ma chambre, j’avais peur de ne pas entendre la porte d’entrée si quelqu’un pénétrait chez moi. J’ai donc installé toute une batterie de verrous. Et j’ai placé une chaise sous la clenche de la porte. Puis une autre chaise contre, pour être sûr. J’accumulais plein d’objets contre la porte.  »

Rongé par l’anxiété, après avoir divorcé de Sylvia, avec laquelle il a eu trois enfants, il passe presque toutes les nuits à l’hôtel.  » Je les ai tous faits. Du plus modeste jusqu’au Krasnapolsky. Je dormais seul mais je me savais entouré de gens dans les chambres du haut, du bas, d’à côté. Cela me rassurait, même si je plaçais toujours une chaise contre la porte, de peur qu’un intrus n’entre. Cette paranoïa a duré longtemps. Pour diverses raisons, plus pratiques. Quand j’avais épuisé mes stocks d’alcool à la maison, je pouvais vider le minibar.  »

Fred Rutten, le sauveur

Le champion d’Europe 1988 erre en rue sans but. Dans un magasin Albert Heijn, on le surprend à voler… un poulet mariné. Après une bagarre dans un avion, on l’arrête à l’aéroport de Schiphol, à moins qu’un dealer ne lui casse la figure.  » Quand les gens de la rue comprennent que vous êtes accro, ils vous fourguent n’importe quoi. De la poudre à lessiver ou de la mort aux rats s’il le faut. Ça m’est arrivé à Londres aussi. J’ai vu que ce con prenait un autre produit alors que je l’avais déjà payé. Pourtant, je continuais. Cette maladie vous rend incontrôlable. Votre raison vous dit d’arrêter mais vous continuez quand même.  »

En 2009, Fred Rutten demande à Kieft de devenir l’entraîneur des attaquants du PSV. Il est aussi le premier à lui parler de son alcoolisme.  » Fred est un homme bien. Je lui ai souvent menti, comme à Kees Jansma, un autre ami. Un soir, il m’a vu descendre un verre de vin après l’autre. Il m’a dit : – Je pense que tu as un problème d’alcool. On n’a pas parlé des drogues. C’est venu plus tard. J’avais contracté des dettes auprès d’un dealer et j’ai demandé de l’argent à Fred, en prétendant que c’était pour rembourser mon prêt hypothécaire mais Fred avait compris.

Il a pris ses distances, il est devenu froid. Ça marche avec moi. Quand quelqu’un prend ses distances alors que vous savez qu’il ne veut que votre bien, vous vous sentez mal. A la fin, il m’a dit qu’il allait m’aider. Nous avons d’abord parlé de la boisson. – D’accord mais je dois savoir autre chose : consommes-tu de la cocaïne aussi ? Ce soir-là, pour la première fois, je l’ai avoué.  »

Kieft est admis dans une clinique de désintoxication à Best. Sept semaines plus tard, il rentre chez lui.  » Le programme était arrivé à son terme, je n’avais plus qu’à rester clean.  » Il le reste cinq mois puis il boit un verre de vin blanc.  » J’ai à nouveau dégringolé la pente. Dès qu’on recommence, on rechute. Et non, on ne recommence pas avec une petite bouteille de vin mais avec la dose qu’on consommait avant d’arrêter : trois bouteilles et quatre packs par jour.  »

Ivre mort dans l’avion

Kieft est très mal en point, l’hiver 2012.  » Je me sentais seul. Pendant quatre jours, j’ai bu six bouteilles et sniffé une montagne de coke tous les jours. Jusqu’à ce que je n’en puisse plus. Le soir du Nouvel-An, j’étais tout seul à regarder le feu d’artifice. Je me sentais comme une merde mais heureusement, j’ai pensé que ça ne pouvait plus continuer. J’ai téléphoné à la clinique. J’ai passé sept semaines de plus à Best. J’ai traversé une crise terrible.  »

Mais la clinique est sûre, il y est à l’abri des dealers auxquels il doit de l’argent. Un vendredi soir, quand il rentre chez lui, il voit un message peint sur sa porte : DOOD ! Mort. Peu après, le dealer, auquel il doit 11.000 euros, est à sa porte.  » Avec un pistolet. Ma fille aînée était derrière moi, sur le seuil. J’ai téléphoné à mes parents et je les ai suppliés à genoux de me donner de l’argent. Ils m’ont aidé. Sans cela, mes problèmes auraient été pires. J’ai commencé à avoir peur. Je ne sortais plus en rue sans couteau.  »

Au printemps 2013, Kieft craque une deuxième fois. L’ancien attaquant a participé à un programme d’aventures en Afrique avec quelques autres Néerlandais connus. Au retour, la compagnie fait escale à Tel Aviv.  » Il était dix heures du soir. De mon lit, je voyais le minibar. Dehors, il y avait de la musique . Je me suis habillé et je me suis rendu à un petit bar de plage. Evidemment, j’ai immédiatement foiré.

