» A mon époque, on avait encore le droit de s’amuser »

L’affaire Agusta, le rottweiler de Mario Been, la dette d’Allegri et les fish sticks de Jenny : à l’heure de boucler la boucle, l’Anversois raconte ses meilleurs souvenirs

Saison1987-1988. Cisse Severeyns, tout juste 20 ans, est en passe de devenir le meilleur buteur de l’histoire de notre championnat. Il inscrira 24 buts qu’il saluera de mouvements des mains ou des bras, de cumulets et de sauts de carpe, pour le plus grand plaisir de sa grand-mère qui assiste à pratiquement tous ses matches, complètement seule dans la tribune. « Personne ne voulait s’asseoir à côté d’elle parce qu’elle accompagnait chacun de mes tirs d’un coup de pied », dit Severeyns.  » C’était pareil lorsqu’elle suivait le match à la télévision. Un jour, lors d’un match de l’équipe nationale, elle s’est cassé l’orteil.  »

Chez les Severeyns, une famille de forains, personne ne manque de tempérament. On est jovial et enthousiaste, souvent de bonne humeur, toujours prêt à faire une blague mais également sérieux lorsqu’il le faut. Cisse, c’était un peu le Thyl l’Espiègle campinois. Et à l’aube de ses 46 ans, il n’a pas changé. Agent immobilier chez Jansen et Jansen, il joue toujours au football au KV Westmalle, en quatrième provinciale.

 » J’ai quitté Westmalle pour le Bosuil à l’âge de 14 ans « , dit-il.  » Trente-cinq ans plus tard, la boucle est bouclée. J’aime toujours autant jouer et mon état d’esprit n’a pas changé : je ne supporte pas la défaite, même pas lorsque je joue à un jeu de société avec ma copine. L’an dernier, j’avais arrêté en même temps que mon fils Dario mais on est alors venu nous demander de jouer ensemble à Westmalle. Pour la première fois, j’allais pouvoir jouer en équipe première avec mon fils. Cela aurait d’ailleurs déjà dû avoir lieu mais, il y a un mois, j’ai été opéré pour la dix-septième fois de ma vie. Rien de grave, une petite intervention au niveau du ménisque. Dans quelques semaines, je serai de retour.  »

 » Quand je suis en forme, je tiens les 90 minutes sans problème. Même en pointe. Evidemment, ce n’est que la quatrième provinciale. Je joue différemment, sur mon expérience. Je prends des coups et je me fais charrier par les supporters adverses mais ça fait partie du jeu. Et pour me venger, je marque, comme lors du premier match de la saison. Mais je sens bien que la fin est proche. Je suis à 99,9 % certain que c’est ma dernière saison. Encore que j’ai déjà dit cela tellement de fois… En fait, j’avais dit que j’arrêterais de jouer à l’âge de 30 ans.  »

LE JOUEUR

 » Hormis quelques trophées en équipe d’âge, je n’ai jamais rien gagné avec aucun club. J’ai été deuxième avec l’Antwerp et avec Malines, j’ai perdu deux finales de Coupe de Belgique avec Malines (contre le Club Bruges en 1991 et face à… l’Antwerp l’année suivante) et une finale de Coupe des Vainqueurs de Coupe avec l’Antwerp contre Parme. C’était à Wembley, un fameux souvenir pour un joueur, mais la victoire n’était pas au rendez-vous (Parme s’était imposé 3-1, ndlr). J’ai marqué mais ça me fait une belle jambe. Enfin… Je pourrai toujours dire que j’ai été le dernier Belge à avoir marqué dans l’ancien stade de Wembley.  »

 » Mes meilleurs souvenirs sont donc personnels : Meilleur Jeune Pro et Meilleur buteur du championnat en 1988 ; septième du Soulier d’Or la même année. J’étais troisième à l’issue du premier tour de scrutin mais je suis alors parti à Parme et je n’ai plus marqué de points. En 2004, j’ai reçu le Ballon d’Argent pour avoir inscrit 21 buts avec Cappellen en D3. J’avais 36 ans mais ce prix a autant de signification à mes yeux que la finale de Wembley. Cela peut vous sembler bizarre mais le moment est toujours important.  »

