» A l’université de l’AJAX « 

Pierre Bilic

Le petit artiste brésilien est revenu en Belgique avec de beaux diplômes.

Hôtel Monte-Cristo, à Nimy, près de Mons : Wamberto de Jesus Sousa Campos, 29 ans, dépose son fleuret d’escrimeur des pelouses de D1. Sa vie et ses exploits sont la trame d’un roman de capes et d’épées. Un agent de joueurs assez louche, José Rubulota, le repéra à Sampoia Correia de Sao Luis et affina son analyse de ce joueur à l’occasion du tournoi international de Montecassini, en Italie.

Les premières lignes de sa carte de visite rappellent qu’il fut repris huit fois en équipe nationale brésilienne des moins de 18 ans (1990-91), fut champion d’Amérique du Sud avec cette catégorie d’âge avant de se distinguer lors du Mondiale des Juniors, en Italie, remporté par le Ghana de Yaw Preko et Nii Lamptey. Gérald Blaton déposa 250.000 euros sur la table pour le transférer à Seraing, le 15 octobre 1991, au nez et à la barbe de quelques grands clubs brésiliens. C’était la cerise sur le gâteau pour l’ancien club du Pairay qui vivait à l’heure du Brésil avec les Edmilson, Isaias, Wamberto, etc.

Après deux ans passés en D2, Wambi et ses frères firent leurs grands débuts en D1 sous la direction de Georges Heylens. Ce furent trois saisons intéressantes, de 1993 à 1996, avant que feu Gérald Blaton ne cède son groupe au Standard. Après deux saisons à Sclessin, en 1998, Wamberto prenait le chemin du prestigieux Ajax d’Amsterdam pour trois millions d’euros. Six ans plus tard, guidé par Roger Henrotay, il est revenu en Belgique avec le même sourire et de la maturité à revendre dans ses bagages.

Comment étiez-vous arrivé à l’Ajax ?

Wamberto : Morten Olsen entraînait le célèbre club d’Amsterdam et il me suivait déjà depuis un petit bout de temps. Il estimait que je pouvais être le remplaçant indiqué de Tijjani Babangida qui tardait à retrouver le terrain après une opération. C’était une aubaine que je ne pouvais pas refuser car j’étais quand même venu en Europe afin de jouer un jour au top. Un transfert à l’Ajax, c’était la concrétisation de ce rêve. Tout se précipita et je me suis retrouvé du jour au lendemain sur une autre planète. J’ai fait la connaissance de mes nouveaux équipiers à l’occasion d’un stage de préparation au Danemark. Je découvrais ce que j’appelle l’université du football. En somme, j’avais fait des études primaires du football à Seraing, réussi mes humanités au Standard mais il fallait alors m’imposer à un plus haut niveau. Sans mon parcours belge, je n’aurais pas pu m’imposer aussi facilement en Hollande. J’ai été gentiment accueilli par tous à l’Ajax.

Là, on ne vit que pour le football. Je croyais que la passion du foot au quotidien n’était que brésilienne. Je me trompais. A l’Ajax, tout est fait pour que chaque joueur tire le maximum de son potentiel. Chacun est observé afin de détecter ce qui ne va pas, que ce soit techniquement, physiquement, mentalement ou tactiquement. La correction est permanente et, entre eux, les joueurs parlent toujours de football. Les échanges sont incessants dans cette institution. Tout le monde ne pense qu’à progresser. Je m’y suis tout de suite senti comme un poisson dans l’eau. Morten Olsen misait lui aussi sur le fameux 4-3-3 qui collait à l’histoire de l’Ajax. En général, j’étais aligné sur l’aile droite. L’Ajax, c’était une collection de stars avec Danny Blind, Jari Litmanen, Edwin van der Sar, Mario Melchiot, etc.

Ma découverte du stade de l’Ajax, l’ArenA, fut aussi un moment très émouvant. C’est une merveille souvent garnie de 45.000 spectateurs qui viennent au foot comme on va au théâtre. Ils ont l’habitude des beaux spectacles. Tout est splendide à l’Ajax : le stade et le jeu.

Olsen a été remplacé en cours de saison par Jan Wouters, un ancien joueur renommé de l’Ajax. Nous avons remporté la Coupe de Hollande mais pas le championnat et cela laisse des traces dans un club comme ça. La saison suivante, mon club se sépara de quelques joueurs : Jari Litmanen (FC Barcelone), Edwin van der Sar (Juventus), etc. Blind mit fin à sa carrière. J’adorais Danny qui ne cessa de me prodiguer des conseils afin que je trouve ma voie en Hollande. La chasse au titre ne fut pas une réussite malgré l’apport des Nikos Machlas (Vitesse Arnhem), Frank Verlaat (Vfb Stuttgart), Aron Winter (Inter)…

Dès lors, Wouters céda sa place à Co Adriaanse qui avait travaillé avec les jeunes de l’Ajax avant d’entraîner Willem II. L’équipe changea de visage mais le 4-3-3 était toujours là car la Hollande est le paradis des joueurs techniques et offensifs. Il n’y a généralement pas de marquage à la culotte. C’est tellement différent par rapport à la Belgique où le jeu est plus engagé, plus défensif et où on pense d’abord à ne pas perdre et à neutraliser les atouts de son adversaire. Cette troisième saison se termina par une troisième place en championnat.