Le lendemain, je rentrais à la main en business class. Un cadeau de Lufthansa. Comme par hasard, j’ai toujours eu un péché mignon : boire en avion. Donc, d’Israël à Amsterdam, je n’ai pas arrêté. J’avais l’impression d’être un king, si haut dans les airs, avec mes bouteilles chères et mes discours. J’étais ivre mort à Amsterdam. Je me suis retrouvé seul dans une maison vide. Seul. Je pouvais faire ce que je voulais, enfin. La tentation est devenue trop forte. Je n’y ai pas résisté et j’ai appelé le dealer. Quel con je suis ! La folie a repris de plus belle.  »

Enfin clean

Le bilan de 20 ans d’assuétude : un mariage fichu, deux relations ratées, quatre enfants. Kieft pense avoir sniffé pour plus d’un demi-million d’euros.  » Quand on est vraiment accro, on donnerait son bras droit pour cette saloperie.  » En rue, un gramme de coke coûte 50 euros. A raison de cinq grammes par semaines, ça fait mille euros par mois.  » Or, à certains moments, je consommais huit grammes par jour. C’est très simple : un moment donné, on est fauché. Et les problèmes commencent. On emprunte de l’argent, on ne rembourse plus rien et on n’en sort plus.  »

Une construction fiscale de son ancien agent, Cor Coster, le beau-père de Johan Cruijff, lui coûte un million et demi. Sa dette finit par s’élever à 400.000 euros.  » Ce n’était peut-être pas plus mal. Un camé avec un compte en banque bien rempli est encore plus tenté de continuer.  »

L’analyste, très prisé, est désormais clean depuis seize mois. Il apure ses dettes et vit avec moins de vingt euros par jour. Il n’a plus de voiture : il ne pourrait de toute façon pas payer l’essence. Tous les jours, il arpente Amsterdam à vélo, un vieil engin sur lequel est monté un siège usé pour Feline, sa fille de quatre ans.  » Quand les gens me voient pédaler en ville, ils disent : – Regarde, voilà Wimpie Kieft. Il est vraiment resté simple, hein. Foutaises ! Si j’avais encore de l’argent, je me déplacerais en taxi.  »

Il mène une âpre lutte pour reprendre le contrôle de lui-même. Il risque à tout moment de rechuter. Il se rend tous les jours aux AAA, il pratique la méditation et le yoga.  » Je peux à nouveau éprouver des sentiments, sentir des choses. C’est une joie ou un chagrin, selon. Ce chagrin est profondément ancré en moi, il me fait très mal mais au moins, c’est un véritable sentiment et c’est beau.  »

Il consulte plusieurs fois par semaine un psychothérapeute et il se rend tous les jours à la pharmacie pour y prendre un somnifère car un drogué en cure qui dort trop peu est susceptible de rechuter encore plus facilement.  » Ces pilules me permettent de me calmer et de dormir. J’en prends une par jour. Le pharmacien ne veut pas me donner de boîte, de peur que je n’avale tous les comprimés d’un coup. Il n’a sans doute pas tort.  »

 » Kieft  » est publié par Voetbal International au prix de 19,95 euros.

PAR CHRIS TETAERT – PHOTO : JACQUELINE DE HAAS

 » Dès que j’ai essayé la drogue, elle m’a fasciné. Mais, à la longue, elle m’a rendu complètement fou. J’en consommais jusqu’à 8 grammes par jour.  » Wim Kieft

 » J’ai passé des heures assis dans l’escalier, la nuit, un couteau de cuisine en main, parce que je croyais entendre des gens chez moi.  »

Le bilan de 20 ans d’assuétude : un mariage raté et des dettes à n’en plus finir. Kieft a sniffé pour plus d’un demi-million d’euros pendant tout ce temps.

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