ACCEPTER LE DANGER

Idéaliste et réaliste en même temps, le jeune sélectionneur hollandais tente de concilier sa vision et les résultats.

Si l’âge – soit l’expérience – comptait, il ne serait pas sélectionneur. Il a 41 ans et n’a jamais entraîné de club, à aucun niveau que ce soit. Laconique, Marco van Basten lâche :  » En revanche, comme joueur, je ne manque pas d’expérience. Cela aide. Il m’est difficile de dire si je suis un bon sélectionneur. Peut-être dira-t-on plus tard : – Il était trop léger pour le poste. On verra bien. Je fais de mon mieux « .

L’entraîneur des Pays-Bas fait face à une demi-douzaine de représentants de magazines sportifs européens. A l’arrière-plan, discret, son adjoint. On demande quels sont les leaders de sa sélection. Van Basten souligne l’importance de l’intelligence du jeu :  » Elle vient souvent avec l’âge mais certains l’ont déjà à 20 ans. Ils lisent le jeu et peuvent transmettre leur science aux autres « .

Notre collègue allemand veut savoir si Raphaël van der Vaart a l’étoffe d’un leader, puisqu’il se produit maintenant pour Hambourg. Van Basten :  » Van der Vaart sait très bien comment il faut jouer et il commence à avoir une certaine influence sur les deux ou trois joueurs qui l’entourent. Quand il en aura sur ses dix coéquipiers, il sera un tout grand « .

Son visage ne trahit pas la dureté réelle de ses propos. Il répond sans ciller. C’est de notoriété publique : Van Basten se fiche de sa réputation.  » Il a une personnalité très tranchée « , explique John van ‘t Schip, son adjoint de 42 ans, au terme de l’interview.  » Il le sait. Nous avons la même opinion sur bien des points mais nous sommes différents. Marco est plus direct que moi : ainsi, quand il trouve un joueur bon, il veut le sélectionner tout de suite. Je lui conseille d’attendre. Cette différence nous rend complémentaires. Nous travaillons bien ensemble mais c’est évidemment lui qui tranche, à la fin. Il doit expliquer ses décisions aux joueurs. Ce serait impossible s’il ne les avait pas prises sciemment « .

Les deux quadragénaires sont amis. Ils n’ont joué que pour deux clubs. Ils ont effectué leurs débuts à l’Ajax en 1981-1982 et ont achevé leur carrière en Italie, Van Basten à l’AC Milan, Van ‘t Schip à Gênes. Van Basten a joué son dernier match en mai 1993 et a effectué ses adieux officiels deux ans plus tard, à cause de chevilles usées. Il a disparu de la scène footballistique pour se consacrer au golf, avec fanatisme si on en juge par son handicap : cinq.  » Faire mieux devient difficile. Je ne joue plus aussi souvent. Je n’ai plus le temps et je souffre encore des chevilles « .

Un ami comme conseiller

Van ‘t Schip est devenu entraîneur des jeunes de l’Ajax puis a entraîné le FC Twente, sans connaître un franc succès. Il est donc revenu aux jeunes d’Amsterdam. En 2003, Van Basten, qui avait entamé son stage d’entraîneur, est devenu son adjoint. Van ‘t Schip :  » C’est moi qui ai proposé Marco. Un tel homme est un cadeau pour un club, c’est un monument. L’objectif était d’inverser les rôles au bout d’un an. Il est logique qu’il soit le chef. Il attire l’attention générale. Cela ne me pose pas de problème « .

Van Basten a succédé à Dick Advocaat le 29 juillet 2004 après l’EURO :  » Quand j’ai débuté comme entraîneur, je n’imaginais pas devenir sélectionneur au bout d’un an. C’était vraiment drôle. John et moi travaillions avec l’équipe B de l’Ajax, nous nous amusions et ne pensions à rien d’autre. Au terme de cette année a eu lieu l’EURO au Portugal. Le style de jeu des Pays-Bas a valu une volée de bois vert à certaines personnes. Un membre de la Fédération a alors téléphoné pour demander si le poste nous intéressait. J’étais stupéfait. J’en ai parlé à John mais je ne m’y voyais pas. Je n’ai compris quelle chance c’était qu’après dix jours et un entretien avec Johan Cruijff. Un sélectionneur a beaucoup de temps : c’est un atout quand on débute. Evidemment, on remarque très vite l’ampleur de ses responsabilités « .

