A l’aise

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Le deuxième tour du buteur africain des Zèbres est aussi joyeux que le premier avait été triste.

O lu a retrouvé ce large sourire qui sent bon l’insouciance et la joie de vivre de son Togo natal. Le sprinter déprimé du premier tour ne fait plus partie du paysage au Mambourg. Adekanmi Olufade (23 ans) croque de nouveau la vie à pleines dents. Le globe-trotter (déjà sept pays à son compteur : Togo, Côte-d’Ivoire, France, Suisse, Espagne, Portugal, Belgique) est aussi une des pièces maîtresses de l’opération maintien.

A l’interview, il est aussi direct que sur une pelouse : il va droit au but, fonce sans s’attarder dans des complications inutiles, puis dégaine. Zéro but et un assist au premier tour mais six buts et un assist au second. C’est l’embellie.

Vous semblez beaucoup plus heureux et épanoui qu’il y a quelques mois !

Adekanmi Olufade : Normal. Comment aurais-je pu être heureux en début de saison ? J’ai pris une carte rouge en tout début de championnat, puis j’ai commencé à accumuler les blessures. Pendant des semaines, j’ai assisté, impuissant, aux graves problèmes de l’équipe. Pour tout dire, je me sentais responsable de nos difficultés offensives. On lisait partout, pendant la campagne de préparation, que j’étais le seul joueur du noyau capable de marquer régulièrement des buts. Cela me mettait une grosse pression. Mais, depuis la tribune, je ne pouvais pas répondre aux attentes. C’était frustrant et très dur à vivre.

Ces blessures musculaires à répétition avaient quelque chose d’anormal, non ?

On ne me changera plus : je me pète vite ! Et il était logique que ma musculature soit encore plus fragile après mes deux saisons presque blanches en France. A Lille en 2001-2002 et à Nice en 2002-2003, je ne jouais que quelques minutes ici et là. Mon corps avait perdu l’habitude de produire des efforts prolongés, sur une heure et demie. Quand un joueur explosif comme moi force alors que la base physique n’est pas là, le risque de se blesser est très grand.

Les méthodes de préparation sont-elles en cause ?

Non. C’était à moi de mieux gérer mes efforts. J’aurais dû y aller mollo, mais il y avait cette fameuse pression liée à la pauvreté offensive du noyau. En plus, j’avais raté une bonne partie de la campagne de préparation, vu que j’avais été transféré assez tard. J’ai voulu rattraper mon retard le plus vite possible pour être totalement prêt dès le début du championnat, mais c’était une erreur. Je n’ai pas eu le courage d’être patient…

 » Le footballeur qui ne joue pas perd tout : condition, vitesse, confiance, moral  »

A quoi se raccroche-t-on quand on est forcé à l’inactivité ?

C’est terriblement dur. Mes problèmes me suivaient partout : au stade, à la maison. J’y pensais aussi bien la nuit que le jour. Dans ce cas-là, vous pouvez essayer de faire abstraction de vos malheurs. J’ai tenté de mettre de la distance entre mon métier et ma vie privée, mais ça ne marchait pas. A tout moment, je me disais que j’avais été loué par Charleroi pour marquer des buts, mais je ne jouais pas et mon équipe était dernière au classement. Je constatais aussi que personne d’autre n’était en mesure de faire ce que je me sentais capable de réussir. N’importe quel footballeur qui ne joue pas ressent les mêmes choses. On perd tout : la condition, la vitesse, la confiance, le moral. Et c’est encore plus moche quand on sort de deux saisons pourries.

Certains remettraient leur talent en question pour moins que cela !

J’ai la chance d’avoir toujours été convaincu de mon potentiel. Et la malchance d’avoir croisé, en France, des entraîneurs qui ne croyaient pas en moi. Vahid Halilhodzic a été le seul à me faire confiance, à Lille. Dès qu’il a été remplacé par Claude Puel, j’ai disparu de la circulation. On m’a prêté à Nice, où Gernot Rohr a décidé que j’avais plus le profil d’un back droit que d’un attaquant : n’importe quoi. Quand je lui ai dit que j’étais fait pour jouer devant, il m’a complètement ignoré.

Vous avez fait votre retour dans l’équipe à Lokeren, fin novembre, et l’équipe a été immédiatement transfigurée. Lokeren, là où vous êtes arrivé en décembre 2000 avant de partir pour la France six mois plus tard après avoir marqué sept buts en 13 matches.

