A la lettre

L’Albert a fait son marché dans le vivier ivoirien de Beveren.

Avec son gabarit de jockey (1m73, 68 kg), Roméo Seka (23 ans) a le profil type du Beveren à coloration ivoirienne qui a glissé vers la D2 en mai dernier. Seizième en 2004-2005 et 2005-2006, ce club n’a pas été capable de signer la passe de trois, de refaire le coup d’un classement tout juste bon pour sauver sa peau. Seka, lui, a assuré son avenir : il reste en D1 grâce au contrat de trois ans que Mons lui a offert. Présentation, lettre par lettre.

Rébellion

Roméo Seka :  » En trois ans et demi à Beveren, j’y ai évidemment accumulé plein de souvenirs forts. Des bons, mais aussi des mauvais comme ce soir de février 2007, à Mouscron. On savait que ce serait dur, que Beveren devrait ferrailler jusqu’au bout pour rester en D1. Tous les matches étaient capitaux, des finales. A Mouscron, nous menons 0-2 à la mi-temps. En cas de victoire, nous pouvons faire une opération en or au classement. Mais à la fin du match, c’est 4-2 et la grogne chez nos supporters. Au moment où nous nous préparons à remonter dans le car, cette grogne se transforme carrément en colère, en rébellion, et j’en fais les frais. Des supporters m’ont vu discuter avec des joueurs de Mouscron juste après le match. Ils tirent leurs conclusions : si je parle avec des adversaires, ça veut dire que je ne suis plus du tout concerné par Beveren. N’importe quoi ! Quand je passe devant eux, ils s’excitent, m’enguirlandent, me traitent de tous les noms. Heureusement que j’ai marqué une semaine plus tard contre Lokeren : victoire 3-2, de nouveaux espoirs de maintien et le public s’est définitivement calmé « .

Offensif

 » Je sais que mon bilan en buts est insuffisant pour un joueur catalogué comme médian offensif. Je n’ai marqué que six fois en plus de 80 matches avec Beveren : c’est beaucoup trop peu. Au niveau des assists aussi, mon bilan est insuffisant. Je veux passer un palier avec Mons, me montrer beaucoup plus présent en zone de conclusion et donner des ballons de but. A Beveren, on me demandait surtout de faire le jeu et de faire circuler la balle. Mais je suis aussi capable d’autres choses. Je tiens à mettre une certaine assise dans mon football. Je dois profiter notamment d’un de mes principaux points forts : ma frappe. Je n’ai pas le gabarit type du footballeur qui shoote comme un fou mais mon exemple prouve qu’il ne faut pas nécessairement avoir des cuisses démesurées pour tirer fort. Tout est surtout une question de technique de frappe. Je l’ai travaillée énormément à l’Académie Jean-Marc Guillou « .

Mons

 » Mons me suivait depuis un bon moment. En cours de saison dernière, Jean-Paul Colonval avait contacté Beveren pour lui signaler son intérêt, puis il m’avait appelé. J’ai directement été tenté. L’image que j’avais de ce club, c’était celle d’un président extrêmement passionné et d’un stade qui s’améliore d’année en année. Dès notre première rencontre, Dominique Leone m’a dit qu’il était convaincu que je pouvais hausser la qualité de ce groupe. D’autres clubs étaient sur moi, mais Mons était le plus concret dès le départ « .

Ecole

 » Il y avait sept garçons à la maison : nous avons tous joué au foot. Mon frère aîné était très doué et il a arrêté ses études très tôt en espérant faire carrière. Toute la famille misait sur lui. Mais il a échoué et cela a fort marqué ma mère. Elle a juré qu’on ne l’y reprendrait plus : aucun de ses autres fils n’aurait l’autorisation de plaquer l’école pour le football. Quand j’ai été repéré par l’Académie, à 11 ans, ma mère a confirmé que mes études passaient avant tout. Elle rêvait de faire de moi la grosse tête de la famille, elle m’imaginait avocat ou médecin. Mon frère aîné a dû intervenir, lui faire comprendre que l’Académie permettait de combiner foot et école. Elle a finalement cédé. J’étais le petit protégé de mon frère aîné, il me suivait partout. Jusqu’au jour où il est tombé gravement malade. Personne n’a voulu m’alarmer, on me disait que ce n’était pas trop grave, que ça irait. On a vu : il en est mort. Je vois encore ma mère qui me dit : -C’est fini, ton grand frère est parti. Comme j’étais encore très jeune, je n’ai pas posé trop de questions « .