 » Ce que je regrette le plus, c’est de ne jamais avoir participé à une phase finale de Coupe du Monde. En 1994, je faisais partie de la présélection mais j’ai été sacrifié au profit de Josip Weber, qui venait d’être naturalisé. C’est dommage mais je suis content de ma carrière. J’ai joué au plus haut niveau pendant 17 ans, je suis le meilleur buteur de tous les temps de l’Antwerp avec 103 buts… Je remarque aujourd’hui plus qu’avant que j’ai tout de même compté dans l’histoire du club. Dans la tribune du Bosuil, on peut trouver un poster avec les neuf icônes du club. J’en fais partie aux côtés de Vic Mees, Eddy Wauters, LaszloFazekas, Karl Kodat, Frans van Rooij, Hans-PeterLehnhoff, Rudi Smidts et Alex Czerniatynski. Ça flatte mon égo.  »

SES ENTRAÎNEURS

 » Georg Kessler m’appelait Jopie parce que je lui faisais penser à Johan Cruijff. Pas pour ce que je montrais sur le terrain mais parce que je réfléchissais à ce que je faisais et je parlais beaucoup avec l’entraîneur. Il disait que j’étais l’homme idéal pour lui succéder au poste de directeur général et c’est l’un des plus beaux compliments qu’on m’ait faits. J’ai entendu dire la même chose plus tard, à Innsbruck. Le manager, un Danois, m’a même proposé de jouer encore deux ans puis de lui succéder parce que je parlais déjà espagnol, italien, français, anglais, allemand et néerlandais. A Malines, c’est même moi qui ai appris ses premiers mots de néerlandais à Zlatko Arambasic. Quand il essayait de nous expliquer que, pour lui, Fi Van Hoof était un bon entraîneur, je levais le pouce et je disais : -Ja ! ja ! Fi est un couillon. Et évidemment, au cours de sa première interview, lorsque le journaliste lui a demandé ce qu’il pensait de Van Hoof, il a répondu : –Fi est un couillon. Fantastique, non ?  »

 » Kessler était un grand entraîneur mais tactiquement, il n’était pas très fort. Il remédiait à cela en s’entourant toujours parfaitement. Il avait ainsi Joseph Simokovic pour adjoint. Et il écoutait ses joueurs. Ce n’était pas un hasard si Wim De Coninck, le gardien réserve, était assis juste à côté de lui sur le banc. Je ne dis pas que Wim décidait des remplacements mais il donnait son avis. Lors de son deuxième passage au Bosuil, de 1996 à 1998, il s’asseyait régulièrement à table avec Rudi Smidts, Manu Karagiannis, Geert Emmerechts et moi.  »

 » Arie Haan était encore meilleur, même si mon avis est peut-être subjectif car c’est lui qui, alors que je n’avais que 17 ans, m’aligna en équipe première. Il était très fort tactiquement, ses entraînements étaient très bons et il arrivait toujours à rectifier le tir en cours de match, voire à faire basculer la partie. Et puis, c’était un Hollandais : il parlait beaucoup, savait convaincre ses joueurs. Pour moi, il est l’entraîneur le plus complet que j’aie eu. Walter Meeuws était bon également, il était proche du groupe et ses entraînements n’étaient pas mauvais mais Haan, c’était encore autre chose.  »

 » Walter était très superstitieux. Avant notre finale à Wembley, il voulait absolument loger dans un hôtel de Saint-Albans spécifiquement choisi parce que les équipes qui y avaient séjourné avant les finales de FA Cup précédentes s’y étaient toujours imposées. Avant chaque déplacement à l’étranger, il nous emmenait également manger des fish sticks chez Jenny. Kessler avait aussi ses habitudes. En stage à Mastbos, lorsque nous rentrions du centre de Breda, le chauffeur du car ne voulait pas passer par le tunnel qui, selon lui, était trop bas. Kessler lui donna l’ordre de passer malgré tout et nous nous sommes retrouvés prisonniers dans le tunnel.  »

 » Urbain Hasaert, le successeur de Meeuws, était un mordu de football. Je connaissais un type qui avait une antenne parabolique et avait enregistré le match entre Benfica et Maritimo, l’équipe que nous devions rencontrer en Coupe d’Europe. Hasaert n’était pas chez lui et j’ai dit à sa femme qu’il pouvait appeler le gars le lendemain dès dix heures du matin. Mais à sept heures, le téléphone sonnait déjà. Hasaert avait disputé une demi-finale de Coupe UEFA en 1986 avec Waregem mais, avec tout le respect que je lui dois, il était déjà dépassé lorsqu’il est arrivé à l’Antwerp. Lorsque l’équipe ne tournait pas, il demandait à Smidts ce qu’il avait fait de mal. –Je vous donne pourtant les mêmes entraînements que les joueurs du Bayern Munich, disait-il. C’était vrai mais ces entraînements dataient déjà de quinze ans…  »

