Aboyer pour convaincre

Le gardien des Diables se sent incompris et recadre les critiques.

On l’adore (surtout en Flandre) ou on le déteste (surtout en Wallonie). Qui est Stijn Stijnen (26 ans) ? Un gardien de but de très bon niveau ou un salopard ? Entre deux arrêts réflexes extraordinaires, il place une déclaration fracassante, un geste fou ou une floche spectaculaire. Pas de doute : pour une interview provoc, le gars a le profil.

Tu étais sous contrat au Club Bruges jusqu’en 2009 et tu viens de resigner jusqu’en 2011. Dommage pour un joueur qu’on a déjà cité à la Juventus, à l’Inter Milan, à l’Udinese et à Everton !

Stijn Stijnen : Je ne vois pas pourquoi. Je n’ai que 26 ans, je me sens bien à Bruges et j’ai un bon contrat assuré jusqu’à 30 ans. L’étranger, je pourrai toujours y penser plus tard. Si je continue à être bon, je recevrai des offres dans le futur. Je reste ambitieux, je pense toujours à des pays comme l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie. Surtout l’Italie.

Parce que ta mère est italienne ?

Non. Parce que c’est le championnat qui me conviendrait le mieux. J’ai un style proche de celui des gardiens italiens. Ils font leur boulot, ils ne prennent pas de risques inutiles, ils ne font pas de conneries pour amuser la galerie.

As-tu vraiment été contacté par des clubs comme la Juventus ?

Il y a eu de l’intérêt et des scouts de grandes équipes sont venus me visionner. Mais pour moi, un intérêt concret, c’est un contrat qu’on te met sous le nez en te demandant de le signer. Il n’y en a jamais eu de la part de grands clubs européens.

C’est normal à partir du moment où tu travailles avec Renée Goyvaerts ! La seule femme manager du foot belge. On raconte qu’elle se fait bouffer par les hommes, qu’elle n’est pas respectée dans le milieu.

Avant, je travaillais avec son mari, Fernand Goyvaerts. Il a joué à Barcelone et au Real Madrid, ce n’était pas n’importe qui. Après son décès, je suis resté chez sa femme et je n’ai pas l’intention de changer parce qu’elle fait bien son boulot. Du temps de son mari, elle réglait déjà l’aspect financier de mes contrats. Est-ce qu’il faut être un homme pour placer des zéros et des virgules aux bons endroits ? Et je m’en fous qu’elle ne soit pas respectée. Tu trouves important d’avoir du respect dans un milieu d’hypocrites comme celui du football ?

Parlons de la saison du Club : s’il est champion, ce sera un petit champion, hein !

Champion, c’est champion. Qu’on parle de petit, de moyen ou de grand champion, je m’en balance.

Le foot que vous proposez ne restera pas dans les annales.

Et alors ? Le premier du classement après 34 matches a été le meilleur de la saison : c’est ça, la seule chose qui compte. Tout le monde s’emballe en parlant du Standard. Moi, je sais que si cette équipe n’est pas devant nous à la fin, cela voudra dire qu’elle a été moins bonne que le Club. Ils se mettent la pression, mais s’ils finissent derrière nous, ce sera un gros échec à Liège.

Pourquoi dis-tu qu’ils se mettent la pression ?

On l’a déjà bien vu en finale de la Coupe. Ils sont tellement nerveux de ne plus être champions depuis 25 ans et de ne plus rien avoir gagné depuis 15 saisons qu’ils ratent leurs grands rendez-vous. En finale, ils étaient paralysés. Cette absence de trophée trotte dans les têtes, là-bas. Maintenant, ne me fais pas dire que je souhaite du mal au Standard. C’est une superbe équipe avec un public fantastique et ils mériteraient de gagner à nouveau quelque chose. Qu’ils nous laissent le titre et la Coupe sera pour eux. Tout le monde sera content. (Il rigole).

 » Si le foot du Standard valait la Ligue des Champions, ça se saurait « 

Mais Bruges ne mérite pas le titre à partir du moment où il est rarement dominant dans le jeu.

Comment ça ? Nous sommes dominants dans les moments importants. Notre organisation et notre combativité nous permettent de prendre les points nécessaires. Il y a deux ans, plein de gens vantaient notre beau jeu. Mais nous perdions plein de matches. Aujourd’hui, nous faisons ce que nous avons en tête et nous offrons à nos supporters ce qu’ils réclament : un foot volontaire, avec des gars qui s’arrachent pour gagner. Ce n’est peut-être pas ce que les supporters des autres clubs demandent mais je m’en fous.