Ce match, je ne devais même pas le jouer. Je n’étais pas prêt, je venais à peine de reprendre les entraînements intensifs. Durant la semaine qui a précédé ce déplacement, tous nos attaquants sont tombés comme des mouches. Le coach n’avait donc plus guère le choix : il devait me relancer. Et j’ai finalement été l’homme du match. En quittant le terrain, j’ai compris que je venais enfin de prendre mon vrai départ avec Charleroi. Depuis lors, je n’ai plus été blessé. J’ai seulement sauté deux matches au deuxième tour pour guérir une petite gêne. Vous voyez que je deviens sage avec l’âge !

Vous êtes efficace et constant depuis le début du deuxième tour : l’arrivée de Victor Ikpeba est-elle une explication ?

C’est la principale explication de mon retour en forme. Avant qu’il ne débarque à Charleroi, j’étais la cible de toutes les défenses. J’étais le seul attaquant attitré du Sporting et les adversaires le savaient évidemment. Ils ne me lâchaient pas d’une semelle. Si on me tenait convenablement, la physionomie du match se compliquait directement pour nous. Aujourd’hui, je ne suis plus l’homme à tenir en priorité. Ikpeba, avec son expérience et son statut, a repris ce privilège. En plus, le vrai attaquant de pointe de Charleroi, maintenant, c’est lui. Je passe mon temps à tourner autour et je profite du relâchement dans le marquage par rapport à ce qu’on observait au premier tour. Tout est devenu beaucoup plus facile pour moi.

 » Le noyau était miné par les jalousies  »

Quand vous étiez associé à Grégory Dufer devant, il y avait aussi deux véritables attaquants dans l’équipe. Comment étiez-vous considéré, à ce moment-là, par les défenseurs adverses ?

Ce n’était pas du tout comparable à ce que je vis aujourd’hui avec Ikpeba. Il faut voir la réalité en face : Dufer n’a pas les qualités d’un vrai attaquant. Il jouait devant simplement pour dépanner. Je n’ai jamais eu, avec lui, la complicité que j’ai aujourd’hui avec Ikpeba. Il ne savait pas où me trouver, je ne savais jamais où je devais lui donner le ballon, nous nous marchions régulièrement sur les pieds. Les réflexes d’un attaquant ne s’apprennent pas du jour au lendemain mais se cultivent pendant les années de formation.

Ikpeba est-il toujours utile à cette équipe quand il est en plein passage à vide, comme on l’a vu récemment ?

Sa seule présence est un énorme plus pour le Sporting. D’abord parce que, en forme ou pas, il conserve la même influence morale sur l’adversaire. Un Victor Ikpeba en méforme, c’est toujours un Victor Ikpeba ! Même quand il n’est pas à 100 %, on le tient à la culotte, et donc, j’en profite. Il y a de toutes façons des qualités qu’il gardera toujours : son sens de la déviation, sa faculté de garder le ballon, son jeu de tête, sa lecture du jeu, etc. Et son influence dans le vestiaire est toujours intacte. Normal, à partir du moment où il a plus d’expérience internationale que tous les autres joueurs du noyau réunis. Quand il ouvre la bouche pour donner un conseil, on entendrait voler une mouche.

Comment le groupe a-t-il perçu l’annonce du départ prochain de Robert Waseige ?

Nous nous préoccupons du maintien, pas de l’avenir de notre entraîneur.

Pensez-vous que Dante Brogno a les armes requises pour redevenir entraîneur principal ?

Il est plus riche et plus mûr qu’il y a six mois, c’est sûr. Au niveau de l’expérience, il a progressé de façon phénoménale depuis l’arrivée de Waseige. Oui, je pense que Brogno pourrait faire un nouvel essai dès la saison prochaine.

Que lui manquait-il quand vous êtes arrivé à Charleroi ?

Il a surtout eu le tort de ne pas parvenir à solutionner d’importants problèmes relationnels entre les joueurs. En début de premier tour, l’ambiance n’était pas saine du tout. Il y avait des jalousies. Et trop de certitudes : d’un côté ceux qui étaient assurés de leur place, quel que soit leur état de forme ; de l’autre, les éternels réservistes, qui savaient qu’ils n’avaient de toute façon aucune chance d’être alignés. Les titulaires certains ne se donnaient pas toujours à fond puisqu’ils savaient qu’ils resteraient de toute façon dans l’équipe, et les autres n’avaient pas non plus envie de mettre le pied à l’entraînement puisqu’ils savaient que ça ne servirait quand même à rien. C’est une des principales explications du début de saison complètement raté. Brogno a fini par faire le constat, par comprendre qu’il devait resserrer les boulons. Nous avons remarqué qu’il commençait à être plus dur. Mais c’était trop tard car l’arrivée de Waseige a été annoncée à ce moment-là. Je suis en tout cas certain d’une chose : si l’ambiance et les mentalités n’avaient pas changé, nous n’aurions eu aucune chance de nous sauver.

Pierre Danvoye

 » Je me PÈTE vite « 

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