 » L’Ajax regrette Mido  »

En 2001-2002, l’Ajax ne changea-t-il pas son fusil d’épaule en pêchant Ahmed Hossan à Gand et Zlatan Ibrahimovic à Malmö ?

Ce sont indiscutablement de grands joueurs. Ahmed Hossan n’est finalement pas resté longtemps en Hollande. L’Egyptien a eu des problèmes d’intégration. Il s’est relancé en Espagne et surtout à Marseille. Je sais que l’Ajax a finalement regretté son départ. Le club et le joueur n’ont pas été assez patients. Ahmed Hossan sait tout faire sur un terrain : chercher la solution technique, passer en force dans les défenses adverses. Zlatan Ibrahimovic est lui aussi une tour offensive qui ira loin. Il pèse sans cesse sur les défenses adverses et, à la longue, cela paye. La géométrie du jeu de l’Ajax n’a pas changé mais l’accent était également mis sur l’arsenal physique. Cela paya en 2002 avec mon troisième coach à l’Ajax : Ronald Koeman qui signa le doublé en Hollande. Koeman utilisait bien les diversités et les complémentarités du groupe. Le 4-3-3 était d’application mais il arrivait aussi que l’Ajax varie ses coups sur le plan tactique. C’était très enrichissant. Wesley Sonck y joue un grand rôle. Il ne s’est pas adapté tout de suite mais a fini par trouver son rythme de croisière. Sonck lit bien le jeu, sait trouver des complémentarités avec Ibrahimovic, a le sens du but et la mentalité de battant indiquée pour réussir à l’Ajax. J’ai beaucoup discuté avec lui et découvert une personnalité très intéressante.

Avec Koeman, vous avez été blessé et êtes rentré dans le rang en ne jouant que six matches en 2002-2003. Puis Steven Pienaar et Wesley Sonck vous ont remplacé autour de Zlatan Ibrahimovic cette saison : est-ce ce manque de temps de jeu qui vous incita à partir ?

Oui. J’ai tranché. J’ai choisi Mons. La direction de l’Ajax entendait me garder et je garderai à jamais un grand souvenir de ce club. Mais je voulais jouer toutes les semaines. Monter sur le terrain de temps en temps, même quand c’était en Ligue des Champions, ne me suffisait plus. L’Ajax a parfaitement compris mon point de vue. J’avais faim de football. De plus, compte tenu de l’élimination en Ligue des Champions, l’Ajax s’est recentré sur ses obligations nationales et c’est une rampe de lancement idéale, moins stressante, pour les jeunes du club. Et il y en a beaucoup. L’élimination au premier tour de la Ligue des Champions fut actée à Bruges. Elle était inattendue et fit très mal. Ce soir-là, les Belges tirèrent profit de la lourdeur du terrain. Ils sont passés en force. Tous les clubs hollandais se sont intéressés à moi. Mon ancien coach, Co Adriaanse, voulait que je vienne à AZ Alkmaar. J’ai poliment refusé même si je l’appréciais beaucoup. Je préférais quitter la Hollande car il m’aurait été impossible de jouer un jour contre l’Ajax. C’est alors que s’est dessinée la piste belge qui m’a mené à Mons. Je reviens dans ma deuxième patrie.

 » Seraing aurait pu être champion  »

Mons sera votre troisième club belge. Par rapport à votre défi montois, vous souvenez-vous de vos premières aventures belges à Seraing ?

Et comment… Au Pairay, il y avait la maison des Brésiliens. Nous étions nombreux et cela facilita notre découverte de la Belgique et de l’Europe. Même si je m’attendais à découvrir un plus grand club en quittant le Brésil, Seraing fut finalement idéal. L’obligation de gagner était réelle mais elle était doublée par une immense chaleur humaine. Le président Gérald Blaton fut un bienfaiteur pour nous. Il nous adorait, tout comme sa femme, Jeanine Philips, Paul Plateus, les supporters, etc. Hugo Bargas me lança en D2 mais je dois beaucoup à Georges Heylens. Pour lui, la technique était sacrée. Mais il m’a également appris à être plus rusé, à mieux tempérer mes efforts. Heylens était un papa pour moi. C’est le meilleur entraîneur de ma carrière. Il m’a parfois vertement sermonné mais toujours à bon escient. La deuxième saison en D2 fut fabuleuse. Seraing écrasa tout sur son passage et termina le championnat en étant invaincu. Un étage plus haut, nous avons étonné et continué sur cette lancée. Il y avait tout dans cette équipe : travail, talent, ambition, intelligence, jeunesse, métier. Je la récite encore par c£ur : Stojic ; Schaessens (Kimoni), Olsen, Doll, Debusschere ; Wamberto, Karagiannis, Isaias, Teppers ; Lukaku (Varga, Lawarée), Edmilson. Cette formation-là lutterait actuellement pour le titre. Ranko Stojic était le patron et il me parlait beaucoup. Olivier Doll a décollé. Benny Debusschere était un formidable back gauche. Je pourrais tous les citer mais le joueur le plus important de Seraing, c’était Manu Karagiannis. Il ratissait, ramassait, balayait dans l’entrejeu et cette rage de vaincre permettait aux autres de bien fignoler leur football. Je me souviens d’un succès à Anderlecht. Cette équipe aurait dû être championne mais elle trembla dans les moments décisifs. J’aurais aimé offrir un titre à la famille Blaton pour tout ce qu’elle a donné à ce club. Au lieu de cela, ce fut la Coupe de l’UEFA. Puis, peu soutenu, Gérald Blaton déposa le tablier. Plus tard, nous avons même dû lutter ferme avec Manu Ferrera afin de rester en D1. Puis, le Standard a repris Seraing avec son noyau. Pour nous, c’était un pas en avant mais la disparition de Seraing était triste : le football perdait un club sympa.