Orphelin de père

 » Mon père… Ah, mon père… Quelle histoire… C’était une personnalité à Abidjan, il avait un poste à responsabilités dans une grosse société de produits alimentaires. Il gagnait beaucoup d’argent et je n’ai donc jamais manqué de rien. A côté de cela, mon père avait ses gros défauts. Un jour, il a ramené une femme à la maison. Il a fait croire à ma mère et à ses enfants que c’était une cousine qu’il devait aider. Tout le monde est tombé dans le panneau. Jusqu’au jour où ma mère a tout compris : cette femme était la maîtresse de mon père. Mais en Afrique, les femmes qui ont des enfants préfèrent souffrir et se faire humilier, plutôt que de déchirer la famille. Alors, elle s’est tue et est restée à la maison. Elle pleurait, pleurait, pleurait ! Mais elle ne nous avouait rien. Quand mes grands frères ont compris la situation, ma mère a conclu qu’elle n’avait plus de raison de rester et elle a quitté mon père. J’étais encore très jeune et naïf, elle m’a dit de ne pas m’inquiéter, qu’il y avait seulement un tout petit problème, que nous rentrerions très vite à la maison. Progressivement, elle m’a tout expliqué. Mon père était furieux parce qu’il ne me voyait plus. Comme il avait beaucoup de moyens, il a pris un bon avocat et la justice a décidé qu’il avait encore le droit de me voir. Le jour où je suis allé chez lui, j’ai été encore plus dégoûté. Il nous chouchoutait quand sa maîtresse avait le dos tourné mais nous ignorait complètement dès qu’elle était là. En sa présence, il ne se préoccupait que des enfants qu’il avait eus avec elle. Après cela, j’ai refusé de le revoir. Jusqu’au jour où il a eu une grave maladie. Il a supplié ma mère de m’envoyer une dernière fois chez lui. Je ne voulais pas en entendre parler, puis j’ai finalement accepté d’aller lui rendre visite. Un peu plus tard, on nous a appris qu’il était mort. J’avais 11 ans « .

Solitaire

 » C’est marrant, on me signale dans chaque interview que je suis différent des autres joueurs ivoiriens de Beveren. C’est sans doute vrai. Je ne me coiffe pas comme eux, je ne m’habille pas comme eux. Mais ce n’est pas parce qu’on joue dans la même équipe qu’on doit avoir la même vision de la vie. J’ai déjà lu que j’avais un tempérament bizarre. Tout cela, sans doute, parce qu’il m’arrive de m’isoler alors que tous mes coéquipiers restent groupés. J’aime me retirer de temps en temps dans mon coin, je n’apprécie pas le bruit et l’agitation, j’ai parfois besoin de m’apaiser l’esprit. Mais je ne suis pas un gars difficile à vivre « .

