La vie et la carrière du jeune capitaine liégeois s’identifient si bien avec les titres des médias.

A 19 ans, Steven Defour n’est plus un moussaillon qui brique le pont d’un navire de la marine marchande avec du savon de Marseille. Il a même rapidement cédé le pompon de sa casquette pour les sardines de haut gradé. Son sourire cache une forte personnalité. En un peu plus d’un an, le meneur de jeu de Sclessin a affronté des mers déchaînées sans perdre le cap.

-il a eu un gros différend avec ses parents,

-il a claqué la porte à Genk où il s’est frotté au président JosVaessen en menaçant d’utiliser la loi de 1978,

-il a préféré le Standard à l’Ajax d’Amsterdam,

-il a gardé son calme alors qu’une main criminelle mettait le feu à sa voiture,

-il a digéré son statut de transfert de la saison et de surdoué.

Si la force de caractère n’avait pas été à la hauteur, le risque de couler aurait été grand. Or, le jeune marin est désormais capitaine du porte-avions rouche. L’embarcation a été délestée de quelques vieux loups de mer sans jamais prendre l’eau. Bien en phase avec son temps, le jeune capitaine est capable d’éviter les icebergs de la gloire, des victoires, de l’argent. C’est un leader totalement différent par rapport à Sergio Conceição. Si le Maestro a beaucoup apporté, sa hargne était un baril de poudre. Defour a préféré miser sur ses qualités et sa diplomatie. Et, au quotidien, cela donne une atmosphère plus cool.

Même si ça rigole, Defour n’oublie pas qu’il vit actuellement le matin de sa carrière. Le chemin vers le grand soir sera encore long :  » Je ne l’ignore pas. Tout le monde sait qu’un bon début de championnat doit être confirmé toutes les semaines. Notre groupe est jeune. Quand je lis qu’on a la ligne médiane la plus jeune d’Europe, c’est quand même significatif à propos de ce qui se passe dans ce club. C’est un début, je le sais, avec des joies mais il y aura aussi des moments plus délicats. Ce bon début de championnat a peut-être étonné le monde extérieur mais pas notre effectif. On parle et on travaille beaucoup à l’Académie Robert Louis-Dreyfus. Grâce à l’apport de Guy Namurois, je ne me suis jamais senti aussi bien physiquement. Et il en va ainsi pour tous les joueurs qui sont capables de pousser sur le champignon pour faire la différence. Le Standard peut pratiquer son jeu comme il l’entend. Tout le monde le reconnaît : notre équipe pratique le plus beau football de D1. Cela ne signifie toutefois pas qu’on ne peut pas l’améliorer, au contraire. Pour progresser, une équipe doit préserver sa faculté de s’étonner et d’intriguer les opposants. Contre le Cercle Bruges, Mohamed Sarr et Oguchi Onyewu ont applaudi. Ils assistaient de loin à l’aboutissement d’une phase collective mais ont apprécié la réalisation d’un but. C’est cela aussi qui m’a permis d’affirmer la semaine passé que nous jouions mieux que le Club Bruges « .

Les jeunes ont relevé le gant au Standard. Après le régime dictatorial imposé par Conceição, ils vivent leur révolution des £illets. Tout le monde est concerné, personne ne tire la couverture à soi. Conceição exigeait sans cesse la balle et cela simplifiait parfois la tâche des adversaires. On ne crie plus, tous les joueurs sont responsabilisés.

Le groupe est libéré du joug de Conceição.  » Je me rappelle le fameux 4-4 acquis au Club Bruges la saison passée « , avance Defour.  » En fin de match, la messe était dite. Si nous avons signé un retour extraordinaire à la marque, c’est en grande partie grâce à Conceição. Sans lui, on n’aurait jamais vécu cela. Il était blessé en début de saison mais son retour au Lierse ne passa pas inaperçu. Je ne parlerais pas de libération mais d’évolution. Il nous a offert une mentalité, une grinta ainsi qu’un vécu uniques et cela paye peut-être encore plus actuellement. Ce grand joueur reste une source de motivation. Il n’est plus là, on ne peut plus reporter les responsabilités et le poids d’un match sur ses épaules. Sa présence a été remplacée par l’envie, la jeunesse, le partage des responsabilités. L’ambiance est différente dans le vestiaire. Sergio n’hésitait pas à hausser le ton. Pour moi, pas de problème mais cela a pu en étonner et irriter d’autres. Tout est plus calme, c’est vrai. Il voulait sans cesse des explications à propos de tout. Cette tension-là a été remplacée par une ambiance plus sereine. Mais, je le répète, chacun a son style et il nous a beaucoup apporté, c’est évident « .