L’avis de Johan Cruijff a été décisif. Cruijff a déterminé leur philosophie du football depuis leur tendre jeunesse. Le meilleur footballeur batave de tous les temps est aussi conseiller de l’équipe nationale. Van Basten :  » Nous pouvons toujours lui téléphoner. Il donne son avis mais nous assumons la responsabilité des décisions. Son opinion compte beaucoup aux Pays-Bas. Il a été un grand footballeur, il est intelligent et il a toujours quelque chose d’intéressant à dire. Je l’ai connu comme coéquipier, entraîneur et maintenant, il est un ami. C’est un avantage « .

La proximité du Mondial en Allemagne ravive le souvenir de l’édition précédente, en 1974, en Allemagne de l’Ouest. Les Pays-Bas ont perdu la finale face à elle (2-1) mais dans la mémoire collective, cela reste le tournoi des Pays-Bas. Qui donc a dit que c’était bien plus important que la victoire finale ? Van Basten :  » C’était Johan Cruijff, je pense « .

Partage-t-il son avis ? Il hésite.  » Il est important de développer un beau jeu et de gâter les spectateurs mais il faut aussi essayer de gagner. Je suis entre les deux : couronner un beau match d’une victoire est magnifique. Pas seulement pour le football mais aussi parce que la victoire est alors justifiée et que personne ne peut la remettre en cause. J’espère que le meilleur gagne « .

Il a transformé l’équipe nationale dans la perception de ses compatriotes et a établi un nouveau record national en restant invaincu pendant 16 matches de suite. L’Italie a interrompu la série le 12 novembre 2005 dans une joute amicale (1-3). Cela tempère les espoirs de ses compatriotes pour le Mondial mais Van Basten ne voit pas les choses sous cet angle, il accepte de s’exposer, de se mettre en danger :  » Quand on est bon et qu’on gagne, on ne doit rien négliger. Mais ce duel était intéressant car nous alignions quelques néophytes. Certains étaient bons, d’autres pas. Nous le savons, maintenant « .

L’intérêt de l’équipe avant tout

Après l’EURO portugais, plusieurs internationaux ont raccroché et Van Basten a passé en revue une série de jeunes joueurs :  » Les débuts n’ont pas été faciles. Notre objectif, c’est l’EURO 2008, mais comme nous avons livré de bonnes qualifications, nous visons quand même le Mondial. C’est un bonus, pas un must, car l’équipe est jeune et inexpérimentée. Il ne serait pas correct d’en attendre trop pour le moment « .

La cure de rajeunissement n’a pas été menée uniquement par obligation. Van Basten a décidé de ne plus faire appel à quelques noms comme Clarence Seedorf.  » Selon nous, certains joueurs de renom pouvaient être remplacés par d’autres qui s’intégraient mieux à l’équipe. Nous campons sur nos positions. Je trouve essentiel qu’un joueur se produise dans l’intérêt de l’équipe et pas dans le sien. C’est le seul moyen pour un pays comme le nôtre de jouer un rôle significatif dans un grand tournoi. Nous n’avons pas les qualités du Brésil ou de l’Argentine, qui puisent dans un énorme réservoir de joueurs ultra doués. Nous devons miser sur le collectif « .

Van Basten s’empresse d’ajouter qu’il a également besoin de footballeurs qui fassent la différence, comme Arjen Robben :  » Robben est très fort individuellement tout en travaillant pour l’équipe. On a beau travailler le jeu de position, si personne n’émerge, on n’obtient rien. Les attaquants doivent faire la différence, les médians devant assurer l’équilibre de l’occupation de terrain « .

Il a appris à réfléchir à cet équilibre depuis qu’il est coach :  » Joueur, j’étais bon, doté d’un certain bagage technique, mais je dépendais des ballons reçus. C’est pour ça que le collectif était aussi important à mes yeux et que maintenant plus encore qu’avant, je planche sur le style de jeu. Je veux que les attaquants reçoivent des ballons exploitables « .

Son principal défi actuel est de travailler avec les meilleurs joueurs nationaux :  » Un sélectionneur a beaucoup de temps, beaucoup de loisirs aussi, ce qui compte pour moi. J’ai besoin de parenthèses. Par contre, quand je fais quelque chose, c’est pour gagner « .