Explosion

 » Le contingent ivoirien de Beveren a continué à voler en éclats pendant cet été : c’était inévitable. On était arrivé à la fin d’un cycle. Jean-Marc Guillou avait été clair quand nous étions arrivés dans ce club : Beveren devait nous servir de vitrine. En venant en Belgique, nous rêvions tous d’utiliser Beveren comme tremplin vers un grand club, de préférence une équipe où ça joue au foot, comme le Real ou Barcelone. Plusieurs Ivoiriens y sont parvenus : Emmanuel Eboué est à Arsenal, Yaya Touré à Barcelone, Marco Né à l’Olympiacos, Arthur Boka à Stuttgart. Igor Lolo vient aussi de franchir un palier en signant à Genk. D’autres anciens de l’Académie, qui ne sont pas passés par Beveren, ont aussi atteint le top : Aruna Dindane à Lens, Kolo Touré à Arsenal, Didier Zokora à Tottenham, etc. Cet été, Beveren a perdu Boubacar Copa (Lokeren), Gervinho (Le Mans), Armand Mahan (Cercle). Sekou Ouattara et Zito ont signé au Mans mais resteront encore une saison à Beveren. Il arrive un moment où il faut considérer que c’est la fin de l’aventure à Beveren. Même si le club était resté en D1, tous ces départs se seraient produits. Ou alors, il aurait fallu que la direction montre de nouvelles ambitions. Qu’on ait crevé l’écran ou non avec Beveren, on ne peut pas s’éterniser là-bas : soit on part plus haut, soit on essaye autre chose si on ne progresse pas sur le plan sportif « .

Knock-out

 » Beveren en D2, ça fait mal. Pour tout dire, je me sens coupable. Responsable de ne pas avoir été assez efficace pour assurer le maintien. Ce fut très difficile de quitter le club dans des conditions pareilles, en n’ayant pas une vraie tranquillité d’esprit, en ne pouvant pas me dire que j’ai réussi la mission. Tous les joueurs raisonnent comme moi, je crois. Les gardiens et les défenseurs se disent qu’ils ont laissé passer trop de buts, les médians sont persuadés qu’ils n’ont pas assez travaillé défensivement et offensivement, les attaquants sont conscients de ne pas avoir suffisamment marqué. Ce fut difficile aussi de bosser dans une ambiance aussi pesante. Beveren se battait pour son maintien depuis plusieurs saisons, et quand c’est comme ça, l’atmosphère s’en ressent à tous les étages : le staff, les joueurs, les dirigeants, les supporters étaient nerveux, il y avait régulièrement des étincelles. Quelque part, on doit se dire que ce dénouement était inévitable : quand vous êtes habitué à jouer pour ne pas descendre, les miracles de fin de saison peuvent se répéter mais ils ne sont pas éternels. Ça peut passer de justesse plusieurs fois mais ça finit toujours par casser tôt ou tard. J’ai vécu des moments extraordinaires avec Beveren : la finale de la Coupe de Belgique contre Bruges, la Coupe d’Europe. Mais il y a aussi des images moins drôles, dont celle de ma dernière soirée là-bas : en perdant à St-Trond lors du tout dernier match de l’année, le verdict était sans appel : la D2. Je n’ai pas fermé l’£il de la nuit « .

Académie

 » Famille, solidarité, persévérance : c’est la devise de l’Académie. Là-bas, il n’y a pas de place pour les égoïstes ou les prétentieux. Jean-Marc Guillou nous répétait sans arrêt : -Tenez-vous la main. Là-bas, on tisse des liens qui ne se défont plus jamais. Si un académicien est dans le pétrin à l’autre bout de l’Europe, je suis prêt à sauter dans le premier avion pour aller l’aider. Un académicien, c’est un frère, un membre de la famille. Nous étions plus proches de nos coéquipiers que de notre propre famille. C’est normal, vu que nous passions deux jours par semaine à la maison et le reste du temps au centre. Guillou nous enseignait aussi le respect et la modestie. J’ai lu qu’il me considérait comme le plus grand talent de l’Académie mais il ne me l’a jamais dit en face. Il me faisait seulement remarquer que je faisais facilement des choses que d’autres ne réussissaient qu’avec beaucoup de difficultés. Il me répétait aussi que si je mettais toute mon énergie dans ma carrière, je pourrais arriver très haut. Malgré cela, j’ai souffert pour m’imposer à Beveren. Le climat, le dépaysement, les contraintes physiques, la rapidité d’exécution : toutes ces choses-là m’ont mis en difficulté. Et j’ai ramé pour devenir titulaire en Belgique « .

par pierre danvoye

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