Puis il y eut le Standard, neuf matches de Coupe intertoto et…

Une tradition, un stade magnifique, des supporters incomparables mais trop d’instabilité à l’époque. J’ai entendu dire que le Standard actuel est plus stable dans toutes ces structures, c’est bien. Jos Daerden avait abattu du bon travail. Karlsruhe nous élimina injustement en finale de la Coupe Intertoto. Jos Daerden prôna un jeu très offensif. Cela nous convenait parfaitement et il aurait été intéressant de continuer sur cette lancée. Sans le savoir, Jos Daerden, qui me parlait beaucoup, m’a bien préparé pour ce que j’allais vivre en Hollande. Le Standard opta pour un autre cap et Aad de Mos avec pas mal de problèmes. Mentalement, j’y suis devenu plus fort et cela m’aida à affronter mes autres défis.

Dans le top 10 avec Mons

Est-ce que Mons ne représente pas un pas en arrière ?

Pas du tout. J’avais envie de vivre cette aventure. J’aurais pu rester à l’Ajax. Tout le monde y louait ma mentalité. J’avais un contrat jusqu’en fin de saison et l’Ajax avait même une option pour le prochain championnat. Mais, pour aborder l’avenir, j’avais besoin de temps de jeu. La Belgique, je connais et cela éliminera le problème de l’adaptation. Autre point positif : ma famille pourra rester en Hollande pour le moment. Je possède une maison à Amstelveen où ils se sentent bien. Mons, c’est pas bien loin d’Amsterdam. Je ne pouvais pas déraciner les miens du jour au lendemain sans réfléchir. Mes trois enfants, Danilo, Wambertino et Wandeson, vont à l’école. Danilo (14 ans) joue en équipes de jeunes à l’Ajax et est un espoir. Il a tout pour faire du de chemin. Ce serait un bonheur fou de le voir jouer un jour en équipe première à l’Ajax.

J’avais eu une offre du Qatar mais cela m’aurait trop éloigné de ma famille. Le discours du président Dominique Leone et du manager sportif, Geo Van Pyperzeele, m’a plu. Ce club a envie de progresser, construit un stade et une nouvelle équipe. On y perçoit tout de suite beaucoup d’envie de travailler. Le groupe est animé par le désir d’assurer au plus vite son maintien en D1. J’ai découvert de la qualité dans tous les secteurs de jeu. Du plaisir aussi. Avec Sergio Brio, le courant passe bien. Il a du vécu. Je suis là pour aider Mons et je suis persuadé que cette équipe terminera le championnat aux environs de la 10e place. Je ne connaissais pas Mons. Et alors ? Je n’avais jamais entendu parler de Seraing avant de débarquer en Belgique et cela ne m’empêcha pas de vivre des trucs extras. Je suis à Mons pour réussir et je réussirai. C’est mon choix et je l’assume avec joie, en me disant que c’est très intéressant.

Grâce à l’agent de joueurs José Rubulota qui roula pas mal d’artistes brésiliens dans la farine ?

Celui-là, je préfère ne plus en parler.

Cela veut tout dire : avez-vous déjà revu Isaias et Edmilson, vos anciens équipiers, qui finalement ont moins bien mené leur carrière que vous ?

Pas encore mais ce sera un plaisir de leur serrer la main.

Vous avez signé pour une location d’un an et demi à Mons. Mais rien ne dit qu’un grand club ne vous attirera pas la saison prochaine. Votre aventure ressemblerait à celle de Cédric Roussel qui, dans le trou en Angleterre, s’est magnifiquement relancé à l’Albert où il avait été aiguillé par votre agent, Roger Henrotay. Un exemple à suivre ?

Tout est possible en football mais je ne pense qu’à Mons. Si je réussis, c’est toute l’équipe qui réussira. Je ne suis pas seul. Je m’installe et je me sens bien, c’est important. Pour le moment, je vis à l’hôtel mais je cherche une maison ou un appartement.

Pierre Bilic

 » GEORGES HEYLENS est le MEILLEUR ENTRAÎNEUR de ma carrière  »

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