Presque toutes vos victoires sont obtenues sur un seul but d’écart : c’est triste.

Pas pour nous. C’est quoi, l’essence du foot ? Marquer un but de plus que l’adversaire. Tu réussis ça 30 fois sur la saison et tu es champion. Il reste 9 matches : pour moi, 9 fois 1-0, ce serait parfait.

Et qu’est-ce que vous marquez peu de buts : à peine un et demi par match !

Nous marquons des buts importants, c’est ce qui compte. Tout le monde voudrait peut-être que Bruges en claque trois ou quatre par match, mais ce n’est pas essentiel. A partir du moment où tu encaisses aussi peu que nous, ça ne sert à rien d’affoler le marquoir. Evidemment, ce serait plus agréable pour tous les joueurs de notre équipe de scorer quatre fois par rencontre, mais nous nous contentons de moins si c’est impossible. Sur tous les terrains de Belgique, on voudrait voir le jeu de Barcelone ou du Real, mais on ne le voit quand même nulle part. Moi, je visionne plein de rencontres de notre championnat en live et je ne parviens pas à comprendre les critiques sur le jeu du Club. On s’enthousiasme pour le Standard, pour le Cercle, à l’occasion pour d’autres. Mais ce n’est pas tellement plus emballant que notre football. Si ces équipes-là atteignaient le niveau de la Ligue des Champions, ça se saurait, non ?

Une autre critique : Bruges reçoit pas mal de penalties cadeaux.

Ah bon ? Et il n’y a pas eu un penalty non sifflé sur Dusan Djokic contre Charleroi ? Et le but valable de François Sterchele annulé contre le Standard ? Et celui contre Gand de Geraerts ? Et celui contre le Beerschot, encore de Sterchele ? Et celui contre le Cercle en Coupe ? Oui, une fois encore Sterchele… Je constate qu’il y a surtout eu des décisions importantes en notre défaveur.

Le meilleur joueur du Club est son gardien : pas normal pour un candidat au titre.

Et Daniel Zitka la saison dernière, alors ? Anderlecht visait un football champagne mais c’est quand même son gardien qui a été le premier artisan de son titre.

 » Pourquoi on ne m’aime pas en Wallonie ? Parce qu’il y a Bailly « 

On parle de ta cote de popularité en Wallonie ? Pas terrible, hein !

Je sais. Je ne peux rien y faire.

Quelle est l’explication ?

Logan Bailly ! Le début de mon problème relationnel avec la presse et le public wallon remonte à la saison dernière. Il y avait un bon gardien francophone qui explosait avec Genk, mais pendant ce temps-là, c’était Stijnen qui jouait en équipe nationale. Cela ne plaisait pas à tout le monde. Mais je n’ai pas de problèmes particuliers avec les Wallons. A Bruges, mes meilleurs potes sont Gaëtan Englebert, François Sterchele et Jonathan Blondel.

J’ai une autre explication : on ne t’aime pas en Wallonie parce que c’est toujours contre le Standard que tu joues tes meilleurs matches… Comme en finale de la Coupe.

Je ne sais pas…

Ton bras d’honneur face aux supporters du Standard après cette finale, ce n’était pas la meilleure façon de faire la paix avec le public wallon !

Ce n’était pas un bras d’honneur. J’ai tapé le poing gauche sur le bras droit dans une réaction de hargne et de soulagement, comme pour dire : -Voilà, après une saison pourrie, on a quand même quelque chose. Les supporters du Standard l’ont pris pour eux mais ils ont eu tort. J’ai entre-temps donné ma version à Pierre François : il a accepté mon explication. J’aimerais que le public du Standard ait autant de compréhension.

On n’apprécie pas non plus tes excès de comédie, comme dans un match de cette saison contre le Cercle. Tu t’es écroulé après un contact anodin puis tu es resté au sol comme si tu étais à la mort.

La comédie fait partie du foot professionnel. C’est tactique. Mais je signale quand même qu’un joueur du Cercle m’avait mis un coup de genou au visage.

Il n’empêche que ce n’est pas honnête de faire semblant d’avoir aussi mal.

Il y a tellement de choses malhonnêtes dans le football ! Simuler une blessure n’est pas ce qu’il y a de plus grave. Faire semblant d’être blessé ou gagner du temps sur un dégagement en fin de match quand ton équipe mène, c’est la même chose, la même philosophie.