Le costume de capitaine ne semble pas trop lourd pour ce petit bonhomme. Il représente son club devant les médias, est polyglotte, avance des idées souvent intéressantes, a des arguments qui tiennent la distance. Le gamin a conquis ses supporters comme la Meuse s’est emparée du centre de la Cité Ardente. Michel Preud’homme l’a installé sur le banc contre Metz en match amical d’avant saison afin de lui expliquer ce qu’il voulait voir dans le chef de son équipe.

 » C’était très intéressant « , confie-t-il.  » Il ne faut pas oublier que le jeu du Standard passait essentiellement par Conceição et dans une moindre mesure via Milan Rapaic. Preud’homme veut plus de diversités. Et c’est une bonne chose car il ne suffit pas de bloquer un ou deux de nos atouts afin de neutraliser le Standard. Nos vagues offensives peuvent venir de partout. Tout le monde connaît son job, ses missions offensives et défensives. Je suis le relais du coach sur le terrain. C’est une responsabilité qui me plaît. Je sais que je représente un grand club. C’est une preuve de confiance à mon égard. J’aime bien ce job. En un an de présence au Standard, j’ai mûri « .

Si Conceição occupait la place centrale sur l’échiquier rouche la saison passée, ne peut-on pas en dire de même désormais pour Bisou, le Serpent fou de l’attaque des Liégeois. Milan Jovanovic n’est-il pas lui aussi trop important, quasiment vital, dans le jeu du Standard ?

 » Il n’y a pas de Jovanovic/dépendance « , analyse le capitaine du Standard.  » Je suis le premier à reconnaître son importance au sein de notre équipe. Cela saute aux yeux. Il reste, c’est bien. Ce joueur devrait cartonner au Soulier d’Or et au Footballeur Pro de l’Année. La saison passée, le Standard a gagné et marqué des buts sans Conceição. Il devrait en être de même avec Jova si nous voulons prouver que cette équipe peut aller loin « .

Les Principautaires ont le vent en poupe. Cette lancée est positive pour le moment mais le poids des responsabilités se fait déjà sentir.

 » C’est très différent par rapport à ce que nous avons vécu la saison passée « , rétorque-t-il.  » Il y a un an, c’était le début d’une course poursuite après une mise en route catastrophique. Le Standard a galopé derrière les événements pour résorber progressivement son retard au classement général. Ce fut long et éprouvant car on ne pouvait plus perdre. A un moment, je me suis retrouvé sur le banc. Pour moi, c’était nouveau mais cela a provoqué un déclic. Pour en sortir, il n’y avait qu’une solution : le travail. Cela m’a fait du bien et je suis revenu, plus décidé, plus fort dans ma tête. Cette saison, tout a bien commencé et le mental des joueurs n’est plus taraudé par l’obligation de gagner. Cette fois, on sait qu’on dispose de tous les arguments pour gagner. Un faux-pas ne sera pas synonyme de catastrophe. Cela ne signifie pas qu’on doit accepter une défaite. La situation a changé. L’approche psychologique d’un match est dès lors différente vu le bon début de saison mais on vise les mêmes objectifs : faire la course en tête, obtenir une qualification européenne et gagner la Coupe de Belgique. Le but est de progresser à l’occasion de chaque match « .

Le Standard a aligné de nombreuses doublures contre les Luxembourgeois de Kaërjang. Après le 0-3 de l’aller, le match retour de ce deuxième tour de la Coupe de l’UEFA. Igor de Camargo a signé le seul but d’une équipe liégeoise dépourvue du moindre gramme d’imagination. Une soirée à oublier ? Le feu d’un débat se ravive : l’effectif est-il assez riche en profondeur ? Le public hue le malheureux Jonathan Walasiak. Preud’homme le protège intelligemment en lui déconseillant de saluer les supporters en fin de match. Vingt-quatre heures plus tard, le Standard engage Grégory Dufer qui était sur une voie de garage au Club Bruges.

