Accordéon ou piano?

Une lueur malicieuse filtre entre les longs cils de Tamara Savic lorsque Nenad Jestrovic s’inquiète de la provenance du veau qu’il s’apprête à déguster. « Oui, ça le tracasse vraiment! Il est très attentif à la qualité de la nourriture ».

La vie à deux est bien plus agréable, surtout quand on joue à l’étranger. Avant, je me retrouvais seul à la maison, après les entraînements. Désormais, ma femme est là. Tamara suit mes matches et elle est mon meilleur supporter. Lorsque j’ai un problème, je peux en discuter avec elle. Mais ce n’est pas pour m’épargner des tâches ménagères car je m’en acquitte volontiers, à part la cuisine. En fait, je ne peux pas passer la journée devant la télévision.

Comment vous êtes-vous connus?

Oh, c’est une longue histoire! Tamara est née en Suisse et elle y a grandi mais elle revenait souvent à Obrenovac, sa ville natale, située à vingt kilomètres de Belgrade. Nos deux familles habitent à deux cents mètres l’une de l’autre et nous avons souvent joué ensemble, nous allions nager dans la rivière. Dès que je l’ai vue, j’en suis tombé amoureux. J’avais 17 ans, elle 14. C’est un amour d’enfance, si vous voulez.

Et la distance?

Elle a mis nos sentiments à l’épreuve. Comme sa mère travaillait pour la compagnie d’aviation yougoslave à Zurich, elle bénéficiait de ristournes sur les vols et elle revenait souvent à Obrenovac le week-end. Nous avions tous deux beaucoup d’activités. J’ai étudié l’accordéon, pendant six ans -je n’aimais pas, pourtant, j’ai fait de la lutte pendant un an et j’ai terminé quatrième du championnat yougoslave et troisième du serbe. J’aimais bien la lutte dans la mesure où c’est un sport individuel mais elle ne m’offrait aucun avenir, contrairement au football, auquel je ne suis venu qu’à l’âge de treize ans. Et encore: remplaçant lors du premier match, j’ai été dégoûté. Je n’avais joué qu’une ou deux minutes! Je n’ai plus voulu jouer mais l’entraîneur est venu me rechercher après. J’ai également étudié l’électro-mécanique pendant quatre ans.

La suite a été plus difficile?

Oui, car je me suis expatrié et Tamara, prise par ses études, n’a pu me rejoindre qu’il y a un an. A Metz, ça allait encore car il n’y a que trois heures de route jusqu’en Suisse. Donc, quand j’avais deux jours de liberté, je pouvais la rejoindre. Mais quand je jouais à Bastia, elle devait prendre l’avion. C’était moins facile. Mais après les examens, pendant les vacances, elle me rejoignait.

Vous teniez à vous marier.

Oui, chez nous, il est très rare que des couples cohabitent comme on le voit ici. Les enfants continuent à habiter chez les parents jusqu’à leur mariage. Cette cérémonie est un engagement. Nous n’avons jamais songé nous y soustraire mais nous avons attendu que la situation en Yougoslavie se stabilise. Nous nous sommes donc mariés en juin dernier. Nous voulons construire quelque chose ensemble, avoir des enfants, deux ou trois. Quand? Pourquoi ne pas l’envisager dès maintenant? Ainsi, ils seront déjà grands quand ma carrière sera achevée et Tamara pourra travailler. Je ne suis pas macho. Et puis, chacun son tour (il éclate de rire): quand je me lève le matin pour m’entraîner, elle a bon, elle! Non, je plaisante car je me reconvertirai sans doute dans le football. Je ne pourrais pas rester à ne rien faire.

Vous continuez à habiter en France.

A Bondues, à neuf kilomètres de Mouscron et de Lille. C’est pratique. Nous n’avons rien trouvé en Belgique ou alors, nous devions aller à Gand mais je n’aime pas faire la navette.

Vous louez la maison mais vous y avez vos propres meubles.