Avec tes dons de comédien, tu marques déjà des points dans l’optique d’un transfert en Italie…

(Il rigole). Ce qui est sûr, c’est que mes idoles ont toujours été des gardiens italiens : Gianluca Pagliuca, Francesco Toldo, Walter Zenga. Ils ont le même style que moi, mais en meilleur ! Ils sont sûrs et sobres.

Tu as un jour fait la course derrière Pagliuca pour avoir un autographe…

Oui, j’étais gamin et je passais mes vacances en Suisse. L’équipe italienne était en stage dans le même village. Je suis allé à un entraînement et j’ai demandé une dédicace à Pagliuca quand il est sorti du terrain. Il m’a répondu : -Dopo, dopo (traduction : tout à l’heure). Il est directement parti au vestiaire et j’ai cru que je ne le reverrais pas. J’ai quand même attendu. Une demi-heure plus tard, il est revenu vers moi en courant et m’a tendu un morceau de papier avec son autographe. La classe !

Les balles hautes, c’est ton gros point faible ?

C’est un aspect de mon jeu que je dois encore beaucoup travailler. Je le fais tous les jours avec Dany Verlinden.

Tu te souviens que c’était aussi son gros point faible, à cause de sa toute petite taille ? Comme maître, il y a mieux…

Ce n’est pas un problème.

C’est vrai que tu souffres du dos depuis longtemps et que ça t’empêche de travailler tes sorties ?

Encore des conneries parues dans la presse. Je n’ai jamais eu de problèmes de dos. Si je mens, qu’on le prouve au moyen d’un dossier médical complet.

A 19 ans, tu jouais encore en Provinciales au lieu de bosser dans un environnement professionnel : cela explique peut-être certaines carences techniques ?

Je retiens surtout qu’en jouant très tôt en équipe Première de Hasselt, j’ai beaucoup plus progressé mentalement qu’un jeune qui bosse dans un club pro mais n’est jamais sur le terrain le week-end ou doit se contenter de matches avec des Juniors UEFA. Moi, j’étais le gardien de gars de 30 ou 35 ans qui avaient bien besoin de leurs primes de victoires. J’ai appris à assumer mes responsabilités. J’ai eu l’occasion de signer à Lommel et à Saint-Trond notamment mais j’ai préféré rester à Hasselt parce que j’étais titulaire.

 » Gombami et Orlando : deux grosses fautes sur 100 matches, c’est beaucoup ? »

Si je te dis que ton agression contre Honour Gombami était scandaleuse et que c’est encore plus honteux de ne t’avoir collé que deux matches de suspension, qu’est-ce que tu peux me répondre ?

Que je ne suis pas du tout d’accord.

Ah bon, ce n’était pas une faute particulièrement méchante ?

Non.

Pour le même prix, tu le blesses gravement.

Non. J’aurais pu le blesser mais je ne l’ai pas fait. Dans la même situation, beaucoup de gardiens auraient mis le pied ou le genou. Moi, j’ai tendu la main. Pour l’arrêter simplement, en prenant garde de ne pas lui faire mal. On m’a comparé à Harald Schumacher, on a mis mon geste sur le même pied que son agression sur Patrick Battiston : c’est ça qui est scandaleux. Je vois régulièrement des fautes bien plus graves. J’estimais qu’une semaine de suspension suffisait, mais bon, j’ai accepté les deux matches.

Jacky Mathijssen a directement plaidé pour toi en disant qu’une suspension d’un seul match se justifiait, qu’on ne serait pas cohérent en te punissant plus longtemps : ne crois-tu pas que son lobbying a influencé l’Union Belge ?

J’en connais qui ont fait du lobbying. Dans l’autre sens. Les gars de l’émission Studio 1 sur la RTBF. Comme Stéphane Pauwels. Eux, ils exigeaient un minimum de 5 ou 6 semaines. Je suis en droit de me poser des questions sur leurs analyses.

Tu avais déjà fait le même genre de faute sur Orlando, de Charleroi, la saison dernière : c’était ta grande répétition générale ?

Deux grosses fautes alors que j’approche des 100 matches en équipe Première du Club, c’est beaucoup ? Contre Orlando, c’était aussi un duel à pleine vitesse. Je ne suis jamais allé au contact avec l’intention de blesser un adversaire. Mais sur l’action avec Orlando, c’est moi qui m’en suis tiré avec une blessure au doigt.

A 17 ans, alors que tu joues à Hasselt, tu menaces un adversaire avec lequel tu viens de te frotter. Tu lui dis : -Si tu reviens dans mes parages, je te coupe en deux. Il est revenu, il y a eu un gros choc et tu t’en es tiré avec une mâchoire explosée !