C’est l’avantage d’un sélectionneur : il peut choisir ses joueurs en fonction des qualités qu’il estime indispensables.  » C’est même un luxe « . Pourtant, on ne se défait pas de l’impression qu’en son for intérieur, il est plutôt un entraîneur de club :  » Je passe trop peu de temps avec les joueurs. Il faut réfléchir ensemble aux objectifs à atteindre. J’ai moins d’influence que dans un club. Cela dit, c’est toujours le joueur qui assume la responsabilité finale. Je leur demande de faire de leur mieux sur le terrain, sans plus. On a peu d’influence sur la forme. Quand on est dans un mauvais jour, il faut se contenter d’accomplir ses tâches avec discipline pour qu’il n’y ait pas de maillon faible dans l’équipe « .

Il y a parfois un monde entre rêve et réalité. Un entraîneur ne maîtrise pas tous les paramètres. Van Basten :  » Si j’ai bien travaillé, chaque joueur sait normalement ce qu’il doit faire. Mais le football n’est pas comme le théâtre. On est confronté à un adversaire qui met tout en £uvre pour que vous ne soyez pas bon « . Il n’est pas frustré sur le banc pour autant :  » Quand j’ai le sentiment d’avoir tout fait, je ne peux être fâché ni nerveux. Evidemment, je préférerais être sur le terrain mais ce n’est plus possible « .

Idéalisme contre réalisme

Le refrain revient tous les quatre ans : le Mondial verra-t-il naître de nouvelles tendances ? Van Basten ne doit pas réfléchir longtemps.  » Nous avons tout vu depuis 50 ans. C’est surtout la vie du footballeur qui a changé. Il joue plus de matches et l’attention médiatique est plus vive que de mon temps. Sinon, un match dure toujours 90 minutes et se joue à onze contre onze. Cependant, on joue dans des espaces plus restreints, ce qui accélère le jeu et le rend plus physique. Les joueurs modernes doivent être intelligents et bien préparés physiquement. La technique et la tactique n’ont pas changé, en revanche « .

On commence à jouer au football par passion, rappelle Van Basten, mais le jeu n’est pas que romantisme. Les propos de Cruijff à propos de la finale perdue en 1974 lui restent en travers de la gorge :  » On peut voir les choses de deux façons. Si vous gagnez, il n’y a pas de discussion. Si vous êtes deuxième mais que vous avez bien joué, vous avez conquis les c£urs des spectateurs. C’est une consolation, une maigre consolation. Si je dois choisir, je préfère le résultat « .

Le chapitre n’est pas clos. Les questions fusent. Van Basten poursuit donc :  » On dit que quand vous gagnez, tout est bon, et que quand vous perdez, vous avez tout faux. Mais ce cliché n’est pas exact. Ceux pour qui gagner tourne à l’obsession finissent pas avoir des problèmes. L’essentiel est d’avoir une idée claire de ce qu’on veut atteindre ensemble et par quels moyens. Les résultats finissent par suivre. Selon moi, c’est ainsi qu’il faut aborder la question. Si nous restons là à espérer gagner et surtout ne pas perdre, je finirai par avoir des problèmes de santé et ce ne sera pas bon non plus pour le spectacle. Je veux gagner en développant un beau jeu. Cela signifie prendre l’initiative quand on le peut car se replier en défense n’est pas marrant. J’en parle beaucoup avec les joueurs, nous travaillons « .

On cite Barcelone. Van Basten embraie :  » On y fait du bon boulot. A terme, cela porte ses fruits. Le Barça joue comme les gens le désirent. Il faut avoir des idéaux mais si on n’obtient pas de résultats, c’est frustrant. Je veux toujours gagner, ce qui est logique, mais je peux accepter la défaite. Elle fait partie du jeu. Il y a toujours un perdant. Je ne redoute pas la défaite. Celui qui a peur gaspille inutilement son énergie. Je l’ai dit à John : si nous disputons un bon tournoi mais que nous perdons contre un adversaire comme Henry, Messi ou Ronaldinho, qui était plus fort, cela ne m’empêchera pas de dormir. Je leur serrerai la main en reconnaissant qu’ils étaient meilleurs « .

Est-il donc idéaliste ou réaliste ? Van Basten :  » Les deux. Un sélectionneur qui a déjà une longue carrière de club derrière lui a sans doute perdu ses idéaux. Peut-être suis-je encore un idéaliste, puisque je débute « .

JAN HAUSPIE, ENVOYÉ SPÉCIAL À AMSTERDAM

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