Certains joueurs m’ont dit qu’ils préféraient louer des meublés en attendant de faire construire. Mais avoir ses meubles est important pour se sentir chez soi. Nous avons nos goûts et comme ça, nous pouvons décorer la maison, la transformer en foyer. Nous aimons le baroque. Nos meubles sont clairs, avec des contrastes, afin que les pièces soient très lumineuses.

Le père de Tamara a émigré en Suisse il y a trente ans, sa mère il y a vingt-cinq ans. D’un naturel ouvert, enthousiaste et fougueux, Tamara ne correspond pas au cliché selon lequel les Suisses sont renfermés. « A l’époque où mes parents ont émigré, la Suisse avait besoin de main d’oeuvre. Maintenant, il est plus difficile de s’y installer, bien qu’elle reste un bouillon de culture. On y rencontre beaucoup de Yougoslaves, d’Italiens, d’Espagnols. Je possède la double nationalité suisse et yougoslave mais je me sens yougoslave ».

Vous avez eu une vie bien remplie jusqu’à présent…

Oui, les écoles suisses proposent énormément d’activités à des prix abordables. J’ai pratiqué des tas de sports. Je m’adonne toujours au snowboard et à la danse. Dès l’âge de cinq ans, j’ai appris la danse classique et le jazz. Ensuite, je suis entrée dans une compagnie de spectacles qui s’est produite en Allemagne, en Autriche, en Suisse. Pendant un an, nous avons accompagné un chanteur connu en Suisse, Didier Bobo. J’ai également passé deux ans à l’opéra de Suisse. Ici, seule, il m’est difficile de trouver une place. J’entretiens ma forme à l’académie de Lille. Mais quand la carrière de Nenad sera achevée, je voudrais ouvrir une académie de danse en Yougoslavie.

Vous avez tenu à achever vos études.

Avoir un diplôme est important. J’ai étudié le Commerce et le Tourisme en Suisse. J’y ai appris le français, l’allemand et l’anglais.

Comment vivez-vous votre statut d’épouse de joueur?

Avant de connaître Nenad, je ne m’intéressais qu’aux grands matches. Depuis, évidemment, je suis le football de près. Pendant les matches, je suis nerveuse mais je n’en laisse rien transparaître. Jamais il ne me viendrait à l’idée de crier. D’ailleurs, à supposer qu’il m’entende, il sait mieux que moi ce qu’il doit faire.

Vous n’êtes pas jalouse de l’intérêt qu’il peut susciter auprès d’autres femmes?

Pas du tout. A Metz, ça a été un peu plus difficile car il a vécu seul pendant un semestre et des filles l’ont cru libre. Elles lui glissaient des papiers avec leur numéro de téléphone.

Vous n’avez pas le mal du pays?

Nenad ne peut revenir au pays qu’en décembre et en juin, mais il m’arrive de retourner en Suisse ou en Yougoslavie entre-temps, pour revoir ma famille, mes copains.

Quels sont vos loisirs?

Nous menons une vie très calme. Lorsque Nenad a un jour de congé, nous allons nous promener à Lille, à Anvers, à la mer, tranquillement. Il m’aide spontanément à entretenir la maison. Il est tout le contraire d’un macho! Natif du Taureau, il est plus calme que moi mais il sait ce qu’il veut. Il foncera la tête dans le mur! Moi, je suis Bélier. Plus impulsive, oui. J’adore faire du shopping et Nenad m’accompagne volontiers. D’ailleurs, il en profite pour s’acheter des fringues aussi. En fait, mon mari est aussi ma meilleure copine! Parfois, je lui dis que comme j’ai étudié le piano et lui l’accordéon, nous pourrions former un duo mais il n’aime pas jouer.

Vous plaisez-vous en Belgique?

Oui, davantage qu’en France. L’Excelsior est très familial et bien organisé. Les femmes sont ensemble pendant les matches. A la Noël, par exemple, le club organise une fête avec les épouses. Ce n’était pas le cas en France. Nous étions disséminées dans le stade, dans des tribunes différentes et il y avait des clans. A l’instar de leurs maris, les femmes se regroupaient en petits groupes. Ce n’était pas sain.

Pascale Piérard

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