 » Je ne crois pas du tout qu’il faille s’inquiéter « , ajoute Defour.  » Kaërjang a bien verrouillé le jeu. Si la chance nous avait souri, la conclusion aurait été différente. En principe, nous ne devrions éprouver aucun problème à remplacer deux ou trois joueurs « .

La verve du capitaine liégeois a attiré le regard de clubs étrangers. Avant Standard-Club Bruges suivi par une armée de scouts, Defour a été approché par des émissaires de l’Ajax Amsterdam. Il la repousse poliment mais fermement l’offre hollandaise. Il confirme cette décision avec vivacité.

 » J’avais déjà été en contact avec l’Ajax au moment de quitter Genk. J’ai préféré le Standard et c’est encore le cas. J’ai un travail à terminer ici. On fera le point en fin de saison, pas avant. Et on verra alors ce qu’il y a lieu de faire : c’était un non ferme mais cela peut changer plus tard si cela arrange tout le monde. Je suis resté tout comme Jovanovic, Onyewu et MarouaneFellaini. Cela signifie pas mal de choses à propos des ambitions du Standard « .

Les propos que Vincent Kompany a tenus à propos de l’équipe nationale ont étonné. Defour balaye tout cela d’un revers de la main :  » Il a exprimé son point de vue. C’est son avis. Au-delà de cela, je suis viscéralement attaché à mon pays, à une Belgique unie. Je suis originaire de la région de Malines. Même si j’ai des problèmes à Genk qui ont forgé mon caractère, j’habite encore dans le Limbourg. Je suis le capitaine flamand du Standard de Liège et je me trouve à l’aide dans cette diversité belge « .

Le Standard n’a pas hérité d’un adversaire facile au deuxième tour de la Coupe de l’UEFA : Zenit Saint-Pétersbourg. Les budgets des clubs russes et belges ne sont pas comparables. La Russie est le nouvel Eldorado. Les meilleurs joueurs ne résistent plus à de formidables mannes financières. La Russie veut un championnat aussi intéressant que la Bundesliga, le Calcio, etc. Saint-Pétersbourg a les moyens de toutes ses ambitions.

 » Ce sera un plaisir de retrouver Nicolas Lombaerts qui joue dans ce club « , certifie-t-il.  » Ils ont leurs arguments, nous avons les nôtres. Je suis confiant même si ce ne sera pas facile. Notre équipe est jeune et a besoin de ce genre de débats pour découvrir son potentiel. Il y a de la variété chez nous. Il faut qu’elle soit aussi une richesse européenne « .

Tendu la saison passée, Defour a retrouvé son énergie aux côtés de deux autres gamins : Fellaini et Axel Witsel. Il travaille tout autant mais les glissements de l’équipe sont mieux huilés.

Le capitaine sourit, car la remarque est exacte :  » La maturité fait lentement son oeuvre. Axel a une technique haut de gamme. Balle au pied, ce joueur est très fort. Fellaini occupe une place de choix au centre de la pelouse et il est bien plus qu’un joueur énergique ou physique. Il ne veut plus être partout à la fois et gère de mieux en mieux ses matches. Je les aide et ils me donnent un coup de main. Moi aussi je m’inscris de plus en plus efficacement dans les rouages tactiques de l’équipe. La maturation et les expériences de la saison passée ont fait du bien à tout le monde « .

Les caméras d’ RTL-TVI suivent l’équipe nationale à la trace. Après le succès acquis face à la Serbie (3-2), il faut accentuer le rajeunissement des Diables Rouges. N’est-ce d’ailleurs pas une nécessité vitale pour l’avenir ? Defour le sait. Sa génération ne sera pas présente sur les terrains de la phase finale de l’Euro 2008. C’est une catastrophe et elle n’effacera ce déficit qu’en prenant part aux Jeux Olympiques.