ANTWERP

 » A mon époque, on avait encore le droit de s’amuser. Au début, j’en ai connu qui, entre deux entraînements, allaient boire des verres et remontaient sur le terrain avec pas mal d’alcool dans le sang. Moi, je buvais (et j’en bois toujours) de la bière avec du Sprite. J’aime le sucre. Mais au moins, le soir, je tenais encore debout, pas comme d’autres… Contrairement à ce qu’on dit, je me suis toujours bien soigné. J’ai eu la chance de pouvoir manger ce que je voulais. Entre deux entraînements, il m’arrivait d’avaler un bon morceau de viande et 35 croquettes.  »

 » Et puis, il y avait Eddy Wauters, un personnage. Il mettait sans cesse la pression et n’était jamais sur la même longueur d’onde que les journalistes, les agents de joueurs ou les entraîneurs. Il a même engagé un chauffeur de taxi (Doj Perazic) et on a dit que l’Antwerp allait devoir jouer le dimanche parce que, le samedi soir, le chauffeur de taxi gagnait davantage en conduisant des clients qu’en entraînant.  »

PISE

 » Lorsque j’ai débarqué à l’aéroport et que le président Romeo Anconetani m’a vu, il a montré mon jeans du doigt et a dit : – No mi piace (« Je n’aime pas ça »). Le lendemain, le médecin du club est venu me chercher à l’hôtel afin d’aller acheter de nouveaux vêtements, aux frais du président. Six ou sept costumes, des chemises, des bas, des chaussures, des sous-vêtements, Versace, Armani : rien n’était trop beau.  »

 » En Coupe, j’ai très bien débuté, au point que la Fiorentina a proposé 100 millions de francs (2,5 millions d’euros, ndlr) à Pise mais Anconetani ne m’a pas laissé partir, il voulait me revendre plus tard pour bien plus d’argent encore. On disait que j’étais le nouveau Gianluca Vialli mais je n’ai jamais pu le prouver. Lorsque j’ai cessé de marquer, on m’a descendu et, à 20 ans, je ne l’ai pas supporté. Je n’avais encore rien connu, c’était la première fois que ça se passait mal.  »

WEMBLEY

 » Nous avons fait deux fois 1-1 contre les amateurs de Glenavon (l’Antwerp s’est qualifié à domicile aux tirs au but, ndlr), où je partageais la chambre de Dragan Jakovljevic. Qu’est-ce qu’il ronflait ! A trois heures du matin, j’ai pris ma couverture et je suis allé dormir dans la baignoire. Je me suis réveillé deux heures plus tard avec un torticolis et à cinq heures et demie, je suis descendu prendre mon petit-déjeuner. J’étais tellement crevé qu’après le repas de midi, je me suis endormi avant l’entraînement.  »

 » En demi-finale, nous avions perdu 1-0 au Spartak Moscou et nous avions passé la nuit dans l’aéroport parce qu’un des pneus de l’avion était plat. Au retour, nous menions 2-1 lorsque nous avons hérité d’un penalty et que Viktor Onopko a été exclu. Le penalty était justifié mais ce n’était pas lui qui avait commis la faute sur Czernia. Quoi qu’il en soit, nous étions qualifiés pour Wembley.  »

 » Ce devait être un grand moment dans l’histoire de l’Antwerp. La prime de match avait aussi provoqué des discussions. On nous proposait 175.000 francs (4375 euros, ndlr) en cas de victoire et rien en cas de défaite. Sauf pour Hans-Peter Lehnhoff, qui avait fait insérer les primes dans son contrat.  »

 » C’est toujours facile à dire après coup mais Walter Meeuws avait fait de mauvais choix tactiques. De plus, notre gardien, Stewan Stojanovic, a commis une erreur sur le premier but de Lorenzo Minotti. J’ai ensuite égalisé en lobant le gardien, au feeling. Pendant un moment, j’étais ailleurs… Puis Stojanovic a commis une nouvelle bourde et à cinq minutes de la fin, Parme a fait 3-1 en contre. « 

PAR CHRIS TETAERT

 » On nous proposa une prime de 4375 euros en cas de victoire en finale de la Coupe des Coupes et rien en cas de défaite.  »

 » On disait que j’étais le nouveau Gianluca Vialli mais je n’ai jamais pu le prouver.  »

 » Sans le savoir, j’ai été impliqué dans cette histoire d’achat d’hélicoptères Agusta… « 

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