Il m’avait déjà touché deux fois. Oui, j’ai fait une bêtise. Mais j’étais jeune et impulsif. Pas très intelligent dans certaines décisions. Je me suis pris son genou dans le visage et je l’ai payé cher.

Est-ce qu’il faut être un voyou pour faire un bon gardien de but ?

Certainement pas. Dany Verlinden était un voyou ? Et Filip De Wilde ? Non. Ils faisaient leur boulot, jamais de conneries. Cela ne les a pas empêchés de faire une belle carrière.

Une belle carrière mais ce n’étaient pas des vedettes mondiales non plus !

Quand tu as un Preud’homme dans les pattes, c’est difficile d’être le meilleur…

 » Du respect pour la carrière de Crasson, mais ses critiques… quel manque de classe « 

Il n’y a plus de star dans le but de l’équipe belge : ça te dérange si je te le fais remarquer ?

Pas du tout. Je ne suis pas aveugle et je n’ai pas honte de dire que Jean Nicolay, Christian Piot, Jean-Marie Pfaff et Michel Preud’homme étaient de vraies stars. Je n’ai pas la prétention de me comparer à des monuments pareils. Je peux juste essayer d’être le meilleur possible.

On attend toujours que tu sois décisif avec l’équipe belge.

D’accord, je n’ai pas encore gagné beaucoup de points. Mais je n’en ai pas beaucoup coûté non plus. Pour marquer les esprits, il faut sortir un match de fou contre un adversaire que tous les Belges croient invincible. J’ai été très bon contre le Portugal à Bruxelles mais personne ne l’a mentionné parce que nous avons perdu 1-2. A côté de cela, j’ai sauvé la Belgique à domicile contre l’Arménie : si je ne sors pas un ou deux ballons très chauds, les Arméniens prennent l’avance. Au bout du compte, nous gagnons 3-0. Mais comme c’était un match que tout le monde nous voyait remporter d’avance, on n’a pas jugé utile d’écrire que j’avais été décisif.

Ton père a joué avec René Vandereycken à Hasselt et il a été son adjoint à Mainz…

… Je sais, on me l’a déjà assez fait remarquer. Je trouve dommage que ce raccourci soit sorti de la bouche d’un gars qui a fait une belle carrière.

Bertrand Crasson ?

Evidemment. J’ai du respect pour sa carrière. Mais en parlant comme ça, il a manqué de respect vis-à-vis de Vandereycken, de mon père et de moi. Quel manque de classe ! J’accepte les analyses sur mon jeu, qu’elles viennent de Crasson, de Pauwels ou d’autres. Mais je ne supporte pas qu’on vise l’homme.

Donc, l’amitié entre ton père et Vandereycken n’explique pas que tu sois numéro 1 en équipe nationale ?

Tu connais Kevin Vandenbergh ? C’est quand même le fils d’Erwin, qui est un des grands potes de Vandereycken. Mais Kevin ne joue pas chez les Diables.

Tu avais été titularisé trop tôt chez les Diables, à un moment où tu n’avais encore joué que quelques matches en D1.

Est-ce que Silvio Proto en avait beaucoup plus, et il était à La Louvière (!), quand il a débuté en équipe nationale ? Et Tristan Peersman ? Peut-être 5 matches de D1 et directement les Diables.

Tu penses que Peersman est un bon exemple ?

Non, peut-être pas… Mais je peux te dire que j’étais prêt quand on m’a appelé. Jacky Munaron en était persuadé et il sait quand même de quoi il parle.

Tu fais partie des joueurs qui soutenaient une prolongation du contrat de Vandereycken, sous prétexte que l’ambiance est bonne dans le groupe. Mais qu’est-ce qui est le plus important : une bonne ambiance ou des résultats ?

Vandereycken a préparé une équipe qui peut maintenant faire des résultats pendant 10 ou 12 ans. Regarde l’âge des piliers comme Steven Defour, Marouane Fellaini, Kevin Mirallas, Vincent Kompany.

Donc, l’équipe est maintenant prête pour se qualifier à des tournois ?

Ce ne sera pas évident d’aller au prochain Mondial. Terminer derrière l’Espagne ne serait pas une honte. Si nous la devançons, c’est là-bas qu’il y aura de la honte. Par contre, on doit pouvoir concurrencer la Turquie pour la deuxième place.

par pierre danvoye – photos : reporters / hamers

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