 » Moi, j’ai 18 ans et je souhaite me rendre en Chine « , lance-t-il.  » Je veux prendre part aux Jeux Olympiques. Et c’est le cas de tous les jeunes. On ne peut pas refuser cela. C’est une chance unique pour nous. Mais je ne suis qu’un joueur. Il faut que les clubs trouvent un accord avec la fédération pour retarder le début du championnat. Sans une concertation au plus haut niveau, ce sera impossible pour nous. J’ai tellement envie de prendre part aux Jeux… En équipe nationale, il se passe la même chose qu’au Standard : on rajeunit. Je ne m’en plaindrai pas…  »

Le Standard s’est entraîné à huis clos la saison passée entre les matches de championnat et la Coupe d’Europe. Vendredi passé, c’est sur le coup de midi que le meneur de jeu du Standard a retrouvé la presse. Une heure, la dernière, avant que les joueurs liégeois ne se concentrent à fond sur leur sujet. Defour est à l’aise. Il a un peu gommé son côté punk du début de saison et devient de plus en plus élégant.

La presse people ne tardera pas à s’intéresser plus à lui. Il parle, libéré, précise qu’il a rendu à un copain l’hyper puissante Mercedes avec laquelle il s’est donné quelques frissons… Defour se contrôle, fait preuve de fermeté et de maturité :  » Je ne vous confierai pas nos forces et nos faiblesses par rapport à Bruges. Tout le monde lit la presse. Jacky Mathijssen aussi. En tout cas, ce ne sera pas une revanche par rapport à la finale de Coupe de Belgique. C’est le passé mais il est évident que nous n’étions pas au rendez-vous ce soir-là. Il y a plus que cela. Le Standard doit confirmer son étiquette de plus belle équipe de D1. J’ai assisté au déplacement de Bruges à Malines. Preud’homme était là. Nous avons échangé nos idées. Elles sont identiques et il faudra surtout neutraliser Ivan Leko qui dispatche le jeu brugeois. Des ballons sont redoutables mais cela ne signifie pas du tout que le Standard calquera son jeu sur celui de Bruges ou d’aucun autre adversaire « . C’était avant le match…

La soirée de samedi a été intéressante à plus d’un… titre. Quel florilège sous le regard des caméras de Belgacom TV. Gand a égaré trois points au Cercle Bruges. Genk souffre mais a retrouvé du poil de la bête. Lokeren carbure à un bon régime. Charleroi vient de récolter neuf points sur neuf et Philippe Vande Walle est de plus en plus à l’aise dans son rôle de coach.

Tout le monde attend les affiches du dimanche avec impatience : Mouscron-Anderlecht et Standard-Bruges. Les Liégeois visent-ils le titre ? Jovanovic n’a-t-il pas déclaré qu’il en irait ainsi en cas de succès face à Bruges. Le Standard n’a jamais obtenu 15 points sur 15 en début de saison.  » Quoi qu’il arrive, nous sommes un sérieux candidat pour le titre « , explique Defour.  » Le championnat sera encore long après ce Standard-Bruges « .

Les caméras de la Une et des autres chaînes télévisées bourdonnent. La presse écrite envahit la zone mixte. Le verdict met fin à une semaine de folie. La messe est dite. Le Standard a battu le Club Bruges : 2-1. L’équipe la plus offensive a largement mérité ses trois points. Après 90 minutes de duel, les adversaires analysent la rencontre. De toute évidence, Jacky Mathijssen a perdu au poker. Il misait sur un nul, refusa le jeu jusqu’à la 64ème minute de jeu. C’est le moment où Jova a ouvert la marque.

La folie s’empara du stade : 1-1 par SvenVermant avant le 2-1 de DieumerciMbokani. Le tout en quatre minutes. Le Standard s’est ainsi offert le succès et un 15 sur 15 de début de saison historique pour lui. C’est le grand vainqueur du week-end. Un jeune capitaine de 19 ans a parfaitement dirigé son équipage. A la fois dans la cale et sur le pont, Defour a distribué le jeu avec aisance. Quand Bruges a égalisé, le petit meneur de jeu n’a pas paniqué. Comme s’il avait 15 ans de métier : l’architecte de la ligne médiane a réussi son test. Le Standard a un capitaine qui ne hurle pas mais impose le respect. Son abattage a été phénoménal durant 90 minutes.

En début de saison, Preud’homme a étonné en lui offrant les galons de capitaine. C’était un choix en or. Conceição serait-il resté aussi lucide que lui fasse à un Club Bruges fermant la porte à double tour ? C’est un compliment de plus pour le gamin.

par pierre bilic – photos